La France veille avec attention sur les pourparlers qui se mènent entre le pouvoir tchadien et les factions armées. En effet, le Tchad est, dans le dispositif militaire de la France en Afrique, un pays majeur, tant pour sa collaboration à l’opération Barkhane que par sa localisation stratégique avec des voisins comme la Centrafrique, le Soudan ou la Libye, des pays qui connaissent de profondes crises.
La France a un fort passif au Tchad. Elle a soutenu le coup d’État d’Hissène Habré en 1981 contre Goukouni Oueddei jugé trop proche, aux yeux des occidentaux, du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Hissène Habré va installer une dictature responsable de dizaines de milliers de morts, et sera condamné par une juridiction internationale pour crimes contre l’humanité. Cela n’empêchera nullement l’armée française de soutenir ce régime notamment contre les troupes libyennes dans l’opération Manta en 1983. Habré fut sorti du pouvoir comme il y était rentré, par un coup d’État soutenu par la France. L’instigateur en fut son chef d’état-major Idriss Déby. Il restera aux affaires pendant 32 ans et s’avérera un soutien sans faille de l’armée française.
Qui aime bien soutient bien
Si le Tchad est exportateur de pétrole, c’est pour tout autre chose que la France s’intéresse de si près à ce pays. En effet, il est devenu au fil du temps une des pièces maîtresses de l’armée française. Rappelons que le poste de commandement de l’opération Barkhane est basé à N’Djamena, la capitale tchadienne. Idriss Déby fut un moment sur la sellette pour sa gestion de la manne pétrolière. Il était accusé, à raison, de dilapider l’argent dans la corruption et le maintien d’une armée onéreuse alors que le Tchad a un Indice de développement humain (IDH) des plus bas (187e sur 189 pays). Mais Déby a réussi à faire de la politique sécuritaire une rente. Ainsi, lors de l’opération Serval au Mali contre les troupes djihadistes, ce sont les combattants tchadiens qui ont été en première ligne et ont payé un lourd tribut en vies humaines.
Malgré les innombrables exactions d’Idriss Déby contre ses opposantEs, les autorités françaises lui ont sauvé la mise à maintes reprises. C’est d’ailleurs au cours d’un de ces affrontements que Déby profitera de l’occasion pour liquider son principal opposant, le mathématicien Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui s’était toujours refusé à cautionner la violence politique.
Dictateur de père en fils
Idriss Déby a trouvé la mort en 2021, alors qu’il était à la tête d’une énième opération contre des rebelles armés.
Constitutionnellement, ce devait être le président de l’Assemblée nationale qui devait assurer l’intérim. Mais pour le clan Déby il était hors de question de laisser le pouvoir, même pour quelques semaines, à une personne étrangère à la famille. Un Conseil militaire de transition a donc installé au pouvoir le fils du dictateur décédé, Mahamat Idriss Déby. Ce dernier a dissous le Parlement, abrogé la Constitution et réprimé dans le sang les manifestations de protestation. En bref, il a organisé un coup d’État en bonne et due forme.
Macron a entériné ce putsch pour maintenir le statu quo nécessaire à l’intervention militaire au Sahel. Cette décision française est importante car elle représente un véritable sésame de respectabilité pour la junte. Cette dernière n’a pas été suspendue de l’Union africaine, ni de la CEEAC l’organisme régional d’Afrique Centrale, ni condamnée par l’Union européenne et les USA, contrairement aux juntes du Mali et de la Guinée.
Des palabres pour cacher la dictature
Pour faire bonne mesure, les autorités tchadiennes se sont engagées dans une grande concertation « inclusive » qui devrait se tenir le 10 mai prochain. Elle est précédée d’un pré-dialogue avec les factions armées du pays, qui se déroule au Qatar, et de pourparlers avec l’opposition civile.
Les discussions avec les groupes armés sont des plus discrètes. Les propositions gouvernementales qui ont fuité n’ont rien de nouveau, un DDR (désarmement, démobilisation et réintégration) des combattants en échange d’un arrêt des hostilités et d’une immunité. En fait comme par le passé, les questions de participation gouvernementale des dirigeants rebelles, avec les rentes financières qui vont avec, sont âprement négociées. Les discussions avec l’opposition civile sont au point mort. Wakit Tama, la principale coordination des partis politiques, syndicats et ONG, a quitté la table de négociation suite à « une analyse globale de la situation qui met en exergue une incapacité totale de la junte et de son gouvernement de prendre à bras-le-corps les problèmes du Tchad. »
De nouveau ce sont les populations tchadiennes qui paieront le prix de la realpolitik imposée par les considérations militaires de la France.