Un vent très mauvais souffle sur les pays européens. Dans de nombreux pays, au premier rang desquels l’Italie, la Hongrie et l’Autriche, l’extrême droite n’est plus seulement « aux portes du pouvoir », mais participe directement aux gouvernements. Et, de toute évidence, l’influence de ces courants n’est pas seulement nationale, puisqu’ils donnent de plus en plus le ton sur certains aspects des politiques européennes, notamment vis-à-vis des migrantEs.
Le message est on ne peut plus clair : nous ne voulons plus accepter personne, y compris si le refus de laisser entrer (en Europe) risque de tuer. C’est, en substance, le message que diffusent désormais plusieurs gouvernements à l’échelle de l’Union européenne. À commencer, bien sûr, par le nouveau gouvernement italien – formé le 31 mai 2018 – et son ministre de l’Intérieur issu de la « Ligue » (ex-Ligue du Nord), Matteo Salvini. Ainsi que par le gouvernement autrichien, fondé sur une coalition entre la droite – le « Parti du peuple d’Autriche » (OeVP, chrétien-démocrate) – et l’extrême droite du « Parti de la liberté d’Autriche » (FPOe), formée à la mi-décembre 2017 et au sein duquel le FPOe cumule les ministères clés de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères. Ce qui signifie aussi le contrôle sur la totalité des « services » de police et de renseignement.
Centres de tri pour migrantEs
Depuis le 1er juillet 2018 et jusqu’à la fin de l’année en cours, c’est l’Autriche qui assure désormais la présidence de l’Union européenne. Le gouvernement autrichien a d’ailleurs assez nettement annoncé la couleur, en élaborant une note dont l’existence n’a pas été officialisée, mais qui a tout de même été présentée à une réunion – informelle – d’expertEs des 28 États membres de l’Union, tenue les 2 et les 3 juillet 2018 à Vienne. Selon cette note, il n’y aurait plus de droit d’asile en Europe, en tant que droit individuel opposable. Les demandes de protection internationale sur la base de la Convention de Genève (28 juillet 1951), autrement dit les demandes d’asile devraient sans exception être présentées en dehors du territoire de l’Union européenne.
Pour ce faire, les dirigeants autrichiens prévoient de créer des « hotspots », autrement dit des centres de tri fermés, implantés sur le territoire de pays extérieurs à l’Union européenne. Ceux et celles qui seraient finalement acceptés pourraient ensuite prendre un moyen de transport vers l’Europe, les autres resteraient « enfermés dehors » (hors du continent) avec, on l’imagine bien, aucun recours possible, ou alors avec des recours extrêmement théoriques par visioconférence. Un recours à distance, par exemple, devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en France, en étant relié par un petit écran, sans avoir jamais rencontré aucune personne de cette juridiction.
Radicalisation en perspective
L’ensemble des pays de l’Afrique du Nord est sollicité en ce sens, notamment la Libye. Un pays où l’on sait que les migrantEs (et bien d’autres) sont traités de manière inhumaine, surtout depuis le reportage de la chaîne CNN diffusé en novembre 2017, qui établissait l’existence de marchés aux esclaves pour Subsahariens en Libye. Sebastian Kurz, chef du gouvernement de coalition au pouvoir à Vienne, rétorque que la guerre n’est pas partout en Libye : il y aurait donc des coins agréables à trouver. Le royaume du Maroc, quant à lui, a déclaré officiellement, le 28 juin 2018, par la voix de son ministère des Affaires étrangères, qu’il ne souhaite pas voir l’implantation de tels centres sur son territoire.
Le nouveau gouvernement italien pousse dans le même sens. Ayant interdit le 10 juin l’entrée des ports italiens au navire humanitaire Aquarius (affrété par des ONG françaises et allemandes), Matteo Salvini a depuis lors annoncé qu’il ne souhaitait plus voir – pendant tout l’été de l’année en cours – les ONG de sauvetage des migrantEs dans les zones maritimes de « son » pays, les assimilant aux « passeurs », en jouant sur le double sens du mot. En effet, la figure du « passeur » porte le visage de celui qui procure un service parfois vital – le passage d’une frontière fermée –, mais aussi de celui qui exploite la personne vulnérable, économiquement ou sexuellement, par exemple, pour se faire payer (très cher) ce service souvent existentiel. La fermeture des frontières crée un marché pour les mafias, auxquelles le discours raciste assimile ceux et celles qui, pour des motivations diverses, aident les migrantEs sur leur route.
Salvini a prévu de radicaliser cette politique et d’annoncer aux autres pays membres de l’Union européenne sa volonté de fermer les ports italiens non seulement aux ONG mais aussi aux missions internationales « institutionnelles » qui sauvent les migrantEs en haute mer. Le samedi 7 juillet, il a ainsi interdit l’entrée du port de Messine à un navire irlandais avec 106 migrantEs à bord, sous prétexte que Malte devrait les accueillir puisque l’opération de secours a été organisée depuis La Valette. Le gouvernement du Parti travailliste de Malte a quant à lui bloqué, le 4 juillet, un petit avion de reconnaissance d’une ONG allemande, lui interdisant le décollage pour préparer des opérations de sauvetage. Un vent très mauvais souffle sur l’Europe…
Bertold du Ryon