Publié le Vendredi 10 décembre 2010 à 14h25.

Martinique : procès contre Ghislaine Joachim-Arnaud, secrétaire générale de la CGTM

À la suite de 
la plainte du béké 
Jean-François Hayot de l’association Respect DOM, la secrétaire générale de la CGTM doit comparaître 
le 15 décembre devant le tribunal correctionnel de Fort-de-France, pour « incitation à la haine raciale ».

Lors d’une émission sur la chaîne de télé ATV, Ghislaine Joachim-Arnaud, secrétaire générale de la CGT Martinique, a écrit sur le livre d’or de la chaîne le slogan scandé durant trente-huit jours par les manifestants du mouvement de février-mars 2009 « Matinik sé ta nou, Matinik sé pa ta yo. An ban bétché pwofitè, volè ; nou ké fouté yo déwô » (« La Martinique est à nous, la Martinique ce n’est pas à eux. Une bande de békés voleurs, profiteurs ; nous allons les foutre dehors »). Une plainte a été déposée contre elle par l’association Respect DOM dirigée par Jean-François Hayot, lequel appartient à l’une des familles les plus riches de l’île. C’est pour cela que la syndicaliste est poursuivie pour racisme envers un groupe de personnes, en l’occurrence les békés. Elle est par ailleurs dirigeante de Combat ouvrier, ainsi que du Collectif du 5 février (K5F) à l’origine de la grève générale de 2009.

 Appréhendez-vous le procès qui vous est intenté ?

Ghislaine Joachim-Arnaud. Très sereinement et avec beaucoup de détermination. Je suis en accord avec ma conscience, avec ce que des milliers de travailleurs, de jeunes retraités et de chômeurs disaient dans la rue en février-mars 2009. J’ai le sentiment de respecter leur opinion. 

Après les grèves contre la «pwofitasyon», les békés ne sont-ils pas en train d’essayer de prendre leur revanche ?

Ghislaine Joachim-Arnaud. Bien sûr que les capitalistes békés cherchent à se venger. C’est le système qui veut cela. Ce qu’on a gagné, aujourd’hui, est souvent remis en cause demain. On est donc toujours obligé de se battre pour le préserver. C’est pour cela qu’à la fin du mot d’ordre chanté durant le mouvement de février-mars, j’ai ajouté que ce combat-là « il nous faut le continuer ». Ces grèves n’ont pas remis en cause les structures de la société. Le mouvement, c’était contre la vie chère, contre le chômage, pour l’emploi, le respect du fait syndical martiniquais. On a obtenu en partie satisfaction sur des revendications. D’autres points n’ont, jusqu’ici, pas encore été négociés. Pour les prix, dans les hypermarchés, il faut sans cesse les contrôler. Je pense aux quatre cents articles négociés durant les grèves. Le combat est permanent pour faire comprendre aux exploités, d’ici ou d’ailleurs, que les profiteurs sévissent partout.

 Comment, selon vous, est expliqué le mot béké en Martinique ?

Ghislaine Joachim-Arnaud. Le mot béké, aux Antilles, a un sens que certains ne veulent pas comprendre. Quand on part travailler, on s’arrête des fois pour « un petit milan » (parler). À un moment, il est coutume de dire « fok moin alé fè travail betché ya ! » (« Il faut que j’aille faire le travail du béké »). Que l’on travaille dans l’administration, ou dans le privé, parler du patron c’est parler du béké.

Nombreux sont ceux qui ont scandé ce slogan qui vous vaut d’être poursuivie. N’y a-t-il pas autre chose ?

Ghislaine Joachim-Arnaud. À mon avis, cette autre chose qui me vaut d’être poursuivie par les békés est qu’ils ont quelque part été ébranlés par les revendications des travailleurs. Quelque part, ils cherchent à dissuader la population pauvre, laborieuse et démunie de se battre. Ils veulent gommer ces jours, où des milliers de gens sont descendus dans la rue et prirent conscience de leur capacité à faire quelque chose. Gommer cela de la conscience collective. En s’attaquant à moi, et demain à d’autres militants, ils cherchent à faire peur aux masses.

 Êtes-vous la seule à être aujourd’hui poursuivie, ou d’autres syndicalistes le sont-ils aussi ?

Ghislaine Joachim-Arnaud. Plusieurs militants syndicaux ont déjà été convoqués devant le SRPJ de Fort-de-France. Certains ont leur date de procès, d’autres ne l’ont pas encore. Cette curée aux travailleurs provient de la même veine : une répression pour faire peur aux combattants.

 Que ressentez-vous lorsque vous parlez des pressions et combines des békés contre les travailleurs. ?

Ghislaine Joachim-Arnaud. C’est ce même système qui fait qu’en Haïti, depuis le tremblement de terre en janvier – il y a presqu’un an –, des milliers de gens vivent sous des toiles. Des milliers de gens subissent, aujourd’hui, le choléra. Et la société est en capacité d’éviter ces problèmes. C’est révoltant de voir que rien n’est fait. Derrière tout cela, ce sont les démunis qui vont payer pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. Tout ça, c’est le côté barbare du capitalisme.

 Que disent les Martiniquais de ce procès que l’on vous a intenté ?

Ghislaine Joachim-Arnaud. Sur les marchés, lors de distribution de tracts, les gens disent leur sympathie. Ils me disent de ne pas lâcher. Ils disent qu’eux aussi devraient être traduits devant les tribunaux, parce qu’ils ont, eux aussi, dit ce pourquoi je suis traduite devant les tribunaux. Tout le monde n’est pas d’accord avec la lutte des travailleurs. Mais dans l’ensemble, pour la population, ce qui m’arrive est injuste et mon procès n’est pas celui de Joachim-Arnaud, mais celui de tous ceux qui étaient dans les rues en février 2009.

Qu’est-ce qui pourrait bouger le 15 décembre, jour de votre procès ?

Ghislaine Joachim-Arnaud. Il y aura du monde au tribunal. Pour l’instant il est encore tôt pour évaluer. Mais nous travaillons pour faire comprendre que ce combat des pauvres, des exploités, des chômeurs, aux Antilles contre les békés capitalistes et autres exploiteurs est le même pour tous les travailleurs du monde. Dans l’Hexagone, les travailleurs sont descendus dans les rues contre la réforme des retraites. Contre le chômage et la cherté de la vie. Il faut qu’ils prennent conscience de leur force. Qu’ils sachent que par leur implication dans ce combat, ils arriveront, un jour, à transformer le système.

 Ce procès pour racisme ne vous incite-t-il pas à vous poser des questions ?

Ghislaine Joachim-Arnaud. Je fais partie d’une organisation syndicale qui est la CGTM, qui existe depuis plus de quatre-vingts ans. Le combat de la CGTM est contre l’exploitation, contre le colonialisme, contre le racisme… Ceux-là mêmes qui me taxent de raciste se sont trompés de chemin. Qu’ils prennent donc la responsabilité de leur plainte. Le procès servira à faire la démonstration qu’ils se trompent ou cherchent à tromper les gens. Le jour du procès, il y aura sûrement du monde au tribunal. Pour l’instant, il est encore tôt pour évaluer. Mais nous faisons ce qu’il faut pour être nombreux sur place.

Par Fernand Nouvet. Interview parue dans l'Humanité du jeudi 9 décembre 2010.