Publié le Lundi 12 novembre 2012 à 15h38.

Il y a aujourd’hui au Portugal une base sociale élargie qui réclame que la troïka s’en aille »

Alda Sousa est membre de la direction nationale du Bloco de Esquerda et députée européenne.Après le recul auquel il a été contraint suite aux manifestations du 15 septembre, quelle est l’attitude du gouvernement ?Le gouvernement a apparemment reculé. C’est vrai qu’il a abandonné l’augmentation de la contribution des travailleurs pour la Sécurité sociale, mais au bout de deux semaines ils ont annoncé qu’il faudrait des mesures alternatives « pour honorer et accomplir les accords avec la troïka et les créanciers ». En fait ces mesures constituent un assaut fiscal d’une brutalité comme on n’en avait pas connu depuis 1974. Il y aura une perte de salaire par le biais du IRS (impôt sur le revenu) : un mois de moins par an. Les allocations chômage, maladie, enfants, vont aussi subir de lourdes pertes. Les chômeurs vont être obligés de travailler en nettoyant les buissons pour « éviter les feux »…Quel est aujourd’hui l’état d’esprit des travailleurs, de la jeunesse face aux nouvelles attaques annoncées ?De plus en plus, les travailleurs et les jeunes ont conscience que ces mesures seront mortelles pour leurs vies. Elles représentent une perte brutale dans les salaires et encore pire pour les retraités, et une diminution des allocations chômage (en valeur et aussi en temps d’allocation). Le chômage et la précarité ne cessent d’augmenter. Beaucoup de gens sont obligés d’émigrer. Elles conduisent aussi à la destruction des services publics, notamment de l’enseignement public et du service national de santé.À la suite des manifs, le Bloco avait fait appel aux partis d’opposition (PS, PCP) pour une motion de censure commune au Parlement. La réponse du PS a été claire : ils avaient signé le mémorandum de la troïka et n’avaient pas l’intention de le dénoncer, malgré le fait qu’ils s’opposaient à ces mesures (le PS a fait savoir qu’il voterait contre le budget 2013). En fait, le 4 octobre, le PCP et le Bloco ont présenté deux motions de censure séparées mais ont voté en faveur de l’une et de l’autre.Comment se prépare la grève européenne du 14 novembre ?Les mobilisations se font surtout dans la rue mais aussi par des débats politiques et des rassemblements à gauche. Le 5 octobre s’est tenu à Lisbonne un « Congrès démocratique des alternatives » dont l’appel se faisait autour du rejet du mémorandum et a réuni à Lisbonne plus de 1 800 personnes de toutes générations et provenances. La Commission d’organisation comptait Carvalho da Silva (ancien président de la CGTP jusqu’à février dernier), des dirigeants du Bloco, des intellectuels, des dirigeants des précaires, des ex-dirigeants du PC, des intellectuels proches du PS (et même quelques députés), etc.Samedi 13 octobre, de nouvelles manifestations ont eu lieu dans une dizaine de villes du pays, cette fois-ci centrées sur la question de la culture. C’était un succès énorme. Le 15 octobre le gouvernement déposait au Parlement la proposition de budget pour 2013, c’est-à-dire qu’ils ont mis presque un mois pour annoncer le mesures concrètes. Le 31 octobre, jour du premier vote du budget, des milliers de gens ont manifesté devant le Parlement. Le budget a été approuvé dans sa généralité. Les députéEs de la majorité ont dû sortir par la porte de derrière, pour échapper à la colère des manifestants, tandis que les députés du Bloco et ceux du PCP rejoignaient le rassemblement.Le 12 novembre, la chancelière Merkel visitera le Portugal. Une grande manif est déjà en préparation, ce qui sera aussi une répétition de la grève générale appelée par la CGTP, la plus grande centrale syndicale. Contrairement à 2011, l’autre centrale syndicale, la UGT, n’a pas appelé. Néanmoins, un grand nombre de syndicats qui lui sont affiliés a décidé sa participation à la grève générale. Parmi eux, le syndicat des travailleurs de la banque, celui des communications et le (deuxième) syndicat des travailleurs du secteur public. Enfin, les associations de travailleurs précaires appellent aussi à cette journée et la préparent intensément… Ils n’ ont rien à perdre !Le Bloco tient son congrès ce week-end. Comment se présente-il ? Le Congrès se tient dans un moment politique très important. « Vaincre la troïka » est le mot d’ordre du Congrès. Aux élections de 2011 et tout de suite après, quand on parlait de renégocier la dette ou de refuser le mémorandum, on était regardés comme des irresponsables. Ce n’est plus le cas maintenant. Il y a aujourd’hui au Portugal une base sociale élargie qui réclame que la troïka s’en aille. Le Congrès sera un moment important de débat et de choix politiques stratégiques. La motion A (majorité de l’actuelle direction) veut se battre pour un gouvernement de gauche qui puisse en finir avec l’esclavage de la dette, lutter pour l’emploi, nationaliser des banques, garantir les services publics. Évidemment le PS ne fait pas partie de l’équation.Propos recueillis par Yvan Lemaitre