Publié le Samedi 24 mai 2025 à 12h00.

Lille : Retour sur la conférence de Mustafa Barghouti

Médecin et militant palestinien, fondateur de l’ONG Palestinian Medical Relief Society et ancien candidat à la présidence de l’Autorité palestinienne, Mustafa Barghouti a rassemblé plus de 300 personnes à la conférence publique du 14 mai à la Bourse du travail de Lille. Le militant palestinien a dressé un portrait fidèle et poignant de la situation dramatique du peuple palestinien.

L’événement a été organisé par le collectif des personnels de l’université de Lille mobilisé contre le génocide en Palestine, l’intersyndicale de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et les associations France Palestine Solidarité et La Ligue des droits de l’Homme.

Nommer les crimes

Mustafa Barghouti a ouvert son discours en énumérant trois typologies de crimes qui sont perpétrés actuellement en Palestine : la punition collective, le nettoyage ethnique et le génocide. Tout d’abord, « il s’agit bien d’un génocide » : à ce jour, 10 % de la population de Gaza a été tuée ce qui correspond à 6 millions de personnes en France et à 33 millions aux États-Unis. C’est plus de la totalité des personnes américaines tuées dans l’ensemble des conflits depuis la guerre d’Indépendance. Le matériel explosif utilisé dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre correspond à 50 kg d’explosif par personne c’est-à-dire 5 fois l’explosion nucléaire de Hiroshima et Nagasaki ; 90 % des bâtiments ont été détruits. Depuis 73 jours, Israël impose aux GazaouiEs une punition collective, en les privant du pain, de l’eau et de médicaments. 75 000 enfants sont dénutris et vont mourir de faim dans les prochains mois.

Il rappelle que l’ONG « Palestinian Medical Relief Society » dispose de 18 équipes qui traitent de milliers de patientEs. 112 000 personnes souffrent d’hépatite et d’autres infections dues au manque d’hygiène et d’eau potable. Des maladies telles que la poliomyélite, la diphtérie et le tétanos, éradiquées il y a 30 ans, réapparaissent. Il nous explique alors que ce qui à ses yeux est intolérable : que l’armée d’Israël vaccine ses soldats en dévoilant une volonté de mener une véritable guerre biologique à Gaza.

Dans la bande de Gaza, la plupart sont réfugiéEs depuis 1948 et subissent des déplacements continus. Certaines familles ont été déplacées jusqu’à 16 fois depuis la Nakba.

Dénoncer le plan sioniste d’évacuation de la Palestine

« Netanyahou ne cache pas ses intentions : il compte déplacer par la force la population de Gaza et construire le plus grand camp de concentration de l’histoire ». La ville de Rafah est aujourd’hui complètement détruite. Ce qu’on voit, ce n’est pas seulement une politique d’occupation ou d’apartheid mais un véritable projet de colonisation, comme on a pu le voir dans l’histoire internationale. Ce que les gens ne savent souvent pas, c’est qu’en 1948 ils n’ont pas uniquement déplacé 70 % des personnes, ils ont aussi détruit 523 villages. L’État d’Israël est toutefois encore aujourd’hui confronté à un « problème démographique » : les PalestinienNEs sont 7,3 millions tandis que les Israéliens sont 6 millions. « Les sionistes ne veulent pas de solution à deux États ; ils ne veulent pas non plus un seul État démocratique où tout le monde peut vivre ensemble ; ce qu’ils veulent est l’expulsion des Palestiniens ».

Il rappelle ensuite que le plan sioniste d’évacuation de la Palestine n’a pas commencé le 7 octobre. Cette date pour lui n’est pas un début mais le résultat de cette politique, ce qui lui a valu un tonnerre d’applaudissements. Il y avait déjà une situation de siège à Gaza commencée en 2006 et personne ne s’en occupait. La politique sioniste œuvrait aussi à travers le processus de normalisation des rapports de certains pays arabes avec Israël. Le dernier exemple en date est celui de la Syrie où il n’est pas question de remettre sur la table la restitution du Golan. Afin d’illustrer la politique d’apartheid, il explique que la loi qui garantit le droit à l’autodétermination sur la Palestine historique est exclusivement réservée aux juifs. Il dispose lui-même d’un passeport israélien tout en étant exclu de ce droit fondamental.

Le drame de la Cisjordanie

En Cisjordanie, la situation est souvent méconnue. Il y a eu l’éviction des réfugiéEs de Jénine et Tulkarem. On parle beaucoup des otages israélienNEs mais on ne parle pas des prisonnierEs palestinienNEs détenus en Cisjordanie qui meurent sous la torture et à travers des exécutions de masse. Il y a actuellement 3 500 prisonniers en détention administrative sans aucune charge légale et au mépris des règles du droit international ; 660 corps palestiniens n’ont pas été rendus aux familles, les privant de rites funéraires ; 320 collègues de son association sont mortEs tandis que les journalistes font l’objet d’un ciblage inédit jamais enregistré dans aucune guerre.

Une réalité intolérable et indicible

Le public n’a pas pu retenir les larmes quand le médecin a raconté que l’une de ses collègues a dû amputer la jambe de son neveu tandis qu’un enfant de 5 ans demandait à son père si ses jambes repousseraient quand il sera grand. Un père a assisté à la mort de ses 6 enfants alors qu’il cuisinait pour la communauté locale. L’histoire de la petite Hind Raja qui a hurlé pendant 3 heures en regardant ses frères mourir a déchiré l’auditoire. Le peuple de Gaza fait preuve d’une résilience incroyable. Barghouti s’en prend ensuite aux promesses de l’Occident et du droit international auxquelles il a cru : « Où est-il le droit international ? La non violence ? Les enseignements sur la  démocratie ? Les droits humains ? ». Mais le désespoir et la tristesse ne suffisent pas, il faut agir car le génocide ne peut se produire que lorsque les indifférents se taisent.

Il rappelle en conclusion qu’après avoir vécu deux Intifada et toutes les horreurs de la guerre, il est encore convaincu que rien au monde ne pourra détruire la Palestine. Comme au Vietnam, en Algérie ou en Afrique du Sud, son peuple triomphera. Mustafa Barghouti prend ensuite le temps de répondre aux très nombreuses questions du public dont certaines, plus politiques, viennent de la communauté palestinienne et portent sur son implication dans les accords d’Oslo et son point de vue sur le plan de partage de la Palestine en 1967. Le médecin militant reconnait la nature du piège qui a été tendu aux PalestinienNEs, ayant signé un accord sans garanties et qui a été suivi par une intensification de la colonisation notamment à travers l’installation de 850 000 colons illégaux en Cisjordanie. Il évoque ensuite l’urgence de réclamer la fin de la colonisation et du génocide et la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

Hélène Marra