Publié le Dimanche 24 février 2013 à 11h03.

La Slovénie refuse d'avaler l'amère pilule de l'austérité

Depuis la fin de l'automne 2012 la Slovénie est secouée par des manifestations de révolte contre la politique d'austérité du gouvernement. Tout a commencé à Maribor, ville industrielle du Nord Est du pays où devant le nombre, l'intensité et la radicalité des manifestations, le maire accusé de corruption, a été obligé de démissionner. Le mécontentement s'est étendu à d'autres villes où les mouvements de protestation contre la corruption de la classe politique se sont affirmés.

 C'est ainsi qu'en janvier 2013, une enquête de la commission anti-corruption a mis en évidence des anomalies dans les comptes de deux des hommes politiques les plus connus du pays. Le premier ministre conservateur de droite, Janez Jansa, n'a pas été en mesure de justifier l'origine d'une somme de 200.000 Euros alors que de lourds soupçons pèsent sur lui dans une affaire de trafic d'armes au cours de la guerre dans l'ex-Yougoslavie et aussi dans l'achat de véhicules blindés à une firme finlandaise. Le chef de l'opposition, maire de Ljubljana, Zoran Jankovic, classé à gauche a lui aussi été mis en accusation. Entrepreneur dynamique, il a été à l'initiative de grands travaux de construction et de rénovation à Ljubljana. Le hic, c'est qu'au passage, il n'a pas pu justifier la présence 2,4 millions dans les comptes administrés par ses fils.Outre les cas individuels de ces deux hommes politiques, une crise énorme affecte le système bancaire qui est en grande difficulté, Des crédits importants ont été attribués à seize sociétés et quinze d'entre elles sont tombées en faillite. Les dirigeants de ces institutions bancaires, avaient été nommés à leurs postes de direction par des responsables politiques et la population estime que cette classe politique est partie dans ce naufrage bancaire qui risque de mettre le pays en faillite. L'abondance de fonds spéculatifs a même poussé le gouvernement à imaginer une banque spéciale pour administrer les valeurs pourries qu'on y accumulerait.

 Un autre facteur qui handicape le secteur bancaire est la crise de l'immobilier, secteur où des crédits importants ont été concédés et ne peuvent être remboursés, les appartements construits étant offerts à des prix très élevés et ne trouvent pas d'acheteurs dans le contexte de la crise économique. Mais à travers ces deux cas individuels ainsi que dans celui de la crise du système bancaire, c'est la gestion de la société par l'ensemble de la classe politique droite et gauche confondues qui est dénoncée et rejetée par la population car les discours électoraux qui n'abordent pas les vrais problèmes, quand ils sont suivis par le mises en place des gouvernements, sont traduits en mesures précises qui vont à l'encontre des intérêts les plus fondamentaux des gens, en matière de soins de santé, de droit à la pension, bref à une remise en question et une volonté de détruire les progrès sociaux acquis depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

La Slovénie, comme le reste de la Yougoslavie, a connu pendant cette deuxième guerre mondiale, une véritable révolution socialiste et la victoire de cette révolution a coûté énormément de sacrifices et de vies à la population slovène. Il n'est guère de village ou de rues dans les villes où on ne voie de monument ou de plaques commémoratives relatant des épisodes de cette révolution où évoquant la mémoire des victimes. La mis en place après 45 d'un nouveau projet de société est le résultat de l'engagement d'une majorité de la population dans cette guerre qui était à la fois une lutte d'émancipation et d'affirmation nationale, mais également une lutte pour la transformation révolutionnaire des rapports sociaux dans le pays. Ceci est un des facteurs importants pour expliquer la montée en nombre et la radicalité des manifestations dont la dernière a eu lieu à Ljubljana le 8 février 2013. Le ministre Jansa dont les manifestants avaient demandé la démission n'avait rien de trouver de mieux que d'organiser un rassemblement dans le centre de Ljubljana pour l'appuyer, le même jour que celle prévue pour demander sa démission. Des cars avaient été organisés et Jansa a tout fait pour que le maximum de gens vienne à Ljubljana. C'était mal joué. L'initiative a été ressentie comme un provocation par ses opposants et piètre résultat, il n'y a eu au maximum, pour toute la Slovénie, que 9.000 personnes qui sont venues pour le soutenir. Par contre, dès trois heures de l'après-midi, la deuxième manifestation a commencé et de plus en plus de gens se sont présentés sur la place du congrès à Ljubljana. C'était une foule qui grossissait sans cesse, une foule active et joyeuse, avec de nombreuses pancartes et slogans, qui chantait l’Internationale et des chants révolutionnaires partisans. Finalement, un énorme cortège s'est formé et a défilé jusqu'à la place du parlement. Plus de 20.000 participants étaient présents dans une ambiance festive et qui remettait en cause la gestion de leur société. C'était un énorme échec pour Jansa et pour la politique de droite du gouvernement. L'initiative de contre-manifestation s'est retournée contre son auteur et a probablement porté un coup d'arrêt à sa carrière politique.

 Mais rien n'est réglé et il n'y a jusqu'à présent aucune force qui se soit structurée pour proposer une alternative politique à la population. Les invitation s à manifester se font de bouche à oreille ou plus encore par internet. Une autre manifestation est d'ailleurs prévue pour le 8 mars 2013. Pour arriver à définir une alternative politique et surtout un programme de rechange à opposer aux pratiques néo-capitalistes actuelles il faudra, pour commencer, s'appuyer sur les oppositions mises en places et réussies par les organisations syndicales en Slovénie. Les syndicats depuis l'irruption du néo-libéralisme dans le pays ont réussi à mettre en échec bon nombre de projets visant à détruire le modèle social existant. Retrait discret d'un projet de taxation uniforme, fixation du salaire minimum à un niveau dépassant de très loin celui pratiqué dans les autres pays ex-socialistes, rejet par voie de référendum de l'augmentation de l'âge de la retraite. Mais il y eu une reculade qui est très certainement à mettre sur le compte de l'inexpérience des pratiques syndicales dans les pays européens où la puissance syndicale est très affirmée ; Elle s'est traduite par l'acceptation d'une diminution de 8 % des salaires dans la fonction publique en échange de la promesse, non tenue évidemment, du respect du niveau de l'emploi. Mais les syndicalistes du secteur public ont réussi à rebondir, justement pour s'opposer à la diminution du niveau de l'emploi chez les fonctionnaires. C'est 100.000 personnes qui ont débrayé le 23 janvier 2013, plus 25.000 personnes qui ont manifesté leur opposition au projet gouvernemental de réduction des effectifs. Mais l'apport du syndicalisme à la constitution d'une force nouvelles d'opposition susceptible de proposer et de mettre en œuvre un projet de société non destructif ne suffira pas. Il faudra que d'autres forces se mettent en action. Pour ce faire, il faut noter qu'il existe déjà, surtout dans la jeunesse, pas mal de petits groupes alternatifs qui ont un grand besoin d'approfondir et de structurer le projet de société qu'ils postulent et s'ils parviennent à s'accorder réussiront à contribuer à la construction d'une opposition efficace. A cela il faut ajouter la présence importante de jeunes, la génération des 25 – 35 ans, ayant terminé leur études universitaires et qui ne trouvent à s'employer que de façon marginale, dans de petits boulots ou dans des emplois procurés par des agences d'intérim. Cette partie de la population, qui a un niveau élevé de formation, est marginalisée et exprime son mécontentement et ses aspirations dans les manifestations évoquées plus haut. Si elle arrivait à se structurer et à s'organiser, elle pourrait devenir une importante force du changement nécessaire dans le pays. 

 Il faudra continuer à suivre l'évolution qui a commencé en Slovénie et dont l'aboutissement et la possible réussite pourraient inspirer les autres opprimés de l'Europe du capital.

 Lucien Perpette