Publié le Mercredi 27 décembre 2023 à 09h47.

Où va la guerre d’Israël contre Gaza ?

Il semble désormais probable que d’ici la fin de cette année 2023, l’État sioniste changera le cours de la guerre qu’il a lancée contre la bande de Gaza et passera à une nouvelle phase. La première phase préliminaire de bombardements intenses et terriblement meurtriers qui a immédiatement suivi l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » a été suivie par une deuxième phase d’invasion terrestre qui a ciblé le nord de la bande de Gaza, et une troisième phase au cours de laquelle l’invasion s’est déplacée vers la partie sud, en se concentrant sur Khan Younès. Rafah a été relativement épargnée, afin qu’elle puisse servir de refuge à la population de Gaza jusqu’à ce que les dirigeants sionistes décident, en fonction de la situation sur le terrain et au niveau international, quel sort ils devraient chercher à imposer à ce territoire gravement sinistré. Il était en effet clair dès le début que l’invasion actuelle serait déterminée par « ce que l’armée israélienne peut réaliser avant qu’une combinaison de pertes dans ses rangs et de pressions internationales ne l’oblige à s’arrêter ».

La phase préliminaire de bombardement a duré trois semaines. Cela était dû d’abord au fait que le commandement militaire israélien a été pris par surprise. Il n’était pas préparé à une guerre d’invasion telle que celle que le gouvernement sioniste a décidé de lancer en réponse à l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » et avait donc besoin de temps pour se préparer et planifier l’agression en cours. La deuxième raison est que, comme la plupart des armées des pays riches, les forces armées israéliennes sont devenues couardes (une posture que le célèbre analyste militaire israélo-américain Edward Luttwak a qualifiée de « post-héroïque »), en particulier face à la résistance de combattants prêts à mourir. Les forces d’occupation israéliennes cherchent donc à mener des guerres au coût humain le plus bas possible dans leurs rangs, grâce à un recours très étendu à la guerre à distance.

Lorsqu’il s’agit d’envahir des zones urbaines, comme c’est le cas à Gaza, la conséquence de cette dernière considération est une destruction d’une très grande intensité et un coût énorme en vies civiles parmi la population locale. C’est bien pourquoi l’agression actuelle a pris une telle ampleur génocidaire, avec environ vingt mille Palestinien.nes tué.es jusqu’à présent, dont une grande majorité de civils, outre plusieurs milliers de disparu.es sous les décombres. De son côté, l’armée israélienne n’a perdu qu’environ 125 soldats, selon ses propres sources. Même si le nombre de pertes israéliennes devait largement dépasser le chiffre officiel actuel, d’autant que le nombre de blessés est bien supérieur au nombre de morts et qu’il y a un grand nombre de blessés graves, il en va de même pour les blessés palestiniens, sans parler des victimes indirectes de l’invasion et du siège meurtrier qui l’accompagne. La guerre en cours reste donc un cas record dans l’histoire des guerres en termes de disproportion des morts subies par les deux camps. Dans une certaine mesure, elle ressemble à l’utilisation unilatérale d’une arme de destruction massive sur une zone peuplée.

L’armée sioniste a réussi à prendre le contrôle de la majeure partie de la moitié nord de la bande de Gaza après avoir détruit la plupart de ses bâtiments, déplacé la très grande majorité de sa population et tué un pourcentage terrifiant de cette dernière. Elle concentre désormais ses efforts sur le renforcement de son contrôle sur la moitié sud, en particulier sur les parties nord et est de cette second moitié de l’enclave. Cela se déroule alors que la protestation mondiale provoquée par l’ampleur impressionnante des meurtres et des destructions commises par l’armée sioniste s’intensifie, tandis que la sympathie pour les Israélien.nes victimes du « Déluge d’Al-Aqsa » s’affaiblit progressivement, malgré les efforts de propagande déployés pour la raviver. Cela a conduit à une escalade de la pression internationale sur le gouvernement sioniste, lui enjoignant de s’abstenir de nouveaux massacres et destructions à grande échelle. Cette pression est désormais également exercée par le seul gouvernement dont Israël ne peut se permettre d’ignorer la position, celui des États-Unis, son partenaire dans la guerre contre Gaza, sans le soutien militaire et politique duquel une guerre d’une telle intensité sur une si longue période n’aurait pas été possible.

Les forces d’occupation seront donc contraintes de mettre un terme à l’invasion et aux bombardements massifs dans quelques jours et de passer à une quatrième phase au cours de laquelle elles s’efforceront de renforcer leur contrôle sur le territoire envahi, c’est-à-dire la majeure partie de la bande de Gaza, par le biais d’une « guerre de moindre intensité » visant à éradiquer toute résistance restante dans ces zones et à détruire le réseau de tunnels dans leur sous-sol. Israël sait que les États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux continueront à soutenir une telle quatrième phase de « guerre de moindre intensité » puisqu’ils ont proclamé leur soutien dès le début à l’objectif d’éradiquer le Hamas, comparé à l’EI depuis le « Déluge d’Al-Aqsa ». Quant à l’objectif à plus long terme, dont dépend la nature de la cinquième phase à suivre, il sera à son tour déterminé par le degré de succès de l’armée sioniste dans le renforcement de son contrôle sur les zones conquises et par la capacité d’Israël à continuer de mettre en œuvre la « seconde Nakba » en empêchant le retour d’une grande partie de la population palestinienne dans ces zones – de peur qu’elles ne se transforment à nouveau en foyers de résistance de nature à épuiser l’armée d’occupation.

Du point de vue israélien, les perspectives se situent désormais entre le scénario prôné par l’extrême droite sioniste, qui appelle à l’annexion de la bande de Gaza avec développement d’un colonialisme de peuplement dans ce territoire, et le scénario qu’impose le rapport de force aux dirigeants de l’État sioniste, qui peut être comparé à une répétition dans la bande de Gaza de la situation qui prévaut en Cisjordanie. L’armée d’occupation israélienne contrôlerait ainsi une vaste ceinture de sécurité stratégique à l’intérieur de l’enclave, le long de ses frontières, de la même manière qu’elle contrôle la vallée du Jourdain, et maintiendrait d’autres sites tampons entre les zones peuplées qui fourniraient une opportunité pour la mise en place d’un mouvement de colonisation similaire à celui qui existe dans la « zone C » en Cisjordanie. Le pouvoir nominal sur le reste de la bande de Gaza serait confié à des dirigeants palestiniens dont l’identité est toujours controversée entre le gouvernement israélien, d’une part, et Washington et ses alliés, de l’autre.

En effet, l’administration Biden souhaite remettre le pouvoir à Gaza à « l’Autorité palestinienne » basée à Ramallah après l’avoir « revitalisée », selon l’expression utilisée par le président américain (la manière dont cela se ferait reste floue pour tout le monde, y compris pour Biden lui-même et son administration). A l’opposé, Netanyahu et ses alliés de l’extrême droite sioniste refusent l’établissement d’une autorité unique régnant sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, afin de ne pas subir de pressions pour concéder la proclamation d’un « État palestinien ». Ceci en dépit du fait qu’un État établi dans de telles circonstances ne pourrait être rien de plus, en réalité, qu’un État croupion privé de souveraineté dans les domaines fondamentaux et donc, en substance, rien d’autre qu’une continuation de l’occupation.

Traduit de l’adaptation anglaise publiée par l’auteur sur son blog de l’original arabe publié le 19 décembre par le quotidien Al-Quds al-Arabi