Publié le Lundi 10 mai 2021 à 11h51.

« À Sheikh Jarrah, une nouvelle génération palestinienne refuse d’abandonner ses droits »

Depuis plusieurs jours, Jérusalem est le théâtre d’un nouvel épisode de violente répression israélienne contre des PalestinienEs se mobilisant pour défendre leurs droits élémentaires : ici, celui de continuer à vivre sur leurs terres. Le NPA est bien évidemment solidaire des PalestinienEs mobilisés face à l’entreprise coloniale israélienne. Nous publions un texte du militant palestinien Faris Amer, initialement mis en ligne sur le site Mondoweiss.

Quatre familles palestiniennes protestent sans relâche contre leur expulsion forcée imminente de leurs maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est — des maisons où elles vivent depuis des décennies. Si la Cour suprême israélienne se prononce en faveur des colons israéliens, et si la requête que les familles ont déposée auprès de la Cour suprême est rejetée, la propriété des maisons sera confiée à une organisation de colons1. Huit autres familles du quartier devraient connaître le même sort dans le courant de l'année. Les protestations des familles ont déclenché une vaste campagne pour sauver le quartier. 

Une partie intégrante de l'identité historique de Jérusalem 

En raison de son emplacement stratégique et central à Jérusalem, le quartier de Sheikh Jarrah n'est pas une cible nouvelle des activités des organisations de colons. En 2009, la police israélienne a déraciné deux familles de Sheikh Jarrah. Au total, 53 personnes, dont 20 enfants, ont alors été expulsées de leur maison, tandis que leurs affaires étaient chargées dans un camion et ensuite jetées dans la rue près du siège de l'UNRWA.

La question de Sheikh Jarrah fait partie intégrante de la question de Jérusalem — une ville divisée par la guerre qui a accompagné la création d'Israël en 1948. Sa partie occidentale a été conquise par Israël, tandis que la partie orientale est passée sous contrôle jordanien. Après la guerre de 1967, Israël a occupé le reste de la ville. Cela fait 53 ans d'occupation. Israël continue de modifier sans relâche le visage de Jérusalem, toujours au détriment de l'existence des autochtones palestiniens. Israël a annexé unilatéralement la partie orientale occupée. Israël a, à ce jour, exproprié les Palestiniens de près d'un tiers des terres de Jérusalem-Est et y a construit 11 quartiers réservés aux Juifs. Les autorités israéliennes ont révoqué le statut de résident permanent d'au moins 14 701 Palestiniens de Jérusalem-Est, facilité l'installation de plus de 200 000 de ses habitants civils à Jérusalem-Est, et coupé la ville de la Cisjordanie occupée, à laquelle elle était historiquement très étroitement liée, au moyen des colonies et d’un mur de béton de huit mètres de haut. Tout cela a été fait en violation du droit international.

De nature coloniale, la judaïsation des terres situées entre le Jourdain et la Méditerranée s'est nourrie du nettoyage ethnique des Palestiniens. L'expulsion de familles palestiniennes de Sheikh Jarrah en est un exemple. Jérusalem est en effet l’otage des projets israéliens de judaïsation du territoire. 

La campagne pour Sheikh Jarrah prend de l'ampleur

Une nouvelle génération de Palestiniens mène la lutte pour Sheikh Jarrah. Elle est jeune, intransigeante et, grâce aux réseaux sociaux, plus connectée que jamais. Elle en a assez des dirigeants palestiniens vieillissants, mais n'a jamais eu l'occasion de voter. Les frères et sœurs Muna et Mohammed El Kurd, dont la famille fait partie de celles qui risquent d'être expulsées, ont été deux des nombreuses forces vives qui ont efficacement défendu leur cause par le biais des médias traditionnels et des réseaux sociaux. « Nos maisons à Sheikh Jarrah sont vos maisons. Soyez sûrs que si Sheikh Jarrah est contrôlé [par les colons israéliens], le reste de Jérusalem suivra », a déclaré Muna dans une interview. Son frère, Mohammed, explique : « Je veux pouvoir regarder en arrière et dire : "Si nous avons été jetés dans la rue, nous l'avons été avec notre dignité" ».

La Jérusalem palestinienne s’exprime, haut et fort. La semaine dernière, des milliers de Palestiniens, jeunes pour la plupart, ont manifesté dans le quartier et dans le reste de Jérusalem, notamment à la mosquée al-Aqsa. Ces protestations ont été confrontées à une répression croissante, la police israélienne ayant utilisé des grenades assourdissantes, des canons à eau et de « l'eau de putois »2. Les manifestants ont été brutalisés et des dizaines d'entre eux ont été arrêtés.

À ce stade critique, les jeunes militants et sympathisants exploitent le pouvoir des réseaux sociaux. Ils s'en servent pour susciter la solidarité internationale et pour s'organiser en interne. La plupart des Palestiniens ne peuvent pas entrer à Jérusalem, ce qui renforce la valeur des réseaux sociaux pour relier les Palestiniens par-delà les murs et les frontières et créer des réseaux de soutien entre eux. Les activistes utilisent également des moyens créatifs pour couvrir les événements qui se déroulent sur les réseaux sociaux. Par exemple, les manifestants se mettent en direct sur Instagram en lien avec des influenceurs de la plateforme, ce qui multiplie le nombre de spectateurs. La censure du contenu palestinien par les plateformes de réseaux sociaux et la collusion avec les institutions israéliennes3 semblent n'avoir fait que motiver les activistes à inonder internet de davantage d’images et de témoignages. 

Le statu quo qui règne en Israël/Palestine, fruit de décennies de politiques sionistes, n'est ni durable ni acceptable. Les jeunes Palestiniens grandissent et deviennent mécaniquement les cibles de l'apartheid israélien, comme le conclut un récent rapport de 200 pages de Human Rights Watch4. Comme tout autre peuple, les Palestiniens rejettent catégoriquement un tel destin. Il ne peut pas non plus être accepté par la communauté internationale. 

Traduction J.S.

Source : mondoweiss

  • 1. La Cour suprême israélienne devait rendre un avis le 10 mai, mais a décidé de surseoir à sa décision. Elle devrait statuer le 9 juin.
  • 2. « L’eau de putois » (« skunk water ») est un mélange composé d’eau, de levure et de bicarbonate de soude, que la police et l’armée israéliennes projettent sur les manifestantEs : une odeur pestilentielle, qui imprègne la peau, les vêtements, les rues et persiste pendant plusieurs jours malgré douches et nettoyages.
  • 3. Plusieurs militantEs ont accusé Instagram et Twitter d’avoir fermé leurs comptes sur ces réseaux sociaux et d’avoir censuré des contenus relatifs aux événements de Sheikh Jarrah.
  • 4. Human rights Watch, « A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution » (« Un seuil franchi : Les autorités israéliennes et les crimes d’apartheid et de persécution »). Résumé en français sur https://www.hrw.org/site…