Publié le Vendredi 14 février 2014 à 08h23.

Tunisie : la dernière ligne droite ?

Après un blocage de plusieurs mois, la situation en Tunisie semble, comme par enchantement, s’acheminer vers un début de dénouement de la crise révolutionnaire, favorable aux forces conservatrices.

L’adoption, le 27 janvier, par l’Assemblée constituante de la nouvelle Constitution, le vote de confiance, deux jours après, d’un nouveau gouvernement, d’une part, et leur accueil très favorable par les sphères impérialistes, d’autre part, ont largement contribué à désamorcer la crise et à nourrir les illusions par rapport au nouveau gouvernement.Mais c’est surtout la décision du FMI, suivi en cela par l’Union européenne et la Banque mondiale (BM), de mettre fin à leur embargo financier contre la Tunisie, qui a le plus joué en faveur de la « trêve ». Le résultat est une enveloppe de nouveaux emprunts d’une valeur de 3,6 milliards de dollars, qui vont venir au secours du nouveau gouvernement ; soit l’équivalent du cinquième du budget de l’État pour 2014.

Les atouts du gouvernement JomaâLes raisons de la joie exprimée des forces impérialistes sont, d’une part, l’épuisement du mouvement populaire, sous les effets conjugués de l’aggravation de la crise sociale et économique et de la montée de l’extrémisme islamique, qui a très fortement contribué à la dégradation de la situation sécuritaire et, d’autre part, l’absence d’alternative progressiste crédible. Il y a aussi le recul des deux forces politiques apparues à la faveur de l’insurrection révolutionnaire, surtout le parti islamiste Ennahdha, mais aussi, dans une certaine mesure, la coalition des forces de gauche et progressistes : le Front populaire. Enfin, le retour en force de plusieurs figures politiques de l’ancien régime, et la réactivation de plusieurs de ses réseaux et ramifications multiples. Leur façade principale est le parti Nidaa Tounes.Par ailleurs, et malgré le mouvement de contestation populaire qui a secoué la Tunisie, début janvier dernier, contre les nouvelles redevances qui ont touché le secteur des transports, le calme qui règne actuellement est assez significatif d’un profond désir, largement partagé, de retour au calme.Le gouvernement de Mehdi Jomaâ dispose, contrairement au précédent, de plusieurs atouts. D’abord, il bénéficie d’une neutralité bienveillante de la part des principales forces politiques. Ensuite, Jomaâ bénéficie de l’appui de l’organisation patronale (Utica) et de celle, très importante, de la direction de la puissante centrale syndicale (Ugtt). De plus, avec la manne inespérée de 3,6 milliards de dollars il pourra tenter d’acheter une « trêve sociale », jusqu’aux prochaines élections, prévues pour la fin de 2014. Enfin, Jomaâ va avoir le vent en poupe, puisqu’il semble que le FMI soit prêt à revoir à la baisse ses exigences concernant les mesures d’austérité exigée de la Tunisie, en acceptant de les étaler sur une période plus longue, de juin 2015 à mars 2016. Le FMI ne veut pas risquer d’attiser de nouveau la colère sociale avant la date des élections. Si cela se confirme, Jomaâ pourra maintenir intact le large soutien politique dont il bénéficie. Il pourra aussi compter sur l’appui de la bourgeoisie moyenne, assez influente en Tunisie, qui a été très touchée par les retombées économiques et sécuritaires de la crise révolutionnaire.La tâche essentielle de Jomaâ sera, avant tout, celle d’achever les grands chantiers des réformes structurelles voulues par le FMI et la Banque mondiale et qui concernent les investissements étrangers, la fiscalité, le secteur financier (notamment la refonte des trois grandes banques publiques), la libéralisation du secteur agricole et celui des services, et surtout la libéralisation du transport aérien et des marchés publics…

Fermer la parenthèse révolutionnaire ?En somme, l’enjeu réel du gouvernement Jomaâ est de réussir à fermer la parenthèse historique ouverte par l’insurrection révolutionnaire, et d’imposer, de nouveau, la paix néocoloniale en Tunisie. Jomaâ va-t-il réussir à donner le coup de grâce au mouvement révolutionnaire ? La réponse n’est pas facile. Elle dépend surtout de la capacité de la direction du Front populaire à corriger sa ligne politique et à revoir sa tactique et ses alliances, notamment, celle avec Nidaa Tounes. Cette direction doit aussi se débarrasser de l’idée désastreuse de croire qu’il est possible de réussir la transition démocratique, sans que le combat pour les libertés ne soit associé à celui pour les droits économiques et sociaux. La réponse dépend, surtout, de l’attitude de la direction syndicale et de sa base salariale face à la politique de Jomaâ et aux revendications soulevées par la révolution. En tout cas, seules deux options demeurent possibles en Tunisie, celle de la liberté et du progrès social qui a été rendue possible par la chute du dictateur, et celle, au contraire, du retour d’un pouvoir politique répressif comme complément indispensable du régime néocolonial dominant.

Tunis, le 11 février 2014Fathi Chamkhi