Publié le Dimanche 6 septembre 2009 à 08h30.

Une militante poursuivie...Interview de Delphine Prudhomme.

Delphine Prudhomme est enseignante en Guadeloupe, membre du LKP et co-secrétaire académique du SNES-FSU Guadeloupe. Ell est aujourd'hui menacée de sanctions disciplinaires par le rectorat pour son activité militante durant la grève générale du début de l'année

 Le proviseur de ton lycée te reproche d'avoir participé  à la grève du 16 décembre 2008. Peux-tu nous expliquer plus précisément les comportements qu'il met en cause ?

Les comportements ? Awa !* Il me reproche d’avoir été « absente » le 16 décembre 2008, point final ! Pour la petite histoire, c’est aussi un prétexte retenu par le recteur. Mais je crois que ce qui a vraiment mis le proviseur de travers, c’est l’assemblée générale du 14 janvier. J’avais fait la demande d’une heure syndicale au nom de plusieurs syndicats du bahut, heure pour laquelle il avait donné son accord. Et puis, deux jours avant, il se « rend compte » que pour la première fois dans l’histoire du lycée, il va avoir sur les bras une AG de tous les personnels – pas juste les profs, mais aussi les personnels ouvriers, les précaires, les administratifs – et qu’on va voter la participation à la grève générale. Il me dit : « arrêtez ça, je retire mon autorisation ». Nous lui avons simplement fait comprendre que donner, c’est donner…

Après la "fin" du mouvement, quelle a été l'ambiance dans le lycée ? La contestation a-t-elle continué ?

L’ambiance a été un peu tendue, comme dans tous les bahuts de Guadeloupe. Pour tout un tas de raisons, ici, le milieu « éduc’nat » a été divisé sur la question de la grève générale, surtout à mesure que le mouvement se durcissait. À cause de cela, l’administration a trouvé, sur la fin, des alliés parmi une forte minorité de salariés pour franchir les piquets de grève et collaborer à la répression alors que partout ailleurs le soutien au mouvement était unanime. Forcément, ça laisse des traces. Mais il nous reste une pile de questions à affronter et les collègues prêts à se battre ne manquent pas.

Peux-tu nous en dire plus sur le journal Rebelle !

Avec les copains de Combat ouvrier, nous sentions venir quelque chose de gros. Un camarade – journaliste de métier – et moi, nous avons décidé, avec l’aide d’étudiants « vétérans » des manifs anti-CPE, de lancer un journal « pour faire entendre la voix des jeunes qui contestent les idées officielles ». On partait du constat que depuis des décennies, rien de tel n’existait plus ici. Ça a marché : de septembre à décembre 2008, une douzaine de jeunes de 15 à 25 ans ont adhéré au projet et s’en sont emparé. Dans les lycées et à la fac, on vendait, de la main à la main, de 500 à 1 000 exemplaires chaque mois. Immédiatement, ces jeunes ont eu à faire face aux menaces et aux intimidations. Même dans la « lointaine cambrousse » de Bouillante, une lycéenne en BEP s’est entendu dire « tu sais, l’Éducation nationale voit d’un très mauvais œil ce journal » et elle a subi tout un tas de pressions, comme d’autres, presque partout en Guadeloupe. Le cas le plus « lourd » s’est passé dans mon lycée – et ce n’est pas un hasard, malgré le fait que j’étais alors une « Rebelle » anonyme (nous voulions que les jeunes construisent leur réseau eux-mêmes et nous avions « interdit » aux jeunes profs sympathisants de diffuser le journal aux élèves de leurs établissements, car rien ne devait passer par le circuit de « l’autorité »). Au lendemain de la fameuse AG, mon proviseur, son adjointe, et certains CPE ont « attrapé » les rédacteurs de Rebelle ! et leurs « clients » les plus réguliers et les ont promené de bureaux en bureaux pour les menacer d’exclusion.

Malgré  tout cela, les « Rebelles », comme on les appelle ici, se sont multipliés pendant le mouvement. Malgré leur jeune âge, malgré la pression énorme de la répression, ils ont fait preuve de discipline, de courage, de courage physique et d’un culot rafraîchissant ! Le tout en sortant un nouveau canard tous les deux ou trois jours. Ils disaient : « En Guadeloupe, on a le seul mensuel du monde qui sort deux fois par semaine ». Je suis très, très fière d’eux.

Le courrier que tu as reçu le 2 juillet annonçait des révélations pour le 25 août. As-tu pu consulter ton dossier depuis et qu'en est-il de ces révélations ?

Rien. En fait, il s’agit d’une série de témoignages que des personnels ont fait, « à la demande du proviseur » comme ils l’écrivent eux-mêmes… La plupart ne me concernent pas, mais portent sur le camarade journaliste dont je te parlais tout à l’heure et qui se trouve être mon compagnon. C’est une des choses qu’on me reproche, ce qui prouve qu’en plus d’être antisyndicale, l’administration est sexiste ! À la veille de la grève générale, après que les jeunes de Rebelle ! ont été menacés d’exclusion, le reste du groupe a diffusé un tract de protestation devant le lycée. Le proviseur s’est pointé pour les chasser. Le camarade en question et un étudiant en sciences qui est le trésorier du journal sont allés lui parler pour lui dire deux choses. Un, qu’en affirmant que c’était moi qui écrivait Rebelle ! parce que c’était « trop bien pour être fait par des jeunes » il se montrait indigne d’être un éducateur. Deux, qu’en essayant de s’en prendre au journal, il déclenchait une guerre qu’il ne pouvait pas gagner. Ça s’est révélé exact d’ailleurs (rires). Moi-même je n’étais pas au courant : j’attendais mes élèves… qui ne sont pas venus. Contre toute attente, l’attitude du proviseur avait provoqué une manif pour la liberté d’expression, ce qui fait que chez nous, les cours se sont arrêtés le 19 janvier, un jour avant le début de la grève générale !

Selon toi, quelles suites vont être données à cette affaire ?

Nous avons une première victoire. Le 25 août nous sommes allés au rectorat à 200, avec les militants du LKP, les jeunes de Rebelle !, les syndicalistes enseignants et le mouvement des contrats aidés auquel je participe au nom de la FSU. Le bâtiment était gardé par une cinquantaine de policiers qui ont empêché la presse d’accompagner la délégation venue avec moi consulter le fameux dossier…Trois jours après, le recteur annonçait à la télévision et à la radio locales qu’il abandonnait les poursuites contre moi. Mais ce n’est pas fini. Le recteur a fait comprendre que c’était « la dernière fois », qu’on tolérait mon militantisme. Comme l’a expliqué Élie Domota au meeting de rentrée du LKP : « Yo ataké Delfin pas y blan é pas yo té vlé moun konpwann nou sé dé rasis, men osi pas y ka wouvè zyé a timoun gwadloup asi sa ki ka pasé adan péyi a yo »**. Discréditer le LKP, nous faire rendre gorge pour la confiance que nous avons gagnée et réprimer les militants, c’est ce que veulent tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir ici. Qui sera le prochain ? Un jeune de Rebelle !, Patrice Tacita et Sarah Aristide (avocats du LKP), un syndicaliste anonyme, Élie ?… La seule chose de sûre, c’est qu’ils vont essayer à nouveau.

Comment peut-on te soutenir depuis la métropole ?

C’est « nou tout » qu’il faut soutenir et pour commencer, il faut, comme on dit en créole, « rester véyatif ». Faire savoir chez vous ce qui se passe ici. Nous avons souffert du black-out médiatique sur les premières semaines de la grève générale. Tu ne peux pas imaginer l’effet qu’ont eu à ce moment-là les appels à soutient du POI, les communiqués de Lutte Ouvrière dénonçant la possibilité d’un nouveau « Mé 67 » et juste après, la venue d’Olivier. C’est par les militants que l’info a franchi le barrage. Et nous avons vu comment cela a changé l’attitude des forces de répression. Les 200 € nous ont coûté la vie du camarade Jacques Bino. Sans votre travail, on peut craindre qu’ils nous auraient coûté encore beaucoup plus cher. 

* Mais non !

** Ils ont attaqué Delphine parce qu’elle est blanche et qu’ils veulent que les gens croient que nous sommes des racistes, mais aussi parce qu’elle ouvre les yeux des enfants de Guadeloupe sur ce qui se passe dans leur propre pays.