Publié le Vendredi 14 juin 2013 à 15h38.

Portugal : vers une nouvelle grève générale

Une grève générale vient d’être appelée pour le 27 juin 2013 par deux centrales syndicales du Portugal, CGTP et UGT, avec le soutien de syndicats indépendants, de mouvements sociaux et de partis de gauche. Il s’agit de la cinquième grève générale depuis la crise de 2008 (1). La prochaine grève générale a pour objectif de protester contre les licenciements dans la fonction publique (au moins 30 000) et contre les coupes dans les salaires et les retraites.

 

Une protestation croissante et par vagues

 Les grèves générales ne donnent qu’une pâle idée de ce qu’ont été l’ensemble des protestations du peuple portugais contre une politique qui coupe dans les salaires et les retraites, aggrave le chômage et plonge de nombreux milliers de personnes dans la pauvreté et la misère. La troïka (Commission européenne, BCE et FMI) dont l’actuel gouvernement de droite, dirigé par Passos Coelho, a tenu à être le meilleur élève, a imposé un mémorandum, qui a été signé le 3 mai 2011 et a plongé le pays dans une spirale récessive. Par la suite, lors de chaque examen, soit tous les trois mois, la troïka a imposé de nouvelles mesures, encore des coupes, et toujours avec des effets destructeurs sur l’économie et tragiques pour la vie de la majorité de la population.

 Le PIB a reculé en 2011 de 1,6%, en 2012 de 3,2% et pour 2013, les prévisions sont encore plus désastreuses, notamment les dernières de l’OCDE, qui envisagent un recul de 2, 7%. 

Le taux officiel de chômage, inférieur à la réalité, est passé de 11% en 2010, à 12,7% en 2011, 15,7% en 2012, et il a franchi les 17,8 % en avril dernier, tandis que le chômage des jeunes atteignait les 42,5%.

Face à cette série de malheurs, les protestations ont été croissantes, par vagues successives et toujours avec beaucoup d’imagination.

Les ministres sont interrompus dans leurs discours dans les lieux les plus variés, certains aux cris de « démission », d’autres empêchés de parler par des personnes entonnant « Grândola, vila morena » (Grândola, ville brune), l’hymne de la révolution du 25 avril 1974. Jusqu’à une conférence de presse du ministre des finances interrompue par les éclats de rires forcés de l’assistance…

Et quand le gouvernement a tenté d’imposer que tout achat, même du bien le plus infime, ait une facture comportant le numéro fiscal de la personne, alors bien des factures ont vu l’enregistrement du numéro fiscal… du Premier ministre ! Ce qui a contribué à ridiculiser une mesure qui n’était pas viable dès le départ.

 

Les plus grandes manifestations depuis le 25 avril 1974

Il n’est guère aisé de maintenir une protestation constante avec une grande mobilisation contre un gouvernement qui n’intervient que pour présenter de nouvelles coupes sociales, dans les salaires, les retraites, les subsides sociaux ou les services publics. Pourtant, depuis que ce gouvernement est en place (juin 2011), les protestations populaires se sont succédé, à un rythme et une ampleur inédits au Portugal 

Les manifestations du 15 septembre 2012 et du 2 mars 2013, appelées par un collectif de mouvement sociaux « Que la troïka aille se faire voir », ont été les plus grandes manifestations jamais vues au Portugal, plus importantes encore que la manifestation du 1er mai 1974, quand le peuple est descendu dans la rue fêter la chute de la dictature fasciste qui avait duré quarante-huit années.

Ces deux énormes manifestations nationales ont mobilisé chacune plus d’un million de personnes, avec des manifestations dans plusieurs dizaines de villes du pays. Ce haut niveau de mobilisation sociale a été rendu possible par l’émergence de nouveaux mouvements, comme « Que la troïka aille se faire voir », qui se sont joints à la centrale syndicale la plus combative, la CGTP, et ont permis d’élargir la mobilisation sociale à d’autres milieux.

Outre ces initiatives nationales, d’autres actions et grèves locales ou sectorielles se sont multipliées. À titre d’exemple, juin 2013 a commencé par la manifestation du 1er juin, « les peuples contre la troïka », et il est prévu une grève générale le 27 juin. Mais d’ici là, il y aura une grève nationale d’enseignants, qui compte paralyser les examens nationaux.

Un autre mouvement est apparu : une association de retraités, APRe !, un des secteurs les plus brutalement atteints par la politique du gouvernement et de la troïka de coupes importantes dans les retraites. Cette association est parvenue à mobiliser chaque fois des centaines de retraitéEs pour des manifestations toujours plus importantes et, jeudi 6 juin, elle va faire la première manifestation nationale de protestation, contre les nouvelles coupes voulues par le gouvernement et la troïka.

 

Un gouvernement de gauche

La mobilisation sociale a conduit à un isolement croissant du gouvernement. Un gouvernement qui réunit deux partis de droite (PSD et CDS) ; où sévissent le ministre des Finances - un employé subalterne de la BCE qui n’a pour objectif que d’accomplir scrupuleusement les directives de son homologue allemand, de droite, Wolfgang Schauble - et sa tribu auxiliaire, en partie issue de Goldman Sachs, notamment le secrétaire d’État Carlos Moedas et le conseiller aux privatisations, Antonio Borges, également ex-directeur du FMI pour l’Europe. Ce gouvernement qui a commencé par faire le contraire de ce qu’il avait promis lors des élections, dont les prévisions ont toutes été démenties, qui accumule les scandales, ne se maintient au pouvoir que grâce à l’appui du président de la République (qui vient du PSD), et surtout parce qu’il est appuyé et imposé de l’extérieur, par la troïka et par le gouvernement de droite de l’Allemagne.

Néanmoins des brèches sociales apparaissent tous les jours et le gouvernement PSD/CDS finira par être défait. Les prochaines élections municipales, en septembre, pourraient y contribuer.

Le Bloc de Gauche propose une issue politique à la situation actuelle : un gouvernement de gauche, la rupture avec la politique d’austérité et le mémorandum de la troïka ainsi que la renégociation de la dette. Les politiques imposées par la troïka, présentées comme nécessaires pour affronter la dette, n’ont fait que l’aggraver. La dette publique qui représentait 93,4% du PIB en 2010, est passée à 107% a la fin de 2011. Elle a atteint les 123,7% en 2012 et l’OCDE prévoit 127,7% pour la fin 2013 et 132,1% en 2014.

Une partie croissante de la population a déjà compris qu’il n’existe pas d’issue hors de l’affrontement avec la troïka et la rupture avec le mémorandum. Ce changement exige une rupture avec la politique « à la Hollande », avec la politique de l’Internationale socialiste, qui lie emploi et austérité. Elle est certes acceptable pour les banquiers, mais il s’agit en réalité d’un mirage et d’une politique impossible, où l’austérité tue toute hypothèse de croissance et de combat contre le chômage.

La défaite de Passos Coelho et de la troïka, et la lutte pour un gouvernement de gauche au Portugal, requièrent plus de dynamique en Europe, dans les autres pays où l’austérité mène à la récession. Nous avons mené une grève ibérique le 14 novembre 2012. Quand Occupy Frankfort a « assiégé » la BCE le 31 mai, on s’est réjoui au Portugal. La manifestation du 1er juin dans 100 villes a montré que de nouvelles manifestations à l’échelle européenne contre la politique d’austérité et en défense de l’État social sont possibles.

De Lisbonne, Carlos Santos (Traduction du portugais, Luiza Toscane)

1- La première grève générale a eu lieu le 24 novembre 2010, à l’appel des deux centrales syndicales CGTP et UGT. La deuxième, un an après, après l’intervention de la troïka, le 24 novembre 2011, également à l’appel des deux centrales syndicales. Quant à la troisième (le 22 mars 2012) et la quatrième (le 14 novembre 2012), elles n’ont été appelées que par la plus importante centrale syndicale, la CGTP. L’UGT, centrale syndicale liée au PS, n’y a pas participé.