Le 18 avril, lorsqu’Erdogan a annoncé qu’il y aurait des élections anticipées le 24 juin, tout le monde a été surpris, y compris certains cadres de son propre parti. Mais les résultats des élections ne sont, eux, guère surprenants.
Erdogan a gagné la présidentielle dès le premier tour, avec 52,59 % des voix, et son parti a obtenu 42,56 % des suffrages lors de l’élection au Parlement. Son plus sérieux rival, Muharrem Ince, candidat du CHP (principal parti d’opposition, d’orientation sociale-libérale), a obtenu 30,64 % des voix et son parti 22,64 %. Selahattin Demirtas du HDP (coalition de la gauche et du mouvement kurde) a réalisé un score de 8,4 % (11,7 % pour son parti).
L’extrême droite en progression
La principale surprise est venue du MHP (extrême droite, parti des Loups gris), qui soutenait Erdogan pour la présidentielle mais qui a obtenu 11,1 % des voix lors du scrutin parlementaire. Tous les sondages indiquaient qu’ils obtiendraient nettement moins de voix, notamment dans la mesure où le parti a récemment scissionné, avec la naissance d’un autre parti d’extrême droite nationaliste [le « Bon parti »], dirigé par l’ancienne ministre de l’Intérieur Meral Aksener, connue pour les meurtres, kidnappings et disparitions de militantEs kurdes qui ont eu lieu durant son exercice. Elle n’a obtenu, contrairement à ce qui était attendu, que 7,29 % aux élections, mais son parti a reçu 9,95 % des votes. Ce qui signifie que l’extrême droite représente aujourd’hui 21 % (11,1 + 9,95) des suffrages aux élections parlementaires.
Lorsque l’on sait que le MHP est le principal partenaire de l’AKP d’Erdogan, tout semble indiquer qu’Erdogan va poursuivre une politique encore plus nationaliste et encore plus agressive, avec notamment des opérations militaires contre les Kurdes, afin de conserver le soutien du MHP.
L’augmentation des votes pour le MHP est la question la plus discutée depuis les élections. Et il semble que personne n’ait de véritable réponse, même s’il est évident que les opérations militaires conduites par l’armée turque ont contribué à faire monter le nationalisme et que, contrairement aux pronostics d’Erdogan, ce phénomène a davantage bénéficié au MHP qu’à l’AKP.
Même si le nombre de voix qu’il a obtenues n’est pas très élevé, l’un des candidats les plus scrutés a été Selahattin Demirtas (HDP), qui a fait campagne depuis la prison au moyen de tweets publiés chaque jour par ses avocats. Et si son score est passé de 9,76 % à 8,4 %, son parti a toutefois réussi à passer la barre des 10 % nécessaires pour être représenté au Parlement. Le HDP a perdu quelques voix, notamment dans les zones kurdes, mais il a compensé cette perte en gagnant de nouveaux suffrages dans l’ouest du pays. Il semble qu’il y a eu une tendance chez certainEs électeurEs « laïcs » à voter pour Ince (CHP) à la présidentielle mais pour le HDP au Parlement afin de s’assurer qu’il y serait représenté. C’est un phénomène notable au regard des positions traditionnellement nationalistes de ces électeurEs.
Pas de fraude massive
Le principal parti d’opposition, le CHP, et son candidat Ince ont attiré beaucoup l’attention durant la campagne en raison des discours du candidat, de ses polémiques avec Erdogan et de l’organisation de manifestations massives. Ince a suscité un véritable enthousiasme chez les supporters du parti. Certains affirment qu’il y aurait eu 5 millions de personnes lors de son meeting/rassemblement à Istanbul, ce qui est sûrement exagéré, mais il est clair que la participation aux différentes initiatives a été massive. Mais il semble que cet enthousiasme ne l’a pas tant servi, si ce n’est pour renforcer les cadres du parti et pour consolider un électorat « laïc ». Et lorsque les résultats ont été proclamés, la majorité de ses supporters ont refusé de croire qu’ils étaient authentiques. Sur les réseaux sociaux, certains ont dénoncé la fraude électorale, mais des officiels du CHP ont rapidement déclaré qu’au-delà de quelques incidents mineurs, il n’y avait pas de fraude massive. En réalité, et ce spécialement à l’occasion des dernières élections, l’opposition turque est bien organisée pour empêcher la fraude : dans chaque bureau de vote il y a au moins un observateur de l’opposition durant le vote et le dépouillement. Et grâce à un logiciel dédié, chaque observateur peut télécharger sur son téléphone un rapport officiel et tamponné de son bureau de vote, ce qui permet à chaque parti de vérifier que les chiffres concordent. C’est ainsi que les officiels du CHP ont rapidement déclaré que les résultats officiels étaient les mêmes que ceux qu’ils avaient obtenus, et que le principal candidat d’opposition Ince a envoyé un SMS à un journaliste, alors que le décompte officiel n’était pas terminé, affirmant : « C’est l’autre qui a gagné. »
Metin Feyyaz (traduction J.S.)