Merkel et Hollande se vantent d’avoir « arraché » à Poutine et Porochenko, après 16 heures de négociation, la signature d’un « accord de paix » sur le Donbass, région sécessionniste de l’est de l’Ukraine. Ils se donnent le beau rôle, masquant ainsi leur propre responsabilité dans l’escalade guerrière dont l’Ukraine est le théâtre.
Un cessez-le feu bien fragileParler d’accord de paix est pour le moins exagéré, c’est un cessez-le-feu qui laisse un peu de répit à la population et interrompt les surenchères militaires des dernières semaines. Il représente une nouvelle étape dans la négociation des rapports de forces après celle de septembre dernier, Minsk 1, et personne ne peut dire quelle en sera l’issue.Cela faisait une semaine que les tractations diplomatiques s’étaient accélérées. Le 5 février, Hollande et Merkel avaient été reçus à Kiev par le président ukrainien Porochenko. Le lendemain, ils rencontraient Poutine à Moscou. Puis ce fut l’ouverture des négociations à Minsk. Poutine, Porochenko, Merkel et Hollande ont signé une déclaration commune dans laquelle ils « réaffirment leur plein respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine » et se disent « fermement convaincus qu’il n’existe pas d’alternative à une solution exclusivement pacifique », simple déclaration d’intention. L’accord lui-même a été signé par les dirigeants des Républiques pro-russes de Donetsk et de Lougansk, l’ambassadeur de Russie en Ukraine, ainsi que par la diplomate suisse Heidi Tagliavini, mandatée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).À l’heure actuelle, le cessez-le-feu semble tenir plus longtemps que le précédent qui n’avait duré que 48 heures... Son contenu est sensiblement le même : principalement l’évacuation des soldats des deux côtés, avec mise en place d’une zone de sécurité autour de la ligne de front actuelle, la supervision de l’ensemble du processus de paix par l’OSCE, l’organisation d’élections locales conformes au droit ukrainien, une amnistie, la libération et échange de tous les prisonniers, la garantie de la libre circulation de l’aide humanitaire.Le nœud de la négociation est la mise en place de réformes constitutionnelles d’ici à la fin 2015 en vue de donner un « statut particulier » aux régions de Donetsk et Lougansk. Cela serait une forme de reconnaissance par Kiev des deux républiques pro-russes et des élections locales de novembre dernier.
L’introuvable paix ?Le cessez-le-feu a-t-il une chance de se prolonger et l’accord de devenir un réel accord de paix ?Tout dépend de la façon dont les principaux protagonistes, les grandes puissances, Russie, Union européenne et USA, apprécieront les rapports de forces... et leurs propres calculs.Certes, Poutine connaît de graves difficultés économiques avec la chute du prix du pétrole qui aggrave la situation d’une Russie déjà au bord de la récession. Mais cela pourrait aussi le pousser à jouer plus encore la carte du nationalisme grand-russe pour garder le contrôle politique de la situation face à un mécontentement populaire croissant.Sans doute, le souci d’éviter que l’affrontement ne devienne un affrontement direct avec les Américains – qui font monter la pression – poussera les différentes parties régionales, européennes et russes, à chercher une issue négociée.Si les États-Unis ont salué l’accord de cessez-le-feu, ils sont restés très en retrait, affichant leur scepticisme, accusant la Russie de continuer d’armer les séparatistes pro-russes et d’envoyer hommes et matériel, ce que Moscou nie.La Russie n’a pas nécessairement intérêt à ce que la déroute militaire de l’armée ukrainienne ouvre la possibilité que les États-Unis et l’Otan s’engagent davantage dans le conflit en envoyant des armes et du matériel militaire au gouvernement de Kiev. L’Allemagne et l’Union européenne non plus. L’Allemagne flanquée de la France, joue aussi sa propre carte.Autour de la crise ukrainienne, conséquence des rivalités entre la Russie soucieuse de garder le contrôle de la région et l’Union européenne – alliée aux USA – manœuvrant pour l’intégrer à leur zone d’influence, se négocient de nouveaux rapports de forces. Ces rapports de forces entre puissances se jouent des intérêts des peuples. Pourtant, il n’y aura pas de paix démocratique sans l’intervention de ces derniers pour défendre leurs droits, en lien avec les travailleurs de Russie et des pays de l’Union européenne.
Yvan Lemaitre