Le week-end dernier, le Premier ministre français Édouard Philippe, accompagné de la ministre de la Défense et du secrétaire d’État attaché à l’intérieur, et d’une petite délégation patronale, s’est rendu au Mali. Il s’agissait surtout de marquer le soutien militaire de la France à l’actuel président malien Ibrahim Boubacar Keita (« IBK »), confronté non seulement au chaos qui règne dans le nord du pays depuis 2013, et à une insécurité généralisée, mais aussi à une fronde sociale sans précédent. La délégation patronale française était là pour veiller à ses affaires !
Salaires impayés et décès de cheminots
En effet, les grèves se multiplient depuis plusieurs mois au Mali, grèves des fonctionnaires, des magistrats, ou de 62 000 enseignantEs qui ont paralysé le système éducatif au cours mois de janvier. Ils ont été accompagnés du 9 au 11 janvier par une grève générale, pour protester contre la vie chère et le non-paiement des salaires.
C’est dans ce contexte que plusieurs cheminots de la ligne Dakar-Bamako, en lutte depuis bientôt deux ans, sont morts des suites d’une grève de la faim qu’ils mènent depuis le 18 décembre. Deux enfants et l’épouse d’un cheminot sont également décédés, suite à la malnutrition et au manque de soins
Privatisation-renationalisation : la pompe à fric
À l’origine de ce conflit, la privatisation de cette ligne de 1 270 kilomètres entre Sénégal et Mali, en 2003, sous la pression des bailleurs de fonds (FMI, Agence française de développement, etc.), qui l’avaient imposée aux gouvernements sénégalais et malien, conditionnant à cette privatisation l’octroi de prêts. Et c’était un consortium franco-canadien, Transrail, possédé par Canac-Getma, grand rival de Bolloré en Afrique, qui avait racheté le réseau pour une durée de 25 ans ! Cette reprise s’était accompagnée d’une première vague de licenciements, gage selon le nouvel employeur d’une bonne gestion et d’un meilleur fonctionnement… et surtout de meilleurs profits. Mais, à l’inverse de ses promesses d’investissements, Transrail a rapidement laissé tomber l’activité voyageur pour se consacrer uniquement au fret, jugée plus rentable, jusqu’à usure du matériel et des installations. En 2015, Transrail se retirait, obligeant les État sénégalais et malien à reprendre l’activité. La nouvelle structure bi-étatique, Dakar-Bamako ferroviaire (DBF) s’est donc retrouvée dès le début totalement déficitaire et a mis au chômage technique ses employéEs. Au Mali, l’arrêt de la ligne, en plus de condamner à la ruine des milliers de petitEs commerçantEs qui dépendaient de son fonctionnement pour faire tourner leur activité, a eu pour conséquence de jeter à la rue les 500 cheminotEs, qui ont cessé de recevoir tout salaire.
Depuis lors, ils se mobilisent pour exiger le versement des arriérés de salaires. Le gouvernement n’a jusque-là accepté de verser que deux mois de salaires, dont les sommes ont aussitôt été saisies par les banques auprès desquelles les grévistes avaient dû, pour survivre, lourdement s’endetter.
Du coton bio pour se boucher les yeux et les oreilles
C’est face à cette situation désespérée, ayant déjà conduit au décès de plusieurs cheminots ou de membres de leurs familles qui, malades n’ont pas pu se faire soigner correctement, que plusieurs des cheminots mobilisés ont entamé, à la gare ferroviaire de Bamako, en plein centre-ville, cette grève de la faim publique pour interpeller l’opinion.
En dépit de la vive émotion provoquée par les décès de cheminots grévistes, il n’y a pas que le gouvernement malien qui se montre totalement indifférent : Édouard Philippe n’en a pas touché mot, lui qui est venu à Bamako renflouer la trésorerie de l’État malien à coup de millions d’euros afin que perdurent les affaires des trusts français. Il s’est contenté de promettre « la paix et la prospérité » grâce aux promesses d’achat de coton bio par Carrefour.
Étienne Bridel