Publié le Jeudi 23 décembre 2021 à 08h00.

La Russie en Afrique : mercenariat et prédation

Le retour de la Russie en Afrique après l’effondrement de l’Union soviétique date de 2006. Depuis, la montée en puissance des relations avec le continent s’est confirmée. Elle a été symbolisée par le sommet Russie-Afrique à Sotchi en 2019 et l’est maintenant par le recours aux mercenaires de la société Wagner.

 

Pour le Kremlin, il était hors de question que les puissances mondiales s’implantent en Afrique et que la Russie reste sur le côté. Poutine s’est fait le chantre d’une conception multipolaire de l’ordre mondial et du respect de l’indépendance des États. En termes plus crus, on peut dire que les violations des droits humains dont se rendent coupables les gouvernements africains ne sont nullement rédhibitoires pour passer des accords économiques ou militaires. Le poids économique de la Russie en Afrique est faible. Elle se situe au sixième rang après la Turquie. Par contre elle est un fournisseur majeur en armement. En effet, près d’un tiers des armes sur le continent est fourni par l’agence d’État russe Rosoboronexport.

Des ventes d’armes qui sont souvent accompagnées d’accords militaires. Ainsi, au moins la moitié des pays africains sont liés par ces types d’accords qui peuvent aller d’une formation de quelques officiers à Moscou jusqu’à une intervention directe dans le pays comme en République Centrafricaine (RCA).

Wagner, le tournant ?

L’utilisation de l’entreprise de mercenaires Wagner dans la diplomatie africaine de la Russie est un élément nouveau qui peut être mis au crédit du ministère des Affaires étrangères… de la France. En effet pour lever le veto maintenu par la Russie sur la vente des armes en Centrafrique, le Quai d’Orsay a conseillé à Faustin-Archange Touadéra, nouvellement élu président de la Centrafrique, de se rapprocher de la Russie pour se procurer des armes.

Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a profité de ce cadeau inespéré de la diplomatie française en proposant le remplacement des troupes françaises par les mercenaires de la société Wagner. Faustin-Archange Touadéra, qui n’était pas le candidat préféré de la France, a saisi cette occasion comme moyen d’affermir son pouvoir menacé par des oppositions armées.

Une milice comme une autre

La société Wagner est présente en RCA par le biais de deux sociétés, Lobaye Invest Ltd, société minière, et Sewa Security Services. Cette dernière est en charge de la sécurité présidentielle et combat, au côté de l’armée centrafricaine, les différents groupes rebelles issus de la Séléka qui avait pris le pouvoir en mars 2013.

Les agissements des mercenaires russes sont extrêmement violents, notamment contre la population civile. Si une sorte d’omerta s’est créée autour de ces crimes, les langues se délient. Un récent rapport des Nations unies de mars 2021 pointe ces violations massives des droits humains : exécutions sommaires, arrestations et tortures, viols, transformations des écoles et bâtiments publics en casernes. Les mercenaires se paient sur les civils en pillant les villes reconquises. De plus, le gouvernement centrafricain leur a concédé des permis d’exploitation de mines diamantifères et aurifères.

Solution politique contre solution militaire

Avec l’approfondissement de la crise dans les pays du Sahel, une partie de la population souhaite la venue des Russes. Elle considère que cela serait un gage d’efficacité, qui manque à Barkhane, contre les djihadistes.

Cette illusion est évidemment entretenue par le Kremlin qui voit d’un bon œil l’idée de remplacer les troupes françaises au sein même du pré-carré françafricain. Cela ne ferait que renforcer la Russie sur la scène internationale. En fait, la société Wagner ne serait pas plus efficace, sinon moins, que Barkhane, du fait qu’elle n’a pas l’équipement lourd de l’armée française – notamment aérien. Elle ne bénéficierait pas non plus de l’appui des USA en termes de renseignements. D’ailleurs, le mythe des « supers guerriers » de Wagner a été largement écorné par leur échec cinglant contre les combattants islamistes à Cabo Delgado au Mozambique.

La solution des conflits sur le continent, que cela soit dans les pays du Sahel, au Cameroun, ou en Afrique de l’Est, ne viendra pas des interventions armées des troupes occidentales ou des sociétés de mercenaires quelles qu’elles soient. Leurs interventions ne font qu’aggraver la situation avec un prix lourd payé par les populations civiles. Il est important de réaffirmer un principe, qui parfois est oublié : l’Afrique n’a rien à gagner à être un terrain de jeu militaire pour les puissances prédatrices russe, chinoise ou des pays de l’Otan.