Retour sur le volet climat du plan adopté le 12 août par le Congrès étatsunien (« Inflation Reduction Act 2022 »), qui prévoit notamment des investissements de 370 milliards de dollars pour le climat et de 60 milliards pour la santé.
Le plan Biden parait ambitieux :
– 370 milliards de dollars alloués pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 ;
– Une série de mesures centrées sur des crédits d’impôt pour soutenir la production d’énergies renouvelables (30 milliards de dollars), pour « verdir » la production industrielle (10 milliards) et agricole (20 milliards), et pour créer une « banque verte » destinée à soutenir des projets de transition écologique (27 milliards) ;
– Des soutiens directs aux citoyenEs, primes pour l’achat de véhicules électriques, et des aides aux communautés victimes d’injustice climatique (60 milliards).
« Pacte de suicide climatique »
Mais ce plan est le fruit de nombreuses concessions aux intérêts des énergies fossiles et repose sur le soutien à l’investissement privé, dans une vision libérale classique de « croissance verte ». En s’appuyant sur Joe Manchin, élu démocrate de Virginie-Occidentale, les lobbies industriels ont eu la peau des dépenses sociales du plan initial (plan « Build Back Better » de 1 700 milliards de dollars, finalement retoqué). Et au total :
– 370 milliards de dollars : une somme qui n’a rien d’exceptionnel si on la compare au PIB des États-Unis (23 000 milliards en 2021) et au budget fédéral (6 000 milliards en 2022) ;
– Des primes pour l’achat de véhicules électriques alors que leur impact écologique global les disqualifie dans la lutte climatique ;
– Des aides aux communautés les plus pauvres que le soutien aux énergies fossiles risque de multiplier.
Ce plan ressemble à un « pacte de suicide climatique », selon le directeur étatsunien du centre pour la biodiversité. « C’est une révolution pour les énergies renouvelables appuyée sur une croissance des énergies fossiles », explique un responsable de Greenpeace.
Le plan prévoit de faciliter les autorisations d’exploitation des ressources fossiles et d’augmenter les investissements dans le « fracking » (fracturation hydraulique pour l’extraction du pétrole et du gaz de schiste). Les États-Unis pourront accélérer les livraisons de gaz de schiste vers l’Europe pour remplacer le gaz russe, au détriment du bilan « écologique » du plan.
Un symbole : les Démocrates se sont engagés à soutenir le projet d’un gazoduc vers la Virginie-Occidentale, le Mountain Valley Pipeline, contre l’avis des écologistes et de la justice locale.
Les crédits d’impôts pour les technologies de capture du carbone permettront d’accroître les subventions aux entreprises du charbon et du ciment…
Un compromis tragique
Comme le souligne le Monde1, « les énergies nouvelles seront liés aux fossiles dans la délivrance des permis d’exploiter sur les terres fédérales. Pas d’éoliennes ou de panneaux solaires sans que le département de l’intérieur (qui contrôle et préserve les terres appartenant à l’État) n’ait d’abord ouvert l’exploitation au gaz et au pétrole », revenant sur une promesse de Biden de suspendre tout nouveau permis sur les terres de l’État !
Darren Woods, PDG du géant énergétique ExxonMobil, a qualifié le plan de pas dans la bonne direction, et a soutenu les dispositions concernant le pétrole et le gaz.
Les dépenses sociales ont disparu, en particulier l’objectif de bâtir une vraie « sécurité sociale ». La gauche démocrate a perdu cette bataille : l’argent va d’abord aux entreprises, supposées assurer, avec l’aide de l’État, l’intérêt général.
Le moyen de faire passer la pilule est un ensemble de mesures qui s’attaquent aux effets les plus injustes de la politique fiscale du pays : baisse du prix des médicaments traditionnellement très élevé, établissement d’une taxe de 15 % sur les profits des multinationales qui échappent quasi intégralement à l’impôt sur les société, et une lutte plus rigoureuse contre la fraude fiscale.
Loin d’être une avancée historique, ce plan est un compromis tragique. Le gouvernement des États-Unis – comme les autres – sacrifie aux intérêts bien compris des grandes entreprises énergétiques, en limitant les mesures nécessaires face à l’urgence climatique.
- 1. Corinne Lesnes, « Aux États-Unis, le plan climat de Joe Biden suscite espoirs et réticences », le Monde, 10 août 2022.