Les élections au Nigeria, une des premières puissances économiques de l’Afrique, viennent de se terminer avec la victoire de Muhammadu Buhari au premier tour (plus de 55 % des voix) contre son rival Atiku Abubakar. Malgré la débauche d’argent dépensé, évalué à 168 millions d’euros, le taux de participation est resté faible, seulement 35,6 %.
En 2015, la première victoire de Muhammadu Buhari avait suscité beaucoup d’espoir, notamment parmi les couches populaires et la jeunesse. Il s’était engagé à promouvoir le changement dans un pays qui avait connu 16 ans de pouvoir du PDP (People’s Democratic Party). Un changement qui devait s’articuler autour de trois idées fortes, l’économie, la sécurité et la lutte contre la corruption.
Deux candidats pour une même politique
Les résultats sont loin d’être au rendez-vous. La crise économique a empiré avec l’augmentation du prix des carburants et la dévaluation de la monnaie locale, le Naira, entraînant une dégradation du pouvoir d’achat des populations.
Malgré les déclarations de Buhari, le groupe islamiste Boko Haram est loin d’être vaincu. Certes des victoires militaires ont pu être obtenues, mais les militants islamistes se sont réorganisés et continuent leurs attaques sanglantes. Alors que Buhari obtenait la libération des jeunes filles enlevées à Chibok, Boko Haram procédait à de nouveaux kidnappings d’écolières à Dapchi Yobe. À cela s’ajoutent les conflits violents entre agriculteurs et pasteurs qui faute de médiation et d’intervention de l’État dégénèrent avec son lot de victimes, de rancœur et de haine. Tandis que le banditisme sévit dans les régions reculées du pays.
Quant à la lutte contre la corruption, elle est surtout utilisée pour éliminer les adversaires politiques…
Atiku Abubakar, le candidat du PDP, n’est guère engageant. Homme d’affaires éclaboussé par des scandales financiers, il a pour ambition de « remettre le Nigeria au travail » (« Get Nigeria Working Again »). Son programme n’est qu’une accentuation de la politique libérale de déréglementation, avec comme objectif phare la privatisation de l’industrie pétrolière. Son autre mesure phare est l’amnistie de tous les individus condamnés pour corruption, avec l’argument qu’ils reviendront et dépenseront leur argent au pays. Une sorte de variante nigériane de la théorie du ruissellement…
À la recherche d’une autre voie
La recherche d’une alternative à ces deux candidats et leurs politiques libérales a permis l’émergence de la candidature d’Omoyele Sowore, fondateur du parti African Action Congress (AAC). Cet ancien dirigeant étudiant, militant des droits humains, a réussi à surfer sur le rejet, par une grande partie de la jeunesse des deux candidats septuagénaires. Sa campagne, axée sur les réseaux sociaux, a été dynamique, mais s’est vite heurtée à une faiblesse politique. En effet, Sowore reste renfermé dans un populisme où la crise économique est expliquée seulement par la corruption – éludant la question du partage des richesses – et la crise politique par un simple problème de leadership qu’il prétend naturellement régler par sa candidature. Significatif est sa revendication radicale d’un salaire minimum de 100 000 Naira financé par… une réduction d’effectifs. Son score a été décevant, atteignant un peu moins de 34 000 votes (0,12 %).
L’élection présidentielle était couplée avec les élections des parlements régionaux, permettant à la gauche radicale de se présenter dans quelques régions, mais hélas de manière très marginale.
Il est certain que, pour son second mandat, Muhammadu Buhari ne connaîtra pas l’état de grâce dont il avait pu bénéficier en 2015. D’autant qu’au Nigeria les organisations syndicales restent puissantes, elles ont été d’ailleurs un élément décisif dans la chute de la dictature à la fin des années 1990. À cela s’ajoute l’émergence d’une société civile militante notamment dans les bidonvilles des grandes métropoles. Autant d’atouts pour résister aux offensives libérales.
Paul Martial