Daniel Ortega, candidat à son quatrième mandat consécutif à la présidence du Nicaragua, ne prend aucun risque. Bien que président depuis 2007, bien qu’il domine également l’Assemblée nationale et la Cour suprême, et bien que lui, sa famille et ses amis possèdent la plupart des médias d’information du pays, Ortega a estimé nécessaire d’arrêter cinq des candidats les plus en vue de l’opposition à la présidentielle. La peur du dictateur envers le peuple nicaraguayen est frappante.
Début juin, Ortega avait fait arrêter sa plus éminente challenger, Cristiana Chamorro, dont le père Pedro Joaquín Chamorro, rédacteur en chef du principal journal du pays, La Prensa, a été assassiné en 1978, vraisemblablement sur ordre du président et dictateur de l’époque Anastasio Samoza. Sa mère Violeta Chamorro a battu le président Ortega aux élections de 1990.
Ingérence étrangère ?
À gauche, les Ortega ont arrêté des dirigeants du parti d’opposition UNAMOS, parti créé par des dissidents du FSLN (Front sandiniste de libération nationale). Deux des personnes arrêtées sont des héros de la révolution sandiniste de 1979 : Dora María Téllez et Hugo Torres. Torres a déclaré dans un message vidéo qui a été partagé sur les réseaux sociaux : « Ce sont des actes désespérés d’un régime qui peut sentir sa mort approcher. » D’autres opposants de gauche ont été arrêtés, Victor Hugo Tinoco, Suyen Barahona et Ana Margarita Vigil, dirigeants du Mouvement sandiniste de rénovation (MRS).
Le gouvernement affirme que l’opposition tente de saper la souveraineté du pays et « incite à l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures, demande des interventions militaires et s’organise avec un financement étranger ». Les personnes arrêtées ont fait face à diverses accusations spécieuses. Alors que certains opposants souhaiteraient sans doute que les États-Unis fassent suffisamment de pression pour chasser Ortega, les partis d’opposition ne travaillent pas à une intervention militaire. Ils voudraient évincer Ortega par une élection équitable.
Il est également vrai que le National Endowment for Democracy (NED) du gouvernement étatsunien et l’USAID fournissent de l’argent à diverses ONG nicaraguayennes, dont certaines s’opposent aux politiques d’Ortega. Ce mois-ci, le secrétaire d’État US Antony Blinken a appelé Ortega à libérer les candidats à la présidentielle alors qu’il annonçait de nouvelles sanctions contre des membres du gouvernement Ortega et sa famille. La bourgeoisie nicaraguayenne est cependant tout à fait capable, sans le département d’État américain et la CIA, de proposer son propre programme politique de changement, bien qu’une partie de cette bourgeoisie soit d’une façon ou d’une autre liée à Ortega.
Le précédent de 2018
Surtout, le peuple nicaraguayen a prouvé en 2018 qu’il pouvait mener un mouvement de masse impliquant des centaines de milliers de personnes sans compter sur personne d’autre. Elles protestaient contre la violente répression, plus tôt cette année-là, des manifestations de personnes âgées et d’étudiantEs opposés à un nouveau système de retraite. Pour écraser la rébellion populaire, la police et les hommes de main du FSLN d’Ortega ont assassiné 300 personnes, en ont blessé 2 000, en ont arrêté et torturé des centaines d’autres et ainsi réussi à mettre fin aux manifestations. Les médias d’opposition ont aussi été fermés et les ONG harcelées. Tout cela a conduit quelque 100 000 NicaraguayenEs à fuir le pays.
Puis en 2020 est arrivée la crise du Covid. Le gouvernement Ortega a bafoué de manière flagrante les recommandations sanitaires internationales en organisant des événements publics de masse. 700 médecins nicaraguayens ont signé une lettre « exhortant le gouvernement à reconnaître que le virus se propageait au Nicaragua et à mettre en place les mesures préventives recommandées par l’Organisation mondiale de la santé pour limiter sa propagation ». Sur la base d’une étude sur les décès en excès, on peut penser que le gouvernement nicaraguayen sous-estime la mortalité du Covid de plus de 90 %. Le Nicaragua n’a pas non plus vacciné sa population, dont seulement 1,3 % est actuellement vaccinée. Avec le Covid est venue une nouvelle crise économique. En 2020, le Nicaragua, déjà le deuxième pays le plus pauvre de l’hémisphère avec un PIB par habitantE de 2 000 dollars, a vu son économie reculer de 4 %.
Nous devons rejeter l’argument avancé par certains à gauche selon lequel nous devrions soutenir Ortega et son gouvernement parce que les États-Unis s’y opposent désormais. La gauche doit s’opposer à la fois aux interventions des États-Unis et à la dictature d’Ortega. Tout en soutenant le mouvement général pour la démocratie politique et les droits civiques, nous devons chercher à travailler avec les groupes socialistes émergents au Nicaragua et avec les travailleurEs, les féministes, les militantEs LGBT, les écologistes et autres. En tant que socialistes internationalistes, nous sommes solidaires de tous les mouvements pour la démocratie, les droits civiques et le socialisme.
Traduction Henri Wilno