Publié le Vendredi 24 décembre 2010 à 12h32.

Percée de l'extrême droite en Suède

Une fois de plus, l'extrême droite a fait irruption pour la première fois dans un parlement, cette fois-ci en Suède. Le « Parti des Démocrates de Suède », avec 5,7% des voix et 20 députés, a obtenu sa première représentation parlementaire et peut se transformer en un appui décisif pour que les conservateurs reconduisent leur gouvernement. Cet évenement survient dans un pays décrit comme le paradis de la social-démocratie européenne et de l'Etat-Providence.

Loin d'être une exception, le Parti des Démocrates de Suède ne fait que confirmer une tendance lourde; la propagation des idées d'extrême droite et des discours anti-immigrés parmi une partie importante de la population européenne qui, face à la crise économique, croit trouver une « solution » dans un repli identitaire de caractère xénophobe, populiste et autoritaire.

Au vu des résultats électoraux de ces dernières années, il semble bien que la droite extrême progresse de manière ferme dans toute l'Europe. Cette progression se réalise surtout au détriment des partis sociaux-libéraux. Les partis socialistes ne sont plus qu'une poignée au pouvoir dans les Etats membres de l'Union européenne, la droite libérale et conservatrice dominant largement. Mais, malgré la crise, y compris lorsqu'ils sont dans l'opposition, ces partis ne parviennent pas à reconquérir les majorités parlementaires nécessaires pour gouverner, comme ce fut le cas aux dernières élections législatives en Suède où, pour la première fois dans l'histoire de ce pays, le Parti conservateur a pu reconduire son gouvernement.

Paradoxalement, alors que les partis conservateurs n'ont plus de concurrence sérieuse sur leur gauche, c'est sur leur droite qu'elle apparaît avec force. Une droite radicale qui émerge et se consolide partout en Europe à la faveur de la crise capitaliste.

Le cocktail du succès, pour la majorité de cette droite radicale, est composé par un mélange de xénophobie, de sécuritaire et d'islamophobie. Ce mélange détonnant explique également la progression du Parti des Démocrates de Suède (DS): Lors de sa campagne électorale, le DS a diffusé un spot télévisé outrancièrement provocateur, qui fut finalement censuré. Dans ce spot électoral, on pouvait voir un groupe de femmes musulmanes portant la Burka prendre de vitesse une vieillard avec une canne, afin de se saisir de sa pension!

Le DS a eu un précédent dans cette voie: l'éphémère parti de la Nouvelle Démocratie (ND) qui, en 1990, a obtenu 6,7% des voix avec un discours anti-politique populiste, battant campagne dans tout le pays avec une sorte de cirque ambulant dont la vedette était son leader Ian Wachtmeister (1) qui, déguisé en clown, se moquait de la classe politique.

Après ce succès, la ND n'a pas pu maintenir sa représentation parlementaire lors des élections législatives de 1994 quand il centra son message électoral sur le rejet de l'immigration, obtenant à peine 1,2% des votes, ce qui précipita des luttes internes et sa disparition.

La relève, dans le discours anti-immigration, fut alors assumée par le Parti Populaire Libéral, qui fit son fond de commerce, non pas tellement sur la limitation de l'immigration ou des politiques d'asiles, mais plutôt sur l'assimilation de la population immigrée aux critères, définis par lui, de la « culture suédoise », sur la réduction des allocations sociales pour les immigrés et l'obligation de lier le permis de résidence avec un contrat de travail.

Ce message a permi à ce parti d'obtenir un certain succès électoral, passant de 4,75% des votes en 1998 à 13,39% en 2002. Le PPL a alors intégré l' « Alliance pour la Suède », avec le Parti conservateur, qui a obtenu la majorité aux élections de 2006 et gouverne à nouveau aujourd'hui.

Le Parti des Démocrates de Suède quant à lui s'est créé en 1988 à partir d'une scission dans un mouvement « suprématiste » dénomé « Conservons la Suède suédoise » (Bevara Sverige Svenskt, BSS), une organisation raciste inspirée par le Front National Britannique (British National Party, BNP). Malgré le fait que la majorité de ses fondateurs étaient membres de diverses organisations de type néo-nazi comme le Nouveau Mouvement Suédois (NSR) ou le Front National-Socialiste (SNF), le BSS tenta de réorienter son discours sur l'immigration en insistant sur les « différences culturelles » plutôt que sur un discours purement raciste (2)

Les tensions internes au sein du BSS ont provoqué plusieurs scissions: un secteur ouvertement néo-nazi a donné naissance à « Résistance Blanche Aryenne » (VAM) qui, inspiré par le terrorisme d'extrême droite étatsunien, a été jusqu'à attaquer des banques et un commissariat de police à Stockholm. Une autre branche, plus importante, fut considérée par ses détracteurs comme les néo-nazis « en costume-cravate » et s'inspira du Front National français qui connaissait à l'époque un succès important. Ce courant fonda le Parti des Démocrates de Suède avec l'objectif d'obtenir une représentation parlementaire en s'éloignant de l'image classique du néo-fascisme des skinshead et de leur violence pour adopter le discours xénophobe de la nouvelle droite extrême.

Malgré ce ravalement de façade, le DS a eu du mal à se débarrasser de sa matrice néo-nazie, ses premières années ont été marquées par un intense activisme de rue. Une étude menée par Stieg Larsson et Mikael Ekman pour la Fondation Expo en 2001 s'est penchée sur la violence pratiquée par les membres du DS entre 1988 et 1998. Le résultat de l'enquête a démontré que ce parti était, et de loin, l'organisation politique en Suède la plus encline à la criminalité. Un recensement des condamations a établi que, sur un total de 311 candidats du DS aux élections, pas moins de 72 (23,2%) avaient un casier judiciaire pour un total de 250 à 500 crimes. Parmi les 84 membres de la direction du DS, 17 personnes (20,2%) ont été condamnés au moins 40 fois! (3)

Dix ans après sa fondation, en 1998, le DS ne représentait toujours qu'une force politiquement marginale. Mais, dans son « fief » du sud conservateur et rural de Suède, où il disposait de quelques conseillers, son jeune leader Jimmie Akesson commenca une profonde restructuration du parti en se coupant de ses racines néo-nazie par l'expulsion de nombreux militants de son aile la plus radicale. Le parti adopte pleinement le discours de la nouvelle droite radicale, tout particulièrement celle du Danemark et de la Norvège. A partir de ce moment, l'axe central de son discours a été l'utilisation populiste de la « menace islamique », allant jusqu'à affirmer que l'Islam est la pire menace pour la Suède depuis la Seconde guerre mondiale, ou encore que les « Musulmans sont la pire menace pour notre pays aujourd'hui » (4)

La professeure d'histoire des idées de l'Université de Södertörn, Ulla Ekström von Essen, qui étudie ce parti depuis sa naissance, affirme que le DS a opéré une « transformation très rapide. Ils ont compris qu'ils devaient se débarrasser de l'antisémitisme, de cesser de parler des races (...) Mais ils ont toujours le même schéma de pensée. La seule différence, c'est que là où ils disaient « Juifs », maintenant ils disent « Musulmans ». Là où ils disaient « race », c'est devenu « culture », « religion », « civilisation ». Mais, en dessous, il y a toujours la même conviction: une société ne peut fonctionner que si elle est homogène d'un point de vue racial » (5).

Ainsi, le DS a centré sa dernière campagne électorale sur l'islamophobie et le lien supposé entre l'immigration et l'augmentation de la délinquance et des problèmes économiques. Et cela dans un pays qui s'était naguère distingué par ses politiques d'asile et d'immigration, et où 18% de la population est d'origine étrangère d'après les données de l'Institut suédois des statistiques.

L'entrée de la droite extrême dans le parlement n'a pas seulement mis fin à « l'exception suédoise » puisque ce pays ne connaissait pas le même phénomène de montée de la droite radicale comme dans les nations voisines, elle peut également avoir comme conséquence son entrée au gouvernement, vu que l'Alliance pour la Suède n'a pas suffisamment de votes au parlement pour gouverner.

Au cas où cela se produirait, il ne s'agirait pas d'une nouveauté en Europe, depuis l'accession au pouvoir du FPÖ de Jörg Haider en Autriche en 2000. Mais l'exemple danois pourrait, une fois de plus, servir d'exemple en Suède également. Le Parti du Peuple Danois (PPD), tout en ne faisant pas partie du gouvernement, soutient au parlement la coalition au pouvoir formée par le Parti Libéral et le Parti conservateur. Cette formule pourrait fort bien être utilisée par le DS au cas où l'Alliance pour la Suède n'obtient pas le soutien des Verts. Le « modèle danois » est le plus confortable pour la droite radicale, il permet de ne pas se compromettre au gouvernement tout en exercant une influence décisive sur ce dernier afin de prendre des mesures anti-immigrés.

Quoiqu'il en soit pour le cas suédois, cet exemple constitue un nouveau signal d'alarme vis-à-vis de la dangereuse progression de la droite radicale en Europe qui, au-delà de sa représentation institutionnelle ou de sa participation à des gouvernements, a démontré sa capacité à déterminer l'agenda politique, le discours et les décisions prioritaires des partis traditionnels. A tel point qaue ces derniers deviennent purement et simplement les « instruments indirects d'application de leur programme, comme le révèle ce qui se passe en France avec la déportation des Gitans » (7) ou avec les lois et les polémiques sur l'interduction du voile intégral dans l'espace public.

Miguel Urbán Crespo

Miguel Urban Crespo est militant de la Gauche anticapitaliste (Izquierda Anticapitalista) dans l'Etat espagnol et fait partie de la rédaction de la revue « Viento Sur ». Traduction de l'espagnol: Ataulfo Riera pour www.lcr-lagauche.be

1/ Par ailleurs comte et membre de plusieurs conseils d'administration, dirigeant d'un institut de recherches lié à la Confédération des entreprises de Suède (SAF).

2/ http://www.proceso.com.mx/

3/ http://www.proceso.com.mx/

4/ http://www.publico.es/

5/ http://www.lavanguardia.es/

6/ http://www.lavozdegalicia.es/