Publié le Mardi 3 mai 2011 à 11h58.

Nationalistes hindous et verdict de Godhra

En Inde, deux évènements récents ont mis les projecteurs sur le rôle des nationalistes hindous dans des attentats de 2006 et 2007 et dans les émeutes communautaires de 2002.

En décembre 2010, Swami Aseemanand, membre d’une organisation nationaliste hindoue, le RSS1 (Rashtriya Swayamsevak Sangh), vient de confirmer l’implication de son groupe dans des attentats à la bombe. Les attentats commis en 2006 et 2007 avaient été attribués à des organisations musulmanes extrémistes. Sa confession recueillie par un juge prouve l’existence d’un réseau terroriste hindou.

Le 22 février 2011, neuf ans après, le jugement concernant le carnage de Godhra a été rendu. 31 musulmans ont été jugés coupables de complot et de meurtres après que 59 passagers hindous ont péri lors de l'incendie d’une voiture d’un train fin février 2002 dans l’État du Gujarat. Cet évènement avait été le démarrage de violences dans lesquelles sont morts plus de 2000 musulmans. Alors que le BJP2 (Bharatiya Janata Party), était au pouvoir, ces violences ont eu une ampleur exceptionnelle: loin des émeutes communautaires traditionnelles et proches du pogrom organisé avec la complicité de l’État régional. Aujourd’hui, le verdict concerne le premier acte anti-hindou, mais pas le rôle du BJP et de son premier ministre pour avoir encouragé les émeutes antimusulmanes qui ont suivi en ordonnant à la police de ne pas intervenir.

Les liens entre les deux organisations nationalistes hindoues.

Le BJP et le RSS ont des liens idéologiques et des liens personnels étroits malgré une séparation organisationnelle et d’objectifs.

Créé en 1989, le BJP veut donner l’image d’un parti conservateur de centre droit. Il fait appel tout à la fois au vote hindou et au vote de l’élite indienne qui le voit comme un parti moderne et laïque. Il a formé une coalition électorale de centre droit, le NDA3 qui a été au pouvoir central à Delhi de 1998 à 2004. Il a perdu les élections en 2004 mais il est toujours le parti au gouvernement dans 8 états fédéraux dont le Gujarat et le Chhattisgarh. Narendra Modi, Premier ministre de l’État du Gujarat, est mis en cause lors des émeutes communautaires en février-mars 2002. C’est un ancien cadre du RSS et membre du BJP.

 

Créé après la vague révolutionnaire de 1920, le RSS est l’organisation mère de toutes les organisations d’extrême-droite hindoue. Elle se définit comme une association culturelle de droite aux positions anti-islam très tranchées et prône l’idéologie nationaliste de l’Hindutva, c'est-à-dire «l’identité hindoue». C’est un groupe fasciste mais qui n’assume pas un discours de légitimation de la violence, car le reconnaître le mettrait hors la loi. Il préfère les démonstrations de force lors de ses rassemblements aux allures militaires. Il revendique 2 millions de membres. Des commissions d’enquête ont reproché au RSS ou à des organisations affiliées comme le Bajrang Dal leur participation aux émeutes de 2002. Mais très peu d’hindous ayant participé à ces massacres ont été condamnés.

Les massacres lors des émeutes communautaires de 2002.

Le 27 février 2002, des nationalistes hindous revenaient d’un pèlerinage de la ville sainte d’Ayodhya. Dans le train, ils se sont comportés de façon très vindicative vis-à-vis des autres passagers ou des vendeurs des gares, musulmans ou non, les obligeant à clamer le nom de leur dieu Ram. Lors d’un arrêt en gare de Godhra, quartier musulman, un des wagons fut attaqué et son incendie fit une cinquantaine de morts parmi les nationalistes hindous. Des cérémonies post-mortem publiques furent organisées. Narendra Modi déclara qu’il s’agissait d’un acte de violence terroriste prémédité de longue date. Lors de réunions avec les responsables de la police, il expliqua qu’il ne fallait pas réprimer les hindous qui allaient probablement réagir.

 

Ce furent des escouades de camions d’hindous en short kaki (l’uniforme du RSS) qui débarquèrent dans les quartiers musulmans d’Ahmedabad et dans les villes du Gujarat. Les groupes étaient bien organisés, équipés de portables pour communiquer avec un Quartier Général, avec des listes des maisons et des commerces musulmans. Ils se livrèrent au pillage puis incendièrent les maisons en faisant exploser des bonbonnes de gaz. Ils se livrèrent au viol collectif des femmes, leur firent avaler de force du kérosène pour ensuite les brûler vives. Cette organisation des massacres laissait supposer des violences préméditées et coordonnées. Les violences durèrent plusieurs jours dans plusieurs villes sans réaction de la police et avec la bienveillance active du gouvernement4. 200000 personnes ont fuit les violences et ont été hébergés dans des camps de réfugiés. Beaucoup de musulmans ne sont jamais revenus dans cet État. Ceux qui sont restés vivent dans des quartiers ghettoïsés.

Le rôle du BJP dans les émeutes de 2002

Depuis 2003, le rôle du BJP et des nationalistes hindous est connu. Mais ils n’ont jamais eu de comptes à rendre à la justice en tant qu’organisations. Cela est dénoncé par des journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et par les militants de gauche. Des enquêtes judiciaires organisées au niveau du Gujarat ont blanchi la police et le gouvernement régional.

L’an dernier, une équipe d’investigation spéciale a été mise en place par la Cour Suprême au niveau national. Elle a interrogé l’actuel premier ministre du Gujarat Narendra Modi, toujours membre du BJP. Les journaux ont retenu sa mise hors de cause, alors qu’il est impliqué dans le laissez-faire de la police lors des émeutes, mais sans charges substantielles. Le rapport sur son interrogatoire du 12 mai 2010 fait état d’un état d’esprit communautaire, de discours enflammés lors des émeutes, de la destruction de preuves, de la désignation de membres du RSS comme officiels de l’administration, de la présence de ministres dans les QG de la police pendant les émeutes.

Le magazine d’investigation indien Tehelka révèle que la police n’a pas enquêté sur le rôle du BJP et du VHP (Vishva Hindu Parishad)5. Cette organisation nationaliste hindoue est responsable de l’agitation autour du site d’Ayodhya. Elle avait mobilisé les hindous pour la construction du temple dédié à Ram après la démolition de la mosquée Babri Masjid à Ayodhya. Cela avait donné lieu à des violences interconfessionnelles très organisées en 1992. La présentation des corps des victimes du train incendié aux membres du VHP ne pouvait que provoquer et entraîner des déchaînements de violence.

Concernant le BJP, il apparaît que si le gouvernement du Gujarat a réquisitionné l’armée rapidement, il ne s’est pas demandé pourquoi elle n’est pas intervenue à temps pour éviter les massacres. Un officier supérieur de la police témoigne d’actes inconstitutionnels de Narenda Modi, mais d’autres policiers ne veulent pas collaborer aux témoignages.

Le magazine Tehelka s’interroge donc pourquoi la commission d’investigation spéciale n’aurait pas assez de preuves pour aller plus loin et poursuivre Modi en justice.

Le verdict de l’incendie du wagon de train à Godrah

Sur les 94 inculpés musulmans, 63 ont été acquittés, 11 sont condamnés à mort et 20 à l’emprisonnement à vie, alors qu’il a été prouvé que la police avait encouragé des témoins à donner de faux témoignages, notamment des membres du VHP et qu’elle a arrêté indistinctement des musulmans de Godhra et les a accusés du crime et que des confessions obtenues par la torture ont été suivies de rétractations.

Dans ce verdict, l’accent est mis sur le rôle présumé des musulmans dans l’incendie. C’est le scénario de la conspiration prévue et planifiée contre les pèlerins hindous qui a été retenu. Cela veut expliquer et justifier les représailles hindoues qui ont suivi.

Le BJP a accueilli favorablement le jugement. Il continue à ne rendre aucun compte sur son rôle dans les émeutes communautaires. Les militants radicaux dénoncent qu’il ne peut pas y avoir de justice dans un état présidé par le BJP.

Christine Schneider, le 27 février 2011.

Post scriptum: A l’heure où cet article sera publié, le 24 avril, les accusations contre le gouvernement régional BJP du Gujarat sont relancées. Un haut fonctionnaire Sanjiv Bhatt, responsable policier à l’époque, vient d’enregistrer solennellement un affidavit. Il affirme que Modi a déclaré le 27 février 2002 devant les forces de police du Gujarat qu’elles devaient «laisser les émeutiers exprimer leur colère». Son témoignage déposé en 2002 n’avait pas été retenu. Le ministre de l’intérieur du gouvernement fédéral indien P. Chidambaram vient de le soutenir publiquement.

[1] RSS, Rashtriya Swayamsevak Sangh ou Association des Volontaires Nationaux[1]

2 BJP, Bharatiya Janata Party ou Parti du Peuple Indien

3 NDA, National Democratic Alliance, coalition de centre-droit, conduite par le BJP

4 Christophe Jaffrelot, Les violences entre Hindous et Musulmans au Gujarat en 2002, http//www.ceri-sciences-po.org

5 VHP, Vishva Hindu Parishad ou Assemblée Hindoue universelle