L’annonce par le président du Nigéria de la fin des subventions à l’essence a déclenché une grèvequi est aujourd’hui suspendue après un recul partiel du pouvoir.
Pour de nombreux habitantEs du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, le nom de leur président Goodluck Jonathan (littéralement « Bonne chance Jonathan ») ne rime décidément plus avec bonheur, mais plutôt avec malheur. Ainsi, la semaine dernière à Lagos, la capitale économique du pays, des milliers de manifestantEs scandaient son nom transformé en « Badluck Jonathan ».
Au 1er janvier, le président en exercice de ce pays de160 millions d’habitants qui est le premier producteur pétrolier d’Afrique annonça, par surprise, la suppression pure et simple des subventions sur le prix du carburant. Jusqu’ici, l’essence était lourdement subventionnée par l’État, à hauteur d’environ huit milliards de dollars par an.
En soi, la suppression de la subvention sur l’essence n’était pas vraiment scandaleuse, puisque celle-ci bénéficiait aussi aux revenus supérieurs. Les classes moyennes et supérieures du Nigeria aiment rouler en grosses cylindrées, gaspillant énormément d’essence. Arrêter de faciliter le gaspillage de carburant et d’encourager la pollution n’est donc pas le problème. Mais aucune compensation n’était prévue pour les populations pauvres, alors que 70 % des habitantEs du Nigeria vivent avec moins de deux dollars par jour.
Ainsi, une partie non négligeable du budget de ceux qui ne roulent pas en grosses voitures rutilantes était déjà consacrée aux frais liés aux produits pétroliers. Que ce soit pour payer les transports collectifs (bus, minibus) ou encore le carburant qui alimente les générateurs électriques dans un pays où les coupures d’électricité sont fréquentes. Dès lors, ces frais auraient doublé brutalement.
Grève générale
À partir du lundi 9 janvier, les syndicats les plus importants du pays, réunis en deux confédérations (Nigeria Labour Congress/NLC et Trade Union Congress/TUC), ont entamé une grève générale contre cette décision du gouvernement. Celle-ci a affecté de nombreux secteurs, les transports collectifs étant en bonne partie paralysés et beaucoup de commerces fermés, mais dans un premier temps pas la production pétrolière elle-même, concentrée dans le delta du Niger et sur des plateformes off-shore. Les deux principaux syndicats du secteur restaient en effet réticents : il faut plusieurs jours pour arrêter une installation pétrolière, et encore plusieurs jours pour la faire redémarrer.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté, à plusieurs reprises, à travers le pays. À Lagos, vendredi 13 janvier, environ 10 000 manifestantEs se sont rassemblé et ont dansé au son de l’Afrobeat, alors que 2 000 musulmans se retrouvaient sur la même place pour effectuer leur prière du vendredi sur le lieu de protestation. Cependant, dans une mégapole de la taille de Lagos, la mobilisation pour les manifestations est resté relativement faible, même si la grève était bien suivie par ailleurs. C’est que les événements des quinze jours précédents, marqués par une tension croissante entre groupes ethniques et religieux – les attentats de la secte islamiste Boko Haram contre des chrétiens dans le Nord, des actes de vengeance contre des musulmans au Sud –, avaient empoisonné l’atmosphère. Malheureusement, dans certains endroits, les tensions entre groupes de population se sont d’ailleurs mêlées à la mobilisation sociale, ce qui n’était pas le cas à Lagos. À Benin City, ville d’un million d’habitantEs, des attaques contre la mosquée centrale ont été perpétrées par des centaines de personnes jaillissant des manifestations de protestation sociale des 9 et 10 janvier.
Recul du pouvoir
À la fin de la semaine dernière, l’un des deux principaux syndicats du secteur pétrolier, Pengassan, a annoncé qu’à partir du dimanche à minuit, l’industrie pétrolière entrerait à son tour dans la grève. Auparavant, des négociations tenues le jeudi 12 janvier entre les syndicats et le gouvernement avaient échoué. De nouvelles tentatives de négociation ont eu lieu le week-end, la grève étant suspendue.
Lundi 16 janvier, le président Goodluck Jonathan a annoncé un recul partiel sur sa décision de supprimer les subventions. Ainsi, au lieu de passer de 65 nairas (environ 30 centimes d’euro) à 140 nairas initialement prévus, le nouveau prix du carburant baissera d’environ 30 %, pour se situer désormais à 97 nairas.
Les syndicats ont déclaré qu’ils restaient en désaccord avec l’argumentation et qu’ils demandaient son annulation complète. Néanmoins, le même jour, ils appelaient à une « suspension » de la grève. Auparavant, le gouvernement avait cherché l’épreuve de force. L’armée fermait l’entrée au lieu de rassemblement des protestataires de la semaine dernière – un parc –, et des soldats occupaient le terrain. Seuls 300 manifestants ont réussi à se rassembler et ont été dispersés violemment. Après l’annonce des syndicats portant sur un report sine die de la grève, le président Jonathan a menacé tous les manifestants qui sortiraient désormais dans la rue d’être « arrêtés, traduits en Justice et accusés de haute trahison ».
La répression semble désormais l’emporter, alors que le recul du gouvernement n’est que partiel. L’affaire est à suivre.
Bertold du Ryon