Publié le Mercredi 23 novembre 2016 à 09h12.

USA : « Les manifestations sont un avertissement pour Trump et ses comparses »

Entretien. Membre de l’organisation anticapitaliste étatsunienne Solidarity Joanna Misnik revient pour nous sur l’élection de Trump et ses conséquences.

Des manifestations partout dans le pays après une élection présidentielle, c’est nouveau...

Le déferlement spontané de dizaines de milliers de personnes juste après les élections était très enthousiasmant et des manifestations continuent à être organisées. Les jeunes, encore une fois, ont été les principaux organisateurs de ces actions. Des milliers de lycéens et d’étudiants dans toute une série de villes ont quitté leurs cours pour défiler contre le programme de Trump. Les très jeunes qui étaient si nombreux dans les rues sont en partie une génération post-Bernie, qui arrive à la politique pour la première fois. Parmi les manifestants il y a eu toute la gamme de militantEs des mouvements sociaux, dont en particulier ceux et celles de Black Lives Matter, des Latinos qui demandaient justice sur l’immigration contre le projet de Trump d’expulser trois millions de personnes, des femmes dont ce sont les premières actions pour défendre le droit à l’avortement contre les nouvelles attaques des Républicains.

Les manifestations sont un avertissement pour Trump et ses comparses : ils rencontreront une résistance, la gauche ne se cachera pas et elle n’est pas abattue et encore moins défaite. Comme souvent depuis Occupy, ces actions n’étaient pas dirigées par une organisation ou une coalition en particulier. Malgré la tentative de la part de certains groupes révolutionnaires de les récupérer, elles sont encore une fois le produit de l’utilisation des médias sociaux par toutes sortes d’individus et de groupes. Déjà Facebook se remplit d’actions diverses pour le 20 janvier, le jour où Trump sera officiellement investi comme président.

La section du Mouvement national pour la libération des femmes à Brooklyn (New York) organise des réunions mensuelles qui rassemblent d’habitude une vingtaine de femmes. Le lendemain de la victoire de Trump, il y avait tellement de personnes qui ont annoncé sur Facebook qu’elles venaient qu’elles ont réserver un stade. Des milliers de personnes ont afflué, avec des gens à l’extérieur qui ne pouvaient rentrer. La Marche d’un million de femmes prévue le 21 janvier illustre bien comment les choses avancent. Des pages Facebook sont créées dans chaque état par des « organisatrices ». La marche sera une réussite mais aucune organisation ou coalition connue jusqu’ici n’en est responsable.

Quelle est l’attitude du mouvement syndical  ?

La majeure partie du mouvement a manqué à l’appel lors des premières tentatives de résistance. Depuis des décennies le mouvement ouvrier se considère comme un partenaire mineur et loyal du Parti démocrate, même lorsque que le parti assénait des coups sévères contre les salariés avec sa politique néo-libérale. Avec seulement 11 % de syndiqués, le mouvement ouvrier est de plus en plus vulnérable aux attaques inévitables sous la future administration droitière de Trump et le mouvement n’est pas du tout préparé pour faire face à ce défi sérieux.

Des administrations républicaines dans 26 états ont réussi à voter une législation connue sous le nom de « droit de travailler ». Avec une majorité républicaine dans les deux chambres du Congrès et Trump à la présidence, il est probable que soit votée une loi républicaine – la « loi pour le droit de travailler » – qui permettra de débarrasser le secteur privé de syndicats efficaces. De nouvelles nominations dans les organismes gouvernementaux qui s’occupent du droit du travail aboutiront à des retours en arrière similaires. Lorsque la droite sera majoritaire à la Cour suprême, on pourrait très bien assister à une avalanche de contestations du droit de se syndiquer. Des privatisations de plus en plus nombreuses de services publics au niveau des États et au niveau fédéral pourraient laminer le mouvement syndical du secteur public.

Une transformation politique en profondeur est nécessaire si le mouvement syndical veut survivre à la tempête qui arrive. Seuls 51 % des syndiqués ont voté pour Clinton, le pourcentage le plus bas pour une candidature démocrate depuis 1980, l’année de l’élection de Reagan. Des dizaines de milliers de travailleurs syndiqués qui ont voté pour Obama par le passé ont voté pour Trump cette fois-ci. La popularité du programme anticapitaliste et social-démocrate de Bernie Sanders parmi les travailleurs et les syndicats qui ont formé « les travailleurs pour Bernie », montre la voie à suivre pour le renouvellement politique dont le mouvement ouvrier a besoin pour les combats à venir. Une nouvelle tentative d’influencer ou de rénover un Parti démocrate néo-libéral ne pourra que rendre une stratégie morte encore plus mortifère. L’espoir se trouve dans la contestation du 1 % par les 99 % et dans la solidarité active avec les mouvements sociaux qui sont attaqués. Une attaque contre un est une attaque contre tous.

Peut-on imaginer une convergence des mouvements de la jeunesse, ou qu’une partie du mouvement ouvrier se pose la question d’un nouveau parti, comme cela a été posé dans les années 1930  ?

Les manifestations ont permis de montrer la solidarité et la résistance. Mais le combat contre Trump et la droite au gouvernement est un processus à plus long terme qui nécessite quelque chose qui va au-delà d’un travail sur les réseaux sociaux. Cela serait le rôle d’un troisième parti, un parti de gauche ou un regroupement pour un nouveau parti aux USA, ou même un mouvement syndical redynamisé. Le pouvoir des mouvements sociaux, qui ne sont pas actuellement très puissants, serait renforcé par un front unifié de la gauche.

L’armée de supporters de Bernie Sanders, dont beaucoup de jeunes, a été globalement dispersée lorsqu’il a honoré sa promesse de travailler pour l’élection de Clinton. Mais la révolte autour de Bernie a été et reste la vraie « révolution » dans la vie politique aux USA. La mobilité sociale bloquée pour la jeunesse, en particulier pour celle qui vient d’un milieu ouvrier ou immigré, est une réalité socio-politique explosive qui ne disparaîtra pas. Beaucoup de ces personnes sont actuellement dans la rue. Beaucoup moins des 20-35 ans ont voté Clinton que Obama. La désaffection d’une partie d’entre eux à l’égard des deux grands partis capitalistes a contribué à ce que le vote pour la candidate du Parti vert, Jill Stein, dépasse un million de voix. En quelques jours après la victoire de Trump, les Socialistes démocratiques des USA (c’est la réponse de Google quand on cherche le terme socialisme démocratique en liaison avec Bernie Sanders) auraient reçu 2000 demandes d’adhésion...

Il est peu probable qu’aux USA un troisième parti politique national émerge à court ou à moyen terme. La conscience de classe est vraiment très faible et la méfiance des 20-30 ans vis-à-vis des partis et autres institutions est forte. L’idée d’un tel parti est plus attirante depuis la défaite lamentable de Clinton et du Parti démocrate néo-libéral mais la gauche révolutionnaire, qui est petite et divisée, ne pourra pas la faire apparaître simplement en expliquant pourquoi c’est nécessaire. Il faudrait que de vraies forces sociales convergent dans l’action pour créer un tel parti. En plus, de soi-disant progressistes et radicaux donnent une nouvelle variante à l’argument pour rester au Parti démocrate. Ils sont d’accord qu’un nouveau parti est nécessaire et que les Démocrates tels qu’ils sont c’est fini, tout en proposant de transformer le Parti démocrate en ce nouveau parti. Ceci n’est que le même jeu cynique habituel. Les progressistes des États-Unis savent très bien que le Parti démocrate n’est pas un parti au vrai sens du terme et que c’est une institution totalement soumise aux intérêts capitalistes des États-Unis. Contrairement au Parti travailliste britannique, par exemple, il n’y a pas de vraies sections locales ni aucune structure décisionnelle où la base pourrait monter une révolte.

Au niveau municipal par contre, des campagnes politiques locales avec des candidatures indépendantes sont possibles et peuvent être organisées par la gauche révolutionnaire en alliance avec les mouvements sociaux, des syndicats, des militantEs et des dirigeants locaux du Parti vert. Parmi les exemples de ce type de politique locale et indépendante on trouve l’Alliance progressive de Richmond ( http://portside.org/2013-09-16/communities-fight-community-control-over-corporate-power ) qui a arraché le contrôle du conseil municipal de cette ville californienne à la domination de la société pétrolière Chevron, la 8e société la plus importante du monde. Un réseau national d’initiatives municipales pour faire de la politique autrement et en dehors des deux grands partis aiderait à donner une légitimité à la construction d’une nouvelle voix politique pour les travailleurs. LeftElect est ce réseau de rebelles contre le duopole. La deuxième conférence nationale de LeftElect aura lieu à Chicago en mars 2017 ( https://leftelect.net ). La collaboration nationale pour développer ces initiatives politiques indépendantes est la meilleure occasion que nous ayons eue depuis des décennies.

Propos recueillis par Penny Duggan et traduit par Ross Harrold

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