Dans la confrontation entre Syriza et les puissances de la vieille Europe, un premier acte vient de s’achever le 20 février, avec l’annonce de l’accord signé entre le gouvernement grec et l’Eurogroupe.
Résultat d’un ignoble chantage, cet accord constitue clairement une défaite politique pour les forces antilibérales et anticapitalistes de toute l’Europe. Sous couvert de prolonger l’« aide financière » à la Grèce pour les quatre mois à venir, il maintient le règne de la troïka (rebaptisée pour l’occasion « institutions »), interdit au gouvernement grec toute mesure unilatérale, autant dire toute indépendance politique, et l’engage à rembourser intégralement la dette. Il aura donc fallu moins d’un mois pour qu’apparaissent en pleine lumière les obstacles contre lesquels butera immanquablement tout gouvernement prétendant rompre avec l’austérité, même sur la base d’un programme minimal, et les limites d’une orientation stratégique fondée sur un tête-à-tête avec les institutions du capital.
Une cage d’acier néolibérale
Pour ces dernières, il ne s’agissait donc nullement de négocier quoi que ce soit avec les représentants fraîchement élus du peuple grec mais d’écraser dans l’œuf toute velléité d’autonomie à l’égard du carcan imposé par l’Union européenne, de faire rendre gorge préventivement à un gouvernement affichant son refus des diktats austéritaires. L’appartenance à la zone euro est apparue pour ce qu’elle est : une cage d’acier néolibérale. Juncker n’a-t-il d’ailleurs pas affirmé récemment : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » ? Que l’Union européenne et l’euro ne soient pas responsables de tous les maux frappant les travailleurs, en Grèce comme ailleurs, ne signifie en rien qu’ils ne constituent pas des verrous décisifs pour toute expérience de transformation sociale.
C’est ce qu’ont fait valoir les représentants de la gauche de Syriza, défendant une stratégie de confrontation avec les institutions européennes et les créanciers. Sur la base de son opposition à l’accord signé par le gouvernement, la Plateforme de gauche semble d’ailleurs avoir accru son audience dans les instances du parti et le groupe parlementaire. Cette opposition est décisive car, si le gouvernement reste plus que jamais soutenu par le peuple grec (d’après les sondages effectués depuis le 20 février), son crédit risque de s’effriter à mesure que s’approfondira dans les prochains mois la contradiction entre les mesures d’urgence mises en avant durant la campagne et l’acceptation du cadre européen de négociations, qui exclut toute politique au service des travailleurs et des populations.
Dire les choses telles qu’elles sont
L’exercice d’auto-persuasion collective auquel s’est livré Tsipras, affirmant avoir « gagné une bataille », paraît fonctionner pour l’instant, mais son efficacité se heurtera rapidement à l’épreuve des faits. Le peuple grec risque fort de se détourner de Syriza si le parti ne respecte pas ses engagements électoraux, plongeant le pays dans une nouvelle crise politique, avec le risque – assumé implicitement par l’Union européenne, mais aussi par les gouvernements français et allemand – qu’Aube dorée apparaisse alors comme l’unique alternative à l’austérité. Seule la mobilisation populaire est capable de contraindre le gouvernement à engager une épreuve de force avec le capital et ses institutions, au niveau national et européen.
Cela suppose d’assumer l’affrontement avec les institutions européennes jusque, si nécessaire, la sortie de l’euro et de l’UE. En outre, les pressions – présentes et à venir – de la BCE ainsi que la fuite des capitaux exigent la socialisation intégrale du système bancaire grec et le contrôle des mouvements de capitaux, sans lesquels le programme de Syriza est un couteau sans lame. Par son soutien maintenu à Syriza, le peuple grec manifeste sans doute sa crainte d’un Grexit, mais il est de la responsabilité des anticapitalistes de présenter les choses telles qu’elles sont : la stratégie consistant à négocier avec des institutions représentant les intérêts du capital, en renonçant par avance à toute initiative unilatérale, ne peut aboutir qu’à la défaite, au statu quo et au désespoir. Face à l’enlisement qui guette, et qui pourrait anéantir l’espoir soulevé par la victoire de Syriza, il faut se souvenir du proverbe qui hantait les révolutionnaires français de 1789 : qui n’avance pas recule !
Cela est vrai en Grèce mais aussi en France, où des échéances de mobilisation se préparent, contre le racisme (le 21 mars) et la loi Macron (le 9 avril), qui peuvent permettre de regrouper ceux et celles qui s’opposent au gouvernement, et de modifier les rapports de force. Dans la solidarité avec le peuple grec, notre arme principale tient dans la mobilisation sociale contre notre propre gouvernement ! En Grèce s’est ouverte une brèche, à nous de l’élargir.
Ugo Palheta