Avant d’être terrassé par le tremblement de terre, le mouvement ouvrier élevait la voix pour exiger un salaire minimum journalier de 500 gourdes (8,30 euros) 1. Quatre ans plus tard, alors que les charognards reconstruisent le pays le plus pauvre d’Amérique à coup de zones franches, les salariéEs reprennent une lutte qui a connu une mobilisation historique en décembre.
Le salaire minimum journalier était encore il y a peu de 125 gourdes (en 2009). Sous la pression des mobilisations et d’une inflation galopante, le Parlement a dû céder et voter une loi établissant le salaire minimum journalier à 300 gourdes. Les patrons haïtiens, intermédiaires des multinationales du textile, ont refusé d’accorder cette augmentation, continuant à payer les ouvriers 250 gourdes, très souvent moins. Le CSS (conseil supérieur des salaires), organisation tripartite chargée des salaires, a cédé aux puissants afin de recommander un salaire de 223 gourdes, ce qui a mis le feu aux poudres. Le pays n’avait pas connu pareille mobilisation depuis 1991 (avec Aristide et l’invasion américaine) et août 2009 (contre la Minustah), et c’est une mobilisation ouvrière. Dans un pays ayant traversé le siècle précédent sous différentes invasions américaines et sous la dictature des Duvallier (1957-1986) et leurs terribles « tontons macoutes », l’expression de la colère ouvrière est une première. Mais le patronat use des plus vieilles ficelles pour museler le mouvement.
Macoutisme patronalLors des mobilisations des 8, 9 et 10 décembre, très vite la méthode du lock-out a été utilisée et la plupart des entreprises fermées. Alors que les manifestants défilaient dans les rues de Port-au-Prince, ils ont appris que le patronat se réunissait dans un hôtel à Pétion-ville, ville symbole de la bourgeoisie haïtienne réservée aux touristes, patrons et à leurs intermédiaires américains. Évidemment la classe ouvrière n’a pas eu le droit de s’y introduire, la police y veillant farouchement. Idem quand la manifestation a voulu se rendre à l’Assemblée nationale pour y faire respecter ses droits. L’autre méthode mise en œuvre est d’imposer des « dirigeants ouvriers » et le syndicat jaune qui va avec, en valorisant les plus à même de négocier car proches et amis des patrons, tel Fignolé Saint-Cyr, le secrétaire général de la Centrale autonome des travailleurs haïtiens (CATH). Les leaders des grèves des organisations syndicales sont, eux, chassés, virés des usines, mis à pied, battus. Tout représentant des conseils d’usines se voit refuser les tables de négociations que le gouvernement ouvre à l’issue de la mobilisation. Vient enfin le discours distillé, que nous n’imaginerions pas toucher un des pays les plus pauvres au monde, celui sur le coût du travail et la compétitivité, évoquant les pays « concurrents » tel le Vietnam...Pour l’heure, le combat des travailleurs continue et commence à trouver une solidarité dans certains pays outre-Atlantique. À l’heure où François Hollande doit bientôt rencontrer le président haïtien, à nous de construire la solidarité, en exigeant le remboursement de la dette honteusement payée à la France par Haïti pour son indépendance et pour avoir abrité le dictateur Duvallier en fuite. Ce même Duvallier qui, depuis 2 ans, nargue les Haïtiens après son retour, protégé par les autorités et impuni de ses nombreux crimes.
Thibault Blondin1 – 1 euro est égal à 61,5 gourdes, la monnaie haïtienne.Pour plus d’informations : http ://www.batayouvriye.org