Entretien avec Messaoud Romdhani, porte parole du Comité national de soutien au bassin minier, président de la section de Kairouan de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme.
Rappelez-nous le contexte des évènements
Cela a débuté dans une région sinistrée, en proie à un chômage endémique. Dès la proclamation de résultats truqués au concours de recrutement du principal employeur de la région, la Compagnie des Phosphates de Gafsa, tous les citoyens ont protesté en manifestant pacifiquement leur mécontentement. En réponse : répression féroce, tirs à balles réelles, séquestrations, exactions, etc. La criminalisation de ce mouvement social s'est conclue par un procès fantoche et la condamnation à de lourdes peines des principaux leaders du mouvement, dont certains syndiqués à l'UGTT. La position du syndicat a toujours été ambiguë : d'abord hostile au mouvement, il a fini, sous la pression militante interne, par s'y rallier. Les comités de soutien, composés de syndicalistes et d'activistes des droits de l'homme, ont négocié en vain au moment du procès avec les plus hautes instances nationales, mais n'ont pu empêcher les détentions arbitraires.
Et maintenant ?
La région vit encore en état de siège. Redeyef subit une pression et un quadrillage policier constants. L'entourage des militants et leurs soutiens sont sous surveillance permanente. Ma famille et moi avons été contrôle toutes les heures de tous les jours. Cela semble s'être relâché, bien que mon accès à Internet soit «filtré». Je reçois par exemple des mails vidés de leur contenu ! D'ailleurs, j'ai bien failli ne pas venir en France, mon visa m'ayant été refusé sans raison, et c'est grâce à l'intervention de la FTCR que j'ai pu voyager.
Quelle est la situation des prisonniers ?
Deux des condamnés l'ont été par contumace : Fahem Boukhadous, journaliste d'Al Hiwar, en fuite, et Mouhieddine Cherbib, président de la FTCR, vivant en France.
Il reste actuellement une cinquantaine de militants emprisonnés, dont les 18 du procès et 7 jeunes arrêtés lors de manifestations de solidarité.
Les conditions de détention sont atroces. Une seule visite par semaine au cours de laquelle les femmes, pour pallier l'extrême médiocrité de la cuisine carcérale, apportent un panier de provisions. Elles marchent longtemps sous un soleil implacable pour adoucir la vie de leurs prisonniers. Le pouvoir, non content d'enfermer abusivement des gens qui luttent pour l'emploi, poursuit de sa haine les familles des détenus. Ces hommes sont souvent la seule source de revenus de la famille et leur absence les plonge dans une grande détresse matérielle. 38 % des femmes de la région d'Om Laarayes ne travaillent pas. Dans certaines familles, ce sont le père et le fils qui sont incarcérés. C'est le cas pour Béchir Labidi. Les autorités poussent le vice jusqu'à isoler les membres d'une même famille dans des prisons différentes, éloignées à la fois l'une de l'autre et du domicile. Ils jouent l'éparpillement pour décourager les proches et les contraindre à renoncer au droit de visite. La souffrance affective et matérielle des familles est immense.
De plus, l'intolérance, la répression et l'absence de dialogue du pouvoir encourage l'islamisation de la société tunisienne, dont la jeunesse voit en la religion une forme de protestation sociale.
Comment s'organise le soutien ?
La solidarité vient beaucoup de la société civile, malgré les nombreuses pressions. Sur le chemin de la prison, il n'est pas rare que de simples citoyens remplacent le contenu du panier, parce qu'il a pourri avant d'arriver à son destinataire.
Je n'ai avec les familles qu'un contact téléphonique. Le comité de soutien assure une assistance financière discrète, dans leur intérêt. L'UGTT apporte également son aide. Elle a un rôle de médiation, surtout pour permettre le difficile accès aux soins, entre autres pour Béchir Labidi, Adnane Hajji & Taïeb Ben Othman, souffrant de pathologies lourdes.
Le contexte électoral du moment (les élections auront lieu le 25 octobre) favorise la circulation de rumeurs, comme celle selon laquelle l'UGTT appellerait à voter Ben Ali en échange de la libération des prisonniers.
Je salue ici l'initiative de la Fédération générale de l'enseignement de base, qui, lors de son congrès de juin dernier, a décidé d'une grève de solidarité avec les militants emprisonnés ; ce sera le 5 octobre, décrété journée mondiale des enseignants par l'Unesco et le mot d'ordre en sera la libération des prisonniers du bassin minier.
Quel est le sens de votre voyage en France ?
C'est une tournée de sensibilisation et de remobilisation. Nous avons été reçus par les principales organisation de la gauche française, ainsi que celles de défense des droits de l'Homme, qui nous ont assuré de leur appui.
Nous projetons une série d'actions afin de provoquer une réelle prise de conscience de la population française, avec l'espoir qu'elle feront pression sur ses responsables, comme Sarkozy ou Delanoë, dont le silence complice sur les atteintes aux droits de l'homme est indigne.
Contact: Comité de soutien du Bassin Minier c/o FTCR 3, rue de Nantes Paris 19 ftcr@ftcr.eu
DERNIERE MINUTE : A Redeyef des pluies torrentielles ont provoqué le 22 septembre inondations et crues qui ont ravagé la ville. Plusieurs maisons, dont celle du syndicaliste et enseignant Taieb Ben Othmane, incarcéré à la prison de Sidi Bouzid, se sont écroulées. Le jeune Ouday, neveu de Taieb est mort. La ville est isolée et la route de Om Laarayes impraticable. Seuls les militaires de la caserne proche semblent commencer à fournir des secours en plus des habitants eux-mêmes. On déplore une vingtaine de morts. Le 24, électrocution de 2 nouvelles victimes après la mise en marche par les autorités de conduites d'eau défectueuses.