- Quelles sont les racines et les revendications du mouvement ?
Sur beaucoup d'aspects, le Brésil est un pays très inégalitaire et injuste. Parallèlement, depuis peu, particulièrement depuis l'élection de Lula, il n'y a pas beaucoup de mobilisations sociales.Tous les ans, nous avons des mobilisations importantes contre l'augmentation des prix des transports publics. Cette année, les gens sont sortis dans la rue dans beaucoup de grandes villes, d'abord à Porto Alegre puis à Sao Paulo. La répression a été très brutale avec les premiers manifestants, ce qui a amené encore plus de personnes à se mobiliser. La répression frappa également les journalistes qui rapidement adoptèrent un discours plus solidaire avec la jeunesse mobilisée. Le phénomène s'amplifia mobilisant toujours plus de monde et maintenant les médias participent et essayent d'influencer les orientations politiques des manifestants. En parallèle, a lieu la coupe des confédérations avec des matchs se jouent dans 5 villes. Cette coupe est une caricature de ce contre quoi nous nous battons : dépenses énormes pour les riches et le « prestige » dans un pays très inégalitaire avec des problèmes de pauvreté, d'accès à l'éducation, la santé, la culture....
Depuis que la décision a été prise que le coupe aurait lieu ici, des secteurs se sont mobilisés autour de cette question en organisant des manifestations. Toutes les revendications se rejoignent donc et sont très politiques : moins d'argent pour le foot et plus dans le social (notamment sur la question des transports) avec une répression très forte. Ce sont les problèmes structurels et de développement du Brésil qui sont posées et qui s'approfondissent.
- Quelles sont les liens entre la mobilisation actuelle et celle des étudiants l'année dernière ?
En vérité, il n'y a pas de liens directs. Le contexte général de crise mondiale reste néanmoins le fondement de tout ceci. Le mouvement actuel a démarré sur d'autres bases, notamment celle du mouvement « Passe Livre » qui se bat pour un accès gratuit aux transports publics. C'est un mouvement de jeunesse principalement mais pas seulement étudiant et qui n'intervient pas directement au sein des universités. Mais les secteurs en pointe dans la lutte de l'année dernière participent activement aux luttes d'aujourd'hui car ces questions sont très liées. C'est la question de la répartition des richesses et du modèle de développement choisi par le PT.
- Quelles sont les organisations qui participent au mouvement, quelles sont les relations entre elles, qui organise tout cela ?
Les premières manifestations ont été organisées par le Movimiento Passe Livre (MPL) qui est indépendant politiquement et centré sur la question des transports. Mais les partis de gauche (PSOL, PSTU, PCB...) ont toujours lutté avec le MPL, de même que nos organisations de jeunesse et des groupes anarchistes. Mais avec la répression et les proportions énormes prises par le mouvement, d'autres partis et organisations l'ont rejoint : le PT au pouvoir, le Parti communiste du Brésil, le mouvement des sans-terre.... Et on a aussi vu une contestation de droite se former à cause de la mobilisation importante de la classe moyenne. Des petits groupes fascistes sont également présents, profitant du sentiment anti-parti très important, et dont les médias font largement échos ce qui déstabilise l'organisation et la cohésion de la lutte. Ce sentiment anti-parti est allé jusqu'à des agressions sur les militants, expulsions des partis des cortèges.....
Aujourd'hui le MPL, initiateur de la lutte, s'est retiré des manifestations pour prendre ses distances notamment avec les fascistes et les mouvements anti-partis. Il y a une vrai bagarre politique a mené de ce côté-là.
La réponse du gouvernement est de faire porter la responsabilité des manifestations à la droite et de tenter de regrouper les forces progressistes pour se prémunir d'un coup de force. Elle est effectivement présente et dénonce avec les fascistes le « système Lula » et la corruption. Nous, la gauche du PT, essayons de politiser le mouvement et d'approfondir les contradictions des choix politiques des gouvernants en matière de développement.
- Quelles sont les perspectives ?
C'est un processus ouvert. L'objectif est de maintenir un fort niveau de mobilisation malgré la fin de la coupe des confédérations. De toute façon, ce mouvement marque un tournant dans l'histoire récente du pays : L'hégémonie du PT est rompue, la droite essaye d'en tirer profit, nous faisons de même sur la gauche.
La semaine qui vient est cruciale. De nos capacités d'interventions et d'organisations va dépendre en partie le niveau de mobilisation. Il faut que nous obtenions des victoires concrètes pour les travailleurs et la jeunesse précarisée pour maintenir le niveau de tension.
Rodrigo Santaella, Coordinateur national du secteur jeune d'Enlace-PSOL.
Interview réalisé par Antoine Boudou