Simone de Beauvoir nous a un jour avertis que les oppresseurs ont intérêt à ce que seule la conscience des opprimés soit modifiée, et non la situation qui les opprime.
Les oppresseurs, que ce soient les multinationales qui extorquent les ressources des nations les plus faibles, les capitalistes qui exploitent les travailleurs, ou les colons qui mettent en esclavage les populations indigènes ou qui ont recours au nettoyage ethnique, tous les oppresseurs ont un trait commun : ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour conserver leur situation de domination et leurs privilèges, quitte à fouler aux pieds tout droit et tout principe.
Les opprimés, dans leur combat pour l’émancipation, l’égalité et la réaffirmation de leur humanité, doivent se donner pour objectif de mettre un terme aux conditions mêmes de l’oppression et de changer les rapports d’oppression d’une manière qui permettra à chacun de recouvrer son humanité, comme le souligne le Brésilien Paulo Freire.
Après la chute de l’Apartheid en Afrique du Sud, Nelson Mandela disait : « Nous ne savons que trop bien que notre liberté demeurera incomplète sans la liberté des Palestiniens ». De même, le mouvement pour la liberté et les droits des Palestiniens doit être partie intégrante du mouvement social international qui combat l’oppression partout dans le monde et jette les fondations d’un monde digne, débarrassé de toute forme d’exploitation ; ce combat inclut les luttes syndicales en France pour les droits des travailleurs ; les luttes des communautés immigrées dans toute l’Europe contre le racisme et pour l’égalité des droits ; les luttes des paysans pour défendre leur cadre de vie contre l’hégémonie de l’agriculture industrielle ; les luttes des femmes pour une égalité totale et réelle ; les luttes des étudiants, des artistes, des enseignants, des salariés des services publics pour une démocratie et un progrès social et économique authentiques.
Dans un monde où la doctrine du « choc des civilisations » se déploie telle une prophétie auto-réalisatrice, revendiquer notre humanité commune est d’une importance et d’une urgence sans précédent. Il est aujourd’hui plus que jamais crucial que nous prenions conscience de notre intérêt commun, nous les peuples du monde, à résister ensemble face à l’empire et à imposer le règne du droit international, et non de la loi de la jungle que les gouvernements occidentaux essaient de répandre.
Le 9 juillet dernier, nous célébrions le 5ème anniversaire de la condamnation, par la Cour Internationale de Justice, du Mur d’Apartheid construit par Israël, une preuve vivante de la faillite évidente de la communauté internationale à exiger d’Israël qu’il se conforme au droit international. Le 9 juillet, la société civile palestinienne a également célébré le 4ème anniversaire de l’appel au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions, BDS, contre Israël, et ce jusqu’à ce qu’Israël respecte ses obligations au regard du droit international et respecte les droits des Palestiniens.
La nécessité que la société civile à l’échelle internationale adopte le mot d’ordre du BDS est aujourd’hui patente, tout particulièrement à la lumière du massacre commis par Israël à Gaza et de l’élection d’un gouvernement de droite, raciste et fanatique en Israël.
Les odieux crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par Israël durant sa guerre d’agression contre les 1.5 millions de Palestiniens de la Bande de Gaza, toujours occupée, et le blocus inhumain et génocidaire avant et après le massacre, ont joué un rôle significatif pour attirer l’attention de la société civile internationale quant au statut d’Israël, un Etat paria qui bénéficie d’une totale impunité.
Au-delà de la situation à Gaza, la société civile palestinienne et un nombre croissant d’influents défenseurs des droits humains reconnaissent que le régime imposé par Israël au peuple indigène de Palestine est un régime d’occupation, de colonisation et d’apartheid. Plus spécifiquement, l’oppression israélienne se décline depuis plusieurs décennies en 3 principaux points qui sont au cœur de l’appel BDS :
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L’occupation coloniale prolongée de Gaza et de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-est, et d’autres territoires arabes.
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Le système légalisé et institutionnalisé de discrimination contre les Palestiniens, qui est la variante israélienne de l’Apartheid.
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La négation persistante des droits, reconnus par l’ONU, des réfugiés palestiniens, le plus important desquels étant leur droit aux réparations et leur droit au retour dans leurs foyers d’origine, conformément à la résolution 194 de l’ONU.
La fin de ces 3 oppressions est la condition minimale pour envisager d’obtenir une paix juste dans notre région, dans la mesure où elle permettrait l’exercice, par les Palestiniens, de leur droit à l’autodétermination.
La plus importante de ces 3 injustices est évidemment la 3ème, la négation par Israël du droit au retour des réfugiés palestiniens. L’essence même de la question palestinienne a toujours été le sort des réfugiés victimes du nettoyage ethnique perpétré par les milices et bandes armées sionistes, puis par l’Etat d’Israël lors de la Naqba (1948) et sans discontinuer depuis.
Malgré tout, en proie à une culpabilité compréhensible quant à l’holocauste, incapable ou ne voulant pas reconnaître la différence fondamentale entre, d’un côté, l’opposition au sionisme et aux violations israéliennes du droit international et, de l’autre, les discriminations contre les Juifs, l’establishment occidental n’a jamais adopté aucune mesure visant à mettre Israël devant ses responsabilités.
Au contraire, l’Europe a continué d’exiger des Palestiniens qu’ils acceptent de payer de leur terre et de leurs droits le prix d’un génocide européen dans lequel les Arabes de Palestine n’ont joué aucun rôle.
L’attitude la plus morale et la plus fondée politiquement, pour la société civile internationale, si elle veut contribuer à faire triompher le droit international et les droits humains au Moyen-Orient, est d’adopter une position éthiquement juste et politiquement efficace en organisant des initiatives BDS contre Israël, à l’image de celles qui avaient été organisées contre l’Afrique du Sud de l’Apartheid.
Que demande précisément l’appel BDS ?
Les organisations représentatives de la société civile, les partis politiques et les syndicats, représentant la majorité des Palestiniens, que ce soient ceux des territoires occupés, ceux d’Israël ou ceux de la diaspora, soutiennent le BDS depuis juillet 2005. Nous demandons au monde entier de boycotter Israël, ses institutions et ses entreprises, et aussi de retirer leurs investissements dans les entreprises qui bénéficient de l’apartheid, de l’occupation ou de la négation des droits des réfugiés.
Les institutions culturelles et universitaires jouent un rôle clé au sein de l’appareil d’oppression israélien. Les Universités israéliennes sont des lieux centraux dans la conception, l’application, la justification et le blanchiment d’une oppression aux multiples facettes. Contrairement au mythe selon lequel les institutions universitaires israéliennes seraient à l’avant-garde de la lutte contre l’occupation, aucune université israélienne, aucun centre de recherche, aucun syndicat universitaire n’a jamais condamné l’occupation, et ne parlons même pas de demander la fin de l’apartheid ou de reconnaître les droits de nos réfugiés. La plupart des universitaires israéliens sont même des réservistes de l’armée d’occupation.
Lors du boycott contre l’Afrique du Sud, toutes les institutions du régime d’Apartheid ont été boycottées : institutions culturelles, sportives, universitaires, économiques… Nous demandons que les mêmes mesures soient appliquées à l’apartheid israélien.
Mais le boycott n’est-il pas contre-productif dans la mesure où il touche aussi les Palestiniens ?
C’est à nous, Palestiniens, de décider. Nous apprécions votre solidarité, mais nous sommes assez matures pour décider de ce qui est en notre intérêt. Oui, le boycott a un prix pour nous, mais il est évident que notre société, dans sa grande majorité, est prête à payer ce prix afin de mettre un terme à l’oppression israélienne.
Le BDS peut-il être efficace face à un pays aussi puissant qu’Israël ?
Un examen rapide des plus récents succès de la campagne BDS nous prouve que non seulement le BDS peut fonctionner, mais qu’en réalité il fonctionne déjà plutôt bien. En seulement 4 ans, le mouvement BDS contre Israël a obtenu plus de résultats que nos camarades d’Afrique du Sud n’en avaient obtenus durant les 20 premières années de leur campagne. Nous avons désormais le soutien d’importants syndicats, de l’Afrique du Sud à la Grande-Bretagne, en passant par le Canada et plusieurs pays européens, y compris la France et l’Italie. D’importantes personnalités du milieu artistique, en Occident, ont déclaré leur soutien au boycott ou ont adhéré à notre appel en boycottant Israël sans nécessairement se déclarer ouvertement en faveur du boycott.
L’indicateur le plus révélateur de notre succès est peut-être la déclaration d’Howard Kohr, dirigeant de l’AIPAC [principal lobby pro-Israël aux Etats-Unis] lors de leur conférence annuelle en mai dernier : « Cette campagne n’est plus seulement l’apanage de l’extrême-gauche ou de l’extrême-droite, elle pénètre de plus en plus les courants dominants aux Etats-Unis ».
Mais au final, tout boycott d’Israël n’est-il pas par définition antisémite ?
En vérité, c’est cette accusation qui est elle-même antisémite, dans la mesure où elle sous-entend que toute opposition au sionisme en tant qu’idéologie coloniale et raciste, toute critique d’Israël ou toute action contre sa politique d’oppression serait par définition une attaque contre tous les Juifs, comme si tous les Juifs soutenaient, en bloc, Israël, et étaient collectivement responsables de sa politique. C’est ce présupposé qui la définition même de l’antisémitisme !
Notre mouvement repose sur des principes universels et progressistes, nous rejetons toute forme de racisme, y compris l’antisémitisme et l’islamophobie. Nous appelons au boycott d’Israël non parce que la majorité des Israéliens sont juifs mais parce qu’Israël est un Etat colonial et un Etat d’apartheid.
S’il s’agissait d’un Etat chrétien, hindou ou musulman, il n’y aurait pas de différence. Aussi longtemps qu’Israël nous opprimera et violera nos droits fondamentaux, nous continuerons à résister par tous les moyens nécessaires, y compris le BDS.
En outre, un nombre de plus en plus élevé d’organisations juives rejoint, aux 4 coins du monde, le mouvement BDS. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, aux Pays-Bas, et même en Israël, un nombre croissant d’organisations juives et d’intellectuels reconnus en sont arrivés à la conclusion qu’aucune paix juste ne sera atteinte sans une campagne BDS effective, durable et déterminée contre Israël.
Aujourd’hui, malgré nos profondes angoisses et les injustices atroces que nous subissons, les Palestiniens ont toutes les raisons d’espérer que le droit l’emportera finalement sur la force. Le mouvement BDS représente non seulement une forme de résistance non-violente, progressiste, antiraciste, juste et efficace, mais offre aussi l’opportunité de devenir le catalyseur politique et la boussole éthique pour un mouvement social international renforcé et revigoré, capable de rétablir la primauté du droit international et de réaffirmer le droit de tout être humain à la liberté, l’égalité et la dignité.
Après celle de l’Afrique du Sud, l’heure de la Palestine a enfin sonné.
Traduction de l’anglais : JS.