La période des Marches des Fiertés a commencé sous le signe d’une offensive anti-trans. Le mardi 28 mai a été votée au Sénat, sous l’impulsion de LR (Les Républicains), une loi transphobe visant à empêcher les transitions médicales des mineur·es.
Elle interdit la prescription d’hormones pour les mineur·es, limite très fortement la prescription de bloqueurs de puberté, et les médecins qui les prescriraient malgré tout vont encourir jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
Cette loi fait suite à un rapport du Sénat sur la « transidentification des mineurs »1 réalisé officiellement par LR et officieusement par l’Observatoire de la Petite Sirène2, association transphobe, comme l’a montré un article de Mediapart3.
Néanmoins, il ne faut pas non plus être défaitiste. Avec une majorité de droite conservatrice au Sénat, le projet de loi risquait fort d’être voté. Toutefois, le résultat des votes (180 voix pour, 136 contre4) montre une victoire à la Pyrrhus pour Les Républicains. En effet, ils n’ont pas su élargir leur majorité au-delà de l’extrême droite, et leurs alliés de l’Union centriste se sont divisés au moment des votes. Toute la gauche a voté contre5, ainsi que la macronie (groupe RDPI), les centristes du Rassemblement démocratique et social européen6. Le groupe Les Indépendants, République et Territoires, proche d’Édouard Philippe, s’est abstenu.
Sauf renversement de position de la macronie, cette loi n’a quasiment aucune chance de passer à l’Assemblée nationale, ce qui est nécessaire pour son adoption dans le droit français. En France, le bloc national-majoritaire, de l’extrême droite jusqu’à une partie de la gauche, se structure sur l’islamophobie et non (pour le moment) sur la transphobie (au contraire d’autres pays comme le Royaume-Uni). Le RN ayant également déposé une proposition de loi en ce sens à l’Assemblée nationale, il est probable que Renaissance s’y oppose encore, restreignant encore les thématiques transphobes à une partie de la droite et de l’extrême droite. Pourtant, adoptée ou non, cette loi va participer du déferlement de haine transphobe et homophobe.
En effet, cette loi s’inscrit dans un contexte transphobe qui ne date pas d’hier. Régulièrement des tribunes stigmatisant les personnes trans, en particulier les femmes trans, sont publiées dans la presse. Des saillies antitrans sont relayées dans les médias et en particulier ceux de l’empire Bolloré, augmentant le nombre d’agressions7.
Pour ces raisons, le mot d’ordre des prochaines Prides devra être à la résistance mais aussi à la conquête de nouveaux droits, et en particulier pour les personnes trans. L’association féministe Toutes des Femmes a lancé la campagne « Juge pas mon genre »8 9, pour un changement de sexe à l’état-civil déjudiciarisé, libre, gratuit pour toutes les personnes trans et sur simple demande. Cela a déjà été adopté dans plusieurs pays dont l’Espagne, l’Allemagne et pourrait parfaitement être adopté en France dès cette année.
Cette revendication est aujourd’hui largement partagée dans le mouvement social, du NPA - L’Anticapitaliste à la CGT, en passant par NousToutes, le Planning familial ou l’ensemble des organisations LGBTI. Nous pouvons donc nous mobiliser pour l’imposer.
Mais s’il est nécessaire de lutter pour un tel changement qui améliorerait significativement les conditions de vie des personnes trans, il ne faudra pas s’arrêter là. Cette loi ne résoudra pas tous les problèmes actuels. Elle n’empêchera pas les patrons de refuser des emplois à des personnes trans, de les licencier, elle n’empêchera pas les personnes trans de vivre sous la précarité. Il nous faudra ensuite continuer de lutter pour l’arrêt des mutilations des mineurs intersexes, la PMA pour tou·tes et réellement accessible, le remboursement des frais liés à la transition, l’arrêt des politiques répressives à l’encontre des travailleurs/ses du sexe… Ce qui signifie affronter le capitalisme et ses logiques d’austérité.
Reconstruire un mouvement LGBTI autonome et radical
Pour pouvoir construire ces mobilisations et qu’elles soient réellement dirigées par les premier·es concerné·es, il y a urgence à reconstruire du collectif, reconstruire des cadres collectifs, les associations, un mouvement LGBTI fort, qui se lie au mouvement féministe, au mouvement social. Un mouvement LGBTI qui cherche les convergences sans participer aux logiques de « cancel ».
Au moment de la construction de la #RiposteTrans et des mobilisations du 5 mai 2024, on a pu voir des tiraillements sur la façon de construire la mobilisation. Au-delà des volontés de « coups politiques » de certains, elles reflétaient également un clivage (dépassable) entre différents types de militant·es trans. Celleux qui se sont formé·es dans le milieu associatif trans, qui ont mené des actions d'auto-support, et celleux qui se sont politisé·es à partir des réseaux sociaux, des discord et du suivi des influenceurs et personnalités d’internet. Sur une échéance ponctuelle, il est facile de monter un collectif éphémère pour réagir au coup par coup. Tout l’enjeu est d’arriver à garder ses dynamiques pour des actions militantes sur la durée. Le rôle des militant·es anticapitalistes et révolutionnaires est d’arriver à tenir les bouts entre ces deux pôles pour construire du collectif militant.
Les associations et collectifs d’autosupport trans sont souvent le seul cadre de soutien dont peuvent bénéficier les personnes trans. En rupture familiale, sociale, en butte aux discriminations, les personnes trans et, au-delà, les personnes LGBTI ont dû créer leurs propres cadres, leurs solidarités concrètes.
Contrairement aux délires des transphobes, il n’est pas si facile d’obtenir des informations sur les transitions, de construire un dossier pour le changement d’état-civil, de se procurer des hormones, de réaliser des injections en toute sécurité. La santé communautaire est de fait nécessaire. On pourrait la comparer au militantisme du MLAC10 lorsque l’avortement était interdit, ou encore à celui d’Act-Up lors de la pandémie de VIH-SIDA.
C’est cette réappropriation du savoir médical par les premier·es concerné·es qui permet la formation d’un savoir profane et la diffusion dudit savoir. Iels deviennent dès lors expert·es et maître·sses de leur propre santé dans une lutte pour l’autonomie corporelle. C’est l’action notamment du Réseau Santé Trans. De même que les militant·es du MLAC pratiquaient elleux-mêmes les avortements, les militant·es trans se forment sur l’hormonothérapie, sur les injections, s’échangent des hormones, des adresses de médecins « safe ».
La réappropriation du savoir médical par les premier·es concerné·es permet la formation d’un savoir profane et la diffusion dudit savoir
L’autosupport ne concerne pas uniquement l’aspect médical. Il s’agit aussi obtenir des informations sur la constitution d’un dossier pour le changement de sexe à l’état-civil qu’il faudra présenter devant un juge, l’aide dans l’ensemble des démarches administratives, l’accès à l’emploi, à un toit avec l’ouverture de squats autogérés, des cagnottes d’aide sociale comme le FAST11. Mais comme l’explique l’Organisation de Solidarité Trans (OST) (voir l’Anticapitaliste n° 709 du 23 mai 2024), association qui essaye de se structurer à l’échelle nationale, l’autosupport est nécessaire mais il faut aussi lutter politiquement, en prenant la rue et en tissant des liens avec le reste du mouvement social, si on veut faire avancer nos droits.
Cela fait partie des tâches des militant·es anticapitalistes et révolutionnaires, et cela commence doucement à porter ses fruits. L’appel des syndicats, notamment de la CGT, de la FSU et de Solidaires, à participer aux rassemblements et manifestations en faveur des droits des personnes trans va en ce sens. Cela peut permettre de créer une nouvelle dynamique militante.
Cela implique d’arrêter de poser les luttes LGBTI comme « démocratiques » ou « sociétales », sous-entendu comme secondaires. Elles concernent nos conditions matérielles d’existence, et se conjuguent avec toutes les luttes contre les politiques capitalistes, austéritaires, réactionnaires et racistes, dont l’impact sur les LGBTI est démultiplié. Il s’agit alors de reconstruire un mouvement LGBTI autonome, ayant sa propre direction et non soumis aux ordres des directions syndicales, des directions de partis ou organisations de gauche et d’extrême gauche. Ce mouvement LGBTI, politique, serait alors en mesure de lutter contre l’exploitation capitaliste et toutes les oppressions, à égalité, sans être obligé d’abandonner son propre agenda, ses propres revendications.
Contre l’instrumentalisation de nos luttes
Alors que des lois homophobes et transphobes sont votées à travers toute la planète, alors que des guet-apens se multiplient12, qu’on meurt d’être lesbienne13, gay, bi ou trans, les mêmes réactionnaires essayent d’instrumentaliser nos luttes au profit de leurs intérêts sordides.
C’est le cas des droites et extrêmes droites israéliennes et de leurs alliés dans le but de défendre un génocide en Palestine, à Gaza et toutes les atrocités commises à Rafah. Alors que des dizaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes, dont des enfants, des minorités de genre et de sexualité, sont déjà mort·es sous les bombes israéliennes et que plein d’autres risquent leur vie, Israël se présente comme étant le pays des LGBTI au Moyen-Orient. En Israël, comme ailleurs, on meurt assassiné par l’extrême droite quand on va à la Pride14, et le mariage pour tou·tes n’est pas autorisé. Même si Israël était le paradis pour les LGBTI qu’il prétend être, cela ne justifierait pas plus la colonisation, l’apartheid, le génocide.
La même stratégie d’instrumentalisation est utilisée contre les migrant·es, notamment en France, et de manière générale contre les personnes musulmanes ou perçues comme telles. Ainsi, avant de voter la loi contre les mineurs trans au Sénat, le sénateur RN Joshua Hochart a expliqué doctement que « la vraie menace contre les personnes trans, mais aussi les personnes homosexuelles, c’est l’immigration massive » ! Le même sénateur RN s’est réjoui que la proposition de loi adoptée aille dans le même sens que celle déposée par le groupe RN à l’Assemblée nationale.
Notre rôle en tant que militant·es anticapitalistes et révolutionnaires est aussi de démanteler ces discours et de ne pas laisser prise à l’homonationalisme. Nous nous battons pour l’égalité des droits de tous et toutes, contre le racisme et l’antisémitisme, pour un monde sans oppressions ni exploitation.
- 1. « LGBTI : Face à l’offensive anti-trans au Sénat, résister, contre-attaquer ! », Sally Brina, le 28 mars 2024, L’Anticapitaliste n° 701 du 28 mars 2024.
- 2. Site de l’Observatoire de la petite sirène
- 3. « Rapport sur les mineurs trans au Sénat : enquête sur une manipulation », Mathilde Mathieu et David Perrotin, le 3 mai 2024. Mediapart.
- 4. Scrutin du Sénat n°204 - séance du 28 mai 2024.
- 5. Sauf Cécile Cukierman, présidente du groupe PCF, qui s’est abstenue.
- 6. Le vieux Parti Radical selon ses différents avatars.
- 7. Rapport sur les LBGTIphobies 2024. SOS Homophobies.
- 8. Juge pas mon genre : la campagne pour les droits des personnes trans, vidéo du NPA l’Anticapitaliste.
- 9. Site web de Juge pas mon genre.
- 10. Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception.
- 11. Fonds d'Action Sociale Trans (FAST)
- 12. « Guet-apens, des crimes invisibles. Documentaire disponible », sur Mediapart, 19 avril 2023.
- 13. « En Argentine, l’assassinat de trois lesbiennes met en lumière la menace qui pèse sur les LGBT », Anaïs Dubois, 16 mai 2024, Le Monde.
- 14. « Israël : mort d'une adolescente poignardée à la Gay Pride », France Info, 2 août 2015.