Publié le Dimanche 31 juillet 2011 à 21h29.

Interview d' Issa SORY, président de l’Association des étudiants burkinabè en France (AEBF), et secrétaire aux relations extérieures de l’Union générale des étudiants burkinabè (UNEB) 

Vendredi 1er juillet, un meeting «Justice pour Thomas Sankara» a réuni de nombreuses personnes dont le GTA du NPA dans une salle du 2e arrondissement de Paris.

C’était l’occasion de faire le point sur le dossier, toujours ouvert, de l’assassinat du président révolutionnaire du Burkina Faso, le 15 octobre 1987, par son successeur (Blaise Compaoré) et avec le soutien de la «Françafrique». Les autorités judiciaires, que ce soit en France ou au Burkina, n’ont toujours pas commencé à faire le lumière sur les commanditaires et exécutants de ce crime politique. Cependant, un élément nouveau important a vu le jour: 21 députés de l’Assemblée nationale française demandent, maintenant, de «faire le point sur le rôle des services de renseignement français, sur la mise en cause de la responsabilité de l’Etat et de ses services».

Leur démarche a été présentée à l’opinion publique lors d’une conférence de presse, tenue le 28 juin 11 à l’Assemblée nationale. Mais ce meeting important a aussi était le moment de faire le point sur les nombreuses luttes sociales et démocratiques qui se sont déroulées, au Burkina Faso, depuis le mois de février dernier. Le 22 février, une vive contestation des étudiants et lycéens a éclaté à Koudougou, ville située dans l’Ouest du pays. C’est la mort d’un lycéen, Justin Zongo, imputée aux forces de police, qui avait mis le feu aux poudres. La police avait beau prétendre que le jeune serait «mort des suites d’une méningite», la jeunesse n’y croyait point. Des collègues lycéens ont d’ailleurs raconté que l’élève - qui avait la mauvaise chance d’avoir engagé une dispute avec une lycéenne sortant avec un policier - était plusieurs fois revenu du commissariat en portant des traces de coups. Une partie des protestataires scanda d’ailleurs, à en croire la presse locale, des slogans faisant référence aux révolutions en Afrique du Nord: «La Tunisie à Koudougou!» ou encore «Koudougou aura son Egypte!».

Suite au déclenchement de la révolte, bon nombre de bâtiments publics furent incendiés. Six personnes ont trouvé à mort à Koudougou: quatre élèves, un policier et un commerçant n’ayant pas pris part aux affrontements. Dans les jours suivants, la révolte s’étendait aussi à d’autres villes: Gaoua, Fada N’Gourma, Tenkodogo, Pô, Léo… Début mars 11, à Ouhigouya, ce sont à la fois le commissariat, le siège du gouverneur de la province, celui du gouvernement régional, le bâtiment du palais présidentiel CDP («Congrès pour la démocratie et le progrès») et une partie du tribunal qui furent incendiés.Dans la première moitié du mois de mars 11, le mouvement étudiant montra sa force de mobilisation dans la capitale Ouagadougou. Des milliers de personnes manifestèrent, suite à des appels du syndicat des étudiants, notamment. Au même moment, l’expérience d’un appel à une manifestation lancée sur Facebook montra les limites de ce procédé – et tordit le cou à la légende, qui voudrait que désormais «les révolutions se font sur Internet». Seulement dix personnes, dont deux députés, s’étaient déplacées. Ce ne sont pas les appels «Facebook», mais bien les mobilisation au sein des lycées et facultés qui assuraient le succès des mobilisation. A partir du mois d’avril 11, une série de grèves eut lieu: à la société de téléphone ONATEL, dans la mine d’or de Kalsaka, ou encore chez les enseignant-e-s. Ces luttes étaient souvent conduites par la CGT-B.

A la mi-avril 2011, c’était par contre la Garde présidentielle – un corps d’élite de l’armée – qui entra en mutinerie, pour des motifs financiers. Le régime arriva, cependant, à s’arranger avec les soldats d’élite et leurs demandes pécuniaires. Le 03 juin, c’était la même Garde présidentielle qui écrasa une autre mutinerie de soldats, qui avait éclaté dans une caserne à Bobo Dioulasso.

Ce n’est certainement pas à partir des garnisons militaires que viendra la solution aux problèmes sociaux et politiques du Burkina Faso. Cependant, les mutineries à répétition au sein de l’armée constituent un signe de plus de l’affaiblissement et de l’« usure» du pouvoir de Blaise Compaoré.

Bertold du Ryon

Interview donnée le 1er juillet 2011 à Paris. Propos recueillis par Bertold du Ryon, du Groupe de travail Afrique du NPA.

 

Bertold du Ryon: Qu’est-ce qui a allumé le feu de la révolte qui a commencé le 22 février, quel en a été le déclencheur, et y a-t-il des points communs avec ce qui s’est passé en Afrique du Nord (Tunisie et Egypte) ?

 Issa SORY : La crise ne date pas de fin février 2011. La crise au Burkina Faso va en s’approfondissant. Il faut savoir que depuis 1990, lorsque notre pays a décidé d’aller au Programme d’ajustement structurel, toutes les organisations de la société civile – et surtout (celles) de gauche -, à savoir la CGT-B, le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples, et l’UGEB, ont condamné cette politique aventuriste du président Blaise Compaoré. Donc, les origines de la crise se trouvent dans les conséquences des Programmes d’ajustement structurel ; et depuis lors, ça a été des grandes batailles. Surtout au niveau des étudiants. D’abord, en 1990, l’un des nôtres a « disparu », Dabo Boukari, qui était un étudiant en septième année de médecine. Il avait été arrêté par la Garde présidentiel et amené au « Conseil », c’est-à-dire à leur poste. Jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas retrouvé son corps. C’est avec l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, le 13 décembre 1998, que le peuple s’est véritablement organisé et s’est dressé contre le régime criminel du capitaine Blaise Compaoré, à travers le Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques. Là, certains pensaient qu’immédiatement, on allait prendre le pouvoir ; et le président, à l’époque, du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples avait dit que c’était une crise qui était installée pour longtemps, qu’il fallait s’organiser davantage, pour pouvoir faire face à l’impérialisme notamment français. A l’époque, il y a eu des grandes manifestations, ce qui a entraîné la fermeture de l’université. Depuis lors, les luttes ont continué : que ce soit en 1999/2000 avec les étudiants, les étudiants en 2002, en 2005 ; et depuis 2007 à nos jours, les étudiants se sont toujours dressés contre le pouvoir au Burkina Faso.

 Actuellement, il y a une certaine accalmie, que les gens essaient de montrer. Au Burkina Faso, les périodes de reflux du mouvement social, c’est plus en saison de pluie, où les étudiants, qui constituent en fait le moteur de la lutte, sont en vacances. Mais à la rentrée, ça va reprendre, que ce soit au niveau des élèves, au niveau des étudiants… Parce que rien n’a été résolu ! Ca n’a été que des promesses ! Que ce soit la promesse que les assassins de Justin Zongo soient jugés « avant la fin juin » : nous sommes au 1er juillet, et rien n’a été fait…

 Bertold du Ryon: A propos de Justin Zongo : j’ai bien compris que les causes des mouvements sociaux étaient structurels, et ne datent pas d’hier. Mais il y a donc eu un déclencheur, la mort du jeune Justin Zongo… Est-ce que tu comparerais ce déclencheur avec la mort du jeune Mohamed Bouaziz, en Tunisie, même s’il s’est tué lui-même après avoir été maltraité par des policiers ?

 Issa SORY : Il y a des similitudes, mais je ne fais pas ce lien d’abord. Au Burkina Faso, depuis que nous avons eu notre Conseil syndical de l’UGEB, à Bobo Dioulasso, on a dit que la décennie 2010 à 2020 serait une décennie de crise, parce que tous les éléments étaient réunis. On a dit qu’en 2010, Blaise Compaoré allait se présenter (NOTE : à sa propre succession), et qu’il va « gagner l’élection », ce qu’il a fait, avec 80 %. Et de 2010 à 2015, il faut tout modifier, parce que l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara, l’affaire du Liberia, l’affaire de l’Angola – où Blaise Compaoré agit en déstabiliseur de la zone, qui a soutenu les rebelles (ivoiriens) contre Laurent Gbagbo, qui a soutenu (en Angola) l’UNITA contre le MPLA pour le diamant, avec lequel il s’est enrichi malgré un embargo de l’ONU – sont autant de problèmes irrésolus.

 Avec tout ce qui passe au Maghreb, et pas seulement en Tunisie, nous sommes en lien ! En Tunisie, il y a l’UGET (Union générale des étudiants de Tunisie), qui est en relation que l’UGEB. Les deux, nous avons pratiquement le même fondement. L’élément fédérateur, c’est la longévité de tous les dirigeants, c’est les dictatures, c’est la corruption, c’est l’application des régimes néocoloniaux ; ce sont des points similaires. Mais il y a des spécificités ; est-ce qu’au Burkina Faso, ça va produire les mêmes effets, par exemple le fait de s’immoler soi-même (NOTE : comme Mohamed Bouazizi) ? Ce n’est pas évident. Mais au Burkina Faso, nous baignons dans une crise depuis longtemps. En novembre 2010, nous avons fait une déclaration, en disant que les élections (présidentielles) sont « une mascarade ». On a dit aux jeunes – où l’Organisation démocratique de la jeunesse fait un travail au niveau de la jeunesse populaire -, aux étudiants, qu’il faut se démarquer de ces élections, soutenir les luttes populaires. Quand ça a commencé (en février 2011), ça ne nous a point surpris. Nous, on attendait la rue ! Nous pensons que l’avenir du pays, à l’heure actuelle, se trouve dans la rue. Maintenant, il faut que les forces progressistes se donnent davantage de moyens pour davantage isoler le régime.

 Bertold du Ryon : Quelles sont les perspectives à ce propos, dans un très proche avenir ?

 Issa SORY: Quand Blaise Compaoré avait (au printemps 2011) fui à Ziniaré – son village d’origine - , on a déjà commencé à faire le bilan du régime sur France 24, RFI, sur d’autres chaînes, partout. Certains disent d’ailleurs qu’il avait fui à Ziniaré, d’autres disent qu’il se trouvent dans un autre palais, qui est très loin de l’ambassade de la France. Or, dans toutes les ex-colonies françaises en Afrique, le palais présidentiel se trouve toujours à côté de l’ambassade ! Donc, quand il se sentait en danger, Blaise Compaoré a pu se rendre dans un ancien palais, qui est très éloigné, et utilisé par le Premier ministre actuellement. On l’avait sorti de sa présidence dans une ambulance… Pour la France, au Burkina Faso, Blaise Compaoré avait fait son affaire jusqu’ici. Mais maintenant, il est usé. La France veut actuellement le changer, mais elle ne souhaite pas qu’il soit renversé par la gauche. On ne sait pas si un coup d’Etat peut advenir, demain, si l’armée le remplace.

 Nous, on dit au niveau des mouvements : le pouvoir est dans la rue ; il faut le prendre pour aller vers la libération véritable de notre pays. On a lancé, au niveau de la Coalition, des luttes sectorielles. A partir de là, les enseignants du primaire et du secondaire sont sortis dans la rue ; les agents du ministère de l’économie et des finances ; les artisans, partout. Et actuellement, les agents du BTP (bâtiment – travaux publics) sont dans la rue, en ce moment. Les agents des impôts étaient là, hier, ils étaient dans la rue.