L’affirmation d’une « désescalade » diplomatique à Genève cache mal les incertitudes portant autant sur l’Ukraine que sur une nouvelle phase de l’ordre mondial.
Si l’hypothèse était que Poutine préparait dans les régions de l’Est de l’Ukraine le même scénario qu’en Crimée, il est certain que Genève est une « désescalade ». L’accord prévoit, sous surveillance d’une délégation de l’OSCE, que s’opère « le désarmement des groupes armés illégaux » et « l’évacuation des bâtiments occupés ». Et la négociation elle-même impliquait de fait une certaine reconnaissance par Moscou du gouvernement de Kiev, jusque-là caractérisé comme issu d’un « coup d’État fasciste ». Mais il n’est pas évident que Poutine ait visé la sécession de ces régions, plus organiquement « ukrainiennes » que la Crimée, et leur rattachement à la Russie (et donc qu’il « recule »). On peut estimer que la réunion de Genève est plutôt une victoire immédiate pour Poutine, avec le silence diplomatique sur la Crimée et la progression de l’option défendue par Moscou d’une forme ou d’une autre de « fédéralisation » de l’Ukraine. Une telle évolution peut n’être qu’une phase vers son éclatement, que celui-ci soit souhaité ou pas : on peut douter de la capacité des forces politiques dominant à Kiev à surmonter la défiance qu’elles suscitent et à unifier le pays... surtout si la Russie apparaît aux régions de l’Est (comme l’UE dans l’Ouest) porteuse d’une situation sociale moins dégradée, alors que le pays est au bord de la cessation de paiement et soumis à « l’aide » du FMI...
Sur le terrain, une accalmie loin d’être assuréeLes « séparatistes » de l’Est refusent de rendre les armes tant que le gouvernement de Kiev – à leur yeux illégitime – reste en place. Au-delà de l’instrumentalisation par Moscou de ces contestations, on peut croire à un véritable écart entre négociations au sommet et réactions populaires incontrôlées, comme ce fut le cas pour Maïdan. Les diplomates de Genève sont bien loin du terrain : comment tournera le dialogue entre Kiev et les populations de l’est, et qui les représentent ? On ne sait pas non plus ce qu’il adviendra des tensions, entre le ministre de l’Intérieur et Pravyi Sektor qui nie avoir des armes illégales, ainsi qu’autour des barricades et campements de Maïdan qui demeurent en place. Poutine a sans doute poussé à l’offensive sanglante contre Maïdan qui a coûté son poste à Ianoukovitch. Sa récupération de la Crimée polarise les réactions de crainte ou de soutien d’une politique grand russe qui a exploité les fragilités du gouvernement de Kiev pour s’affirmer dans l’après guerre-froide face à un occident en crise. Les enjeux intérieurs à l’Ukraine ne dépendent pas en premier lieu de ces enjeux géopolitiques, mais des mouvements sociaux et politiques. Le mouvement irrédentiste de Maïdan se heurte à l’absence d’alternative progressiste crédible dans tout le pays, en Russie et dans l’UE : c’est ce que nous devons construire.
Catherine Samary