Publié le Jeudi 1 septembre 2022 à 19h00.

« La guerre russo-ukrainienne a mis fin à la période post-soviétique »

Six mois après le début de la guerre de la Russie de Poutine contre l’Ukraine, nous publions une contribution de l’historien Taras Bilous, membre de Sotsialniy Rukh (Mouvement social, Ukraine).

 

Que se serait-il passé si les États-Unis avaient reconnu l’appartenance de l’Ukraine à la sphère d’influence russe au moment de l’invasion de 2022 ? Peut-être que si les gouvernements occidentaux avaient fait comprendre aux Ukrainiens qu’ils ne devaient pas s’attendre à un soutien occidental significatif, cela aurait contraint Zelensky à adopter une politique plus prudente et à faire éventuellement des compromis. Après tout, la prise de conscience que l’Occident ne les protégerait pas d’une éventuelle occupation soviétique a été l’un des facteurs clés qui ont conduit les Finlandais, après deux guerres sanglantes, à accepter de soumettre leur politique étrangère à l’Union soviétique.

La guerre aurait-elle pu être empêchée ?

Premièrement, il convient de noter que même si l’Ukraine avait accepté la « finlandisation », ses conséquences auraient été très différentes de celles de la Finlande – avant tout parce que la Russie moderne est un État capitaliste doté d’un régime autocratique réactionnaire, et non l’Union soviétique. Deuxièmement, à mon avis, l’acceptation par les États-Unis d’une division en sphères d’influence avec la Russie n’aurait pas apporté la paix. Compte tenu de la concurrence politique et de l’opinion publique, dont la plupart étaient, d’une manière ou d’une autre, opposés aux exigences de la Russie, il est peu probable que Zelensky aurait accepté des concessions sérieuses. Et même s’il avait accepté, le Parlement n’aurait pas approuvé ces concessions ; au mieux, cela aurait conduit à de nouvelles élections qui auraient été gagnées largement par des forces plus nationalistes. Pour empêcher la guerre en cours, il aurait fallu que des changements dans les relations politiques entre l’Ukraine et l’Occident interviennent beaucoup plus tôt – et non dans les mois qui ont précédé l’invasion.

Si la Russie l’emporte…

Si les États-Unis avaient officiellement reconnu que l’Ukraine faisait partie de la sphère d’influence russe, ils auraient peut-être encouragé la classe dirigeante russe à agir de manière plus décisive. Poutine a osé envahir l’Ukraine malgré la pression des États-Unis. Qu’est-ce qui pourrait l’empêcher d’essayer de répéter les actions soviétiques en Hongrie si les États-Unis promettaient de ne pas fournir d’assistance militaire à l’Ukraine ? Comme pendant la guerre froide, le résultat à long terme d’une telle division en sphères d’influence serait une augmentation des forces réactionnaires. Cela inclut le renforcement du régime de Poutine en Russie et la résistance à l’occupation russe, dans laquelle l’extrême droite est susceptible d’acquérir l’hégémonie en Ukraine.

La guerre russo-ukrainienne a mis fin à la période post-soviétique. La nature de la période qui s’ouvre, y compris ce que nous vivons actuellement, sera décidée sur le champ de bataille. Si l’Ukraine gagne, nous aurons enfin une chance d’obtenir des changements progressifs non seulement en Ukraine, mais aussi dans l’espace post-soviétique au sens large. Si la Russie l’emporte, l’Europe de l’Est plongera dans un enfer de réaction toujours plus grand au cours des prochaines décennies.

Traduction J.S.

Version intégrale (en anglais) sur https://spectrejournal.com/