Les 13 et 14 mai dernier, de nombreuses émeutes ont éclaté au Vietnam : en cause la politique agressive de Pékin, militaire et économique, qui suscite des réactions croissantes dans la région.
L’ampleur des émeutes populaires qui ont éclaté au Vietnam est impressionnante. Quelque vingt mille ouvriers ont tout d’abord manifesté dans une zone industrielle de la province de Binh Duong dans le sud du pays, non loin d’Ho Chi Minh-Ville (Saigon), finissant par incendier ou piller environ 250 usines. Le mouvement de colère, qui a fait de très nombreux blessés, s’est propagé dans le centre, notamment à Ha Tinh où, selon une source hospitalière, il y aurait eu plus de 20 morts. Deux jours auparavant, le 11 mai, un millier de personnes avaient défilé dans la capitale, Hanoï, non loin de l’ambassade de Chine, à la suite d’un grave incident naval opposant la flotte chinoise à des garde-côtes vietnamiens : Pékin a en effet décidé d’installer une plateforme de forage pétrolier dans l’archipel des Paracels revendiqué par le Vietnam. D’autres manifestations se sont déroulées à Saigon et Danang.
Le refus de la pression militaire et économique chinoiseLa crise diplomatique ouverte au Vietnam résume les deux principales sources de tension entre les pays de la région et la Chine : territoriale et sociale. Pour garantir son accès à l’océan Pacifique, Pékin a décrété sa souveraineté sur l’ensemble de la « mer de Chine du Sud » (une appellation évidemment rejetée par les autres États riverains) et utilise sa puissance navale pour l’imposer de force. Tous les pays d’Asie du Sud-Est ayant une façade maritime sur cette zone sont concernés : Vietnam, Malaisie, Philippines… Par ailleurs, les capitaux chinois et taïwanais ont, souvent de concert, beaucoup investi dans cette région. Les conditions de travail y sont particulièrement mauvaises, les syndicats pratiquement exclus ou impotents, la discipline dictatoriale et les possibilités de promotion de Vietnamiens très réduites : l’encadrement est trusté par des Taïwanais et Chinois. Ainsi, les usines attaquées ces jours d’émeutes au Vietnam étaient chinoises, taïwanaises, coréennes, singapouriennes, voire thaïlandaises ou même vietnamiennes. Il y a un aspect de révolte sociale que l’on retrouve – et ce n’est pas un paradoxe – dans les résistances ouvrières en Chine même à l’encontre des transnationales asiatiques. Le ressentiment antichinois est profond dans la population. Le gouvernement cherche à l’instrumentaliser à son profit, le Parti communiste espérant y trouver légitimité et en profitant pour faire taire les critiques. Pourtant, autant il est clair que les manifestations contre l’incident naval du 7 mai étaient « facilitées » par le PCV (même si des opposants y ont participé, au côté de vétérans et de membres des organisations de jeunesse officielles), autant il semble probable que les émeutes ouvrières ont débordé les limites prévues par un régime dont la politique économique vise à favoriser l’investissement étranger, le tourisme et le marché. Les nouveaux rassemblements prévus le dimanche 18 ont d’ailleurs été interdits. Ces récents événements montrent à quel point les tensions sociales et géopolitiques s’aggravent en Asie orientale. Un contexte qui favorise dans chaque pays la montée de nationalismes de puissances (Chine, Japon…) et/ou xénophobes dont les Chinois de la diaspora sud-est asiatique pourraient notamment être victimes.
Pierre Rousset