Publié le Vendredi 2 octobre 2009 à 15h40.

Le roi de la Françafrique est mort, son fils Ali Bongo lui succède (par Souad Guennoun, www.cadtm.org)

Malgré les résultats des élections présidentielles contestés et les mobilisations populaires pour exiger leur annulation, Ali Bongo, candidat de la Françafrique a été déclaré Président du Gabon le 30 août 2009. La tristement célébre Garde Présidentielle et l’armée ont quadrillé Libreville et dispersé avec violence les manifestants. Symboles de la Françafrique et du régime d’Omar Bongo, le consulat de France et l’édifice du groupe français Total ont été incendiés. Au mépris de l’opposition du peuple gabonais, Sarkozy et Mohamed VI ont été les premiers à féliciter Ali Bongo et lui accorder leur bénédiction.

Omar Bongo : le Roi de la Françafrique

Ali Bongo, fils du hadj Omar Bongo hérite du pouvoir de son père décédé le 8 juin 2009 à Barcelone, âgé de 73 ans après plus de 40 ans de pouvoir au Gabon. Parrain régional de la Françafrique et de la Mafiafrique, installé en 1967 par Jacques Foccard, membre des réseaux maçonniques, ami et bras droit africain de tous les présidents de la Vème République française de De Gaulle à Sarkozy en passant par Mitterrand, Omar Bongo a aidé la France et ses multinationales à maintenir une domination coloniale politique, militaire, économique sur le Gabon et sur le continent africain.

Chef d’Etat le plus ancien de la région, Bongo a été l’ami des dictateurs africains parmi lesquels Mobutu du Zaïre, Théodoro Obiang Nguéma de la Guinée équatoriale et Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, père de sa dernière épouse. Obiang et Nguesso sont d’ailleurs accusés avec Omar Bongo de “ recel de détournement de fonds publics, blanchiment d’argent, abus de bien social, abus de confiance et complicités”. L’affaire est toujours en cours...

Morocco-Gabon connexion :

Depuis l’arrivée au pouvoir de Bongo en 1967, les relations diplomatiques entre le Maroc et le Gabon sont restées fortes et soutenues. Converti à l’islam et devenu Hadj Omar Bongo dès les années 1970, ami et proche de Hassan II, Bongo a soutenu la position marocaine sur le Sahara. |1| Des marocains sont intégrés dans sa Garde Présidentielle (GP) et prêtent main forte en cas de besoin. Les exactions de la GP, les meurtres par “accident”, les emprisonnements des opposants sont quotidiens.
Dans son livre “Les Affaires Africaines” publié en 1984 et resté interdit au Maroc, Pierre Péan révéla dans son enquête sur le Gabon que le poète Ndouma Depenaud, ancien mari de Mme Bongo a été exécuté par certains marocains de la GP en 1977.
“De 1975 à 1978, le Gabon a été la plaque tournante des mercenaires notamment Bob Denard, le plus célèbre d’entre eux”. Le parcours de ce mercenaire né au Maroc en 1929, mort en France en 2007, impliqué dans plusieurs coups d’Etat en Afrique est éloquent.

BOB DENARD : fils d’un militaire de la “coloniale”, il fait ses premières armes en Indochine. Après un stage aux USA en 1952, il rentre au Maroc, embauché dans une société américaine de gardiennage.i il est recruté dans la police du Maroc colonisé traque les nationalistes et prépare la destitution de Mohamed V. Il travaille au SDECE et pour l’Elysée dans le “réseau Foccard”au service de Jacques Foccard, maître tout puissant de l’ex - empire français. Mercenaire, on le retrouve lieutenant-colonel au Zaïre de Mobutu.En 1967 il monte la mutinerie du Katanga, puis envoyé au Biafra, fermier au Gabon, ami de Bongo, il se retrouve chef de sa Garde Présidentielle, et participe aux différents coups d’Etat commandités par le “réseau Foccard” .  |2|

Après la mort de Hassan II, l’amitié s’est poursuivie entre Bongo et Mohamed VI qui a fait plusieurs séjours au Gabon et s’intéresse au marché gabonais qui offre de grandes opportunités pour faire des affaires juteuses grâce aux privatisations des secteurs publics.
En 2007, Maroc Télécom signe avec le Gabon un accord de cession de 52% du capital de Gabon Télécom et un programme destiné à moderniser ce secteur estimé à 100 milliards de CFA. En 2008, la banque marocaine Attijariwafa Bank a acquis 51% du capital de l’Union Gabonaise Banque (UGB), 2ème banque du Gabon.
A l’apogée du néo-libéralisme, le marché gabonais attise les convoitises d’hommes d’affaires marocains qui y font de nombreuses visites. Jusque là, le Gabon exportait au Maroc essentiellement son bois et le Maroc lui exportait quelques produits alimentaires, des vêtements, des chaussures. Le Maroc accueille par ailleurs 300 étudiants gabonais et forme des cadres civils et militaires.
Fort de ces liens historiques, économiques et amicaux, Mohamed VI s’est empressé de féliciter Ali Bongo, le nouveau président contesté.

Le Gabon des Bongo....

La vie économique de ce petit pays d’1,3 million d’habitants est ponctuée de gigantesques escroqueries et projets aussi incensés que coûteux qui enrichissent Bongo et son entourage.
Assuré d’être élu à plus de 90% de sufrages à chaque élection, muselant toute contestation, suprimant ses opposants, Omar Bongo dirige le pays comme s’il s’agissait de sa propriété privée. Avec la crise du pétrole à la fin des années 70, Bongo déclare la priorité à l’agriculture, le Gabon lance la culture hors-sol ( hydroponique) dans un pays qui ne manque pourtant pas de terre fertile et un projet sucrier de 30000 tonnes/an alors que les Gabonais n’en consomment que 8000 tonnes.
Pour préparer le sommet de l’OUA (Organisation de l’Unité africaine |3|) à Libreville en 1977, des travaux démesurés sont lancés : palais des congrès, hôtels, routes, tous ces marchés sont passés sans appel d’offre.
La construction du Palais présidentiel confiée à trois architectes français et à une société française (SETIMEG), coûtera 1,5 milliards de francs français.
Puis vient son chemin de fer Le Trangabonais, pour exporter le fer de Belinga situé à l’extrême est du pays, qui traverse sa région natale, le Haut Ogoué et passe par Franceville destinée à devenir une nouvelle capitale. Ce gigantesque ouvrage, l’un des plus grands chantiers du monde, commencé en 1975, a entraîné la déforestation de 3 millions d’hectares.
Avec tous ces travaux, la dette du Gabon explose. La facture sera laissée au peuple gabonais, qui n’a que faire de ces projets faramineux.
Or Bongo est mort sans être jugé pour tous les crimes commis. Impliqué dans de nombreuses affaires comme celle du financement des campagnes électorales françaises, Omar Bongo avait la réputation de distribuer des valises à tous les partis politiques français de la gauche jusqu’à l’extrême-droite.
Quand éclate l’affaire ELF en 1994, le procès dévoile les circuits de l’argent “noir” du pétrole entre chefs d’Etats étrangers, les réseaux politiques français et les grands patrons.
Omar Bongo, aux premières loges de cette affaire politico-financière, est alors accusé de détournement de fonds de plusieurs millions d’euros entre 1989 et 1993.
Dans un rapport sur le blanchiment de l’argent sale aux USA, le Congrè US a estimé à 100 millions de dollars les sommes détournées chaque année pour Omar Bongo et son entourage.
Mais ils n’ont pas été condamnés par la justice... A l’inverse, le livre “Noir Silence” |4| paru en 2000, a valu à son auteur François Xavier Verschave un procès pour “offense à chefs d’Etats étrangers”. Il sera toutefois déclaré non coupable dans ce procès qui fera date.

Un autre coup de tonnerre a retenti le 5 mai 2009, lorsque la doyenne des juges d’instruction du pôle financier de Paris a déclaré recevable la plainte déposée par les associations Transparency International et Sherpa contre Bongo, Nguesso et Obiang. Mais cette décision judiciaire, historique en la matière, a suscité une réaction hostile du Parquet de Paris qui a fait appel dès le 7 mai car les plaignants n’auraient pas d’intérêt à agir dans cette affaire... Il appartient maintenant à la Cour d’appel de Paris de trancher cette question de recevabilité de la plainte |5|. Rappelons qu’une enquête des services de police lancée suite à une première plainte déposée en mars 2007 par les associations Sherpa, Survie et la Fédération des Congolais de la Diaspora avait clairement établi l’existence de biens mobiliers et immobiliers d’une valeur considérable |6| sans commune mesure avec les revenus déclarés de ces dirigeants et de leurs familles : 39 propriétés et 70 comptes bancaires appartenant à Omar Bongo et ses proches, 24 biens immobiliers et 112 comptes bancaires détenus par la famille Sassou-Nguesso, ainsi que les limousines achetées par la famille Obiang.

Des réparations tout de suite !

Le Gabon est riche en pétrole, bois, gisements de manganèse, fer, uranium. Malgré ces immenses richesses qui le classent à la 84ème place des pays les plus riches suivant son PIB, 62% des Gabonais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le Gabon est classé par le PNUD au 119 ème rang sur 177 avec un IDH (indicateur de développement humain ) moyen.

Si Omar Bongo est mort sans être jugé après 40 ans de pillage de son pays, son fils Ali Bongo qui a été placé pour lui succéder devrait rendre des comptes au peuple gabonais saigné à blanc.

Au Maroc, pays qui a entretenu et qui continue à entretenir des relations privilégiées avec la “dynastie” Bongo, nous devons également demander des comptes et exiger l’ouverture d’enquêtes sur les biens illicites de la famille Bongo et d’autres dictateurs comme Mobutu “choyés” dans les banques marocaines, contrairement aux migrants africains qui sont maltraités par l’Etat marocain.
Rappelons que les migrants africains ont dû fuir leur pays par nécessité, chassés par la famine, la misère, les guerres, qui n’ont fait que nourrir et enrichir tous ces héritiers de l’empire colonial qui nous maintiennent dans la dette, la domination, la subordination et l’injustice.
La Françafrique doir également rendre des comptes. Les pouvoirs qui ont servi la Françafrique doivent rendre des comptes à leur peuple.

Alors que le monde connait la plus grave crise économique depuis 1929, il est plus que temps pour nous, peuples du Sud, d’exiger des réparations pour la dette coloniale, écologique, historique, environnementale dont nous sommes victimes. Pour sortir de la crise, ceux qui en sont responsables doivent payer |7|.
Demander réparations c’est également pousser nos différents Etats à construire des relations solidaires et complémentaires basées sur la souveraineté des peuples et sur leur droit de disposer enfin d’eux-mêmes. Il est plus que temps de prendre notre avenir en main !

Le 26 septembre 2009.

 

Notes

|1| Ancienne colonie espagnole au sous-sol riche en phosphates, le Sahara occidental a été annexé en 1975 par le Maroc. Le Front Polisario combat pour l’autodétermination du Peuple sahraoui et fonde la République Arabe Démocratique Saharaouis en 1976.

|2| “Les Affaires Africaines” Pierre Péan, Editions Fayard,1984.

|3| L’OUA est l’ancêtre de l’Union africaine (UA)

|4| “Noir silence”, éditions les Arenes, François Xavier Verschave,président et fondateur de l’association Survie, il est mort en 2005.

|5| http://www.cadtm.org/Bongo-la-justi...

|6| http://www.afrik.com/article16729.html

|7| http://www.cadtm.org/Nous-ne-payero...