« Pegasus » : le nom du logiciel conçu et commercialisé par l’entreprise israélienne NSO Group est désormais fameux, suite à la publication de l’enquête du consortium international de journalistes Forbidden Stories et d’Amnesty International. Au fur et à mesure des révélations, on prend la mesure de l’ampleur des dispositifs de surveillance et de la collusion entre, d’une part, firmes privées spécialisées dans l’espionnage et, d’autre part, États peu soucieux des libertés démocratiques.
L’enquête de Forbidden Stories et d’Amnesty International établit que ce sont pas moins de 50 000 téléphones portables qui ont potentiellement été visés par Pegasus, à la demande de 11 États parmi lesquels le Maroc, l’Arabie saoudite, l’Inde, le Mexique ou la Hongrie. Opposants politiques, militantEs des droits humains, journalistes, mais aussi responsables politiques d’autres pays : la liste des cibles de cet espionnage donne le vertige.
« Pegasus peut tout capter, tout surveiller »
Amnesty International résume ainsi les fonctions de Pegasus : « Ce logiciel d’espionnage, extrêmement puissant, s’infiltre dans les téléphones portables. Il peut en aspirer tout le contenu, messages, photos, contacts. Plus encore, il peut prendre le total contrôle de votre appareil : accès à votre caméra, suivi des frappes de votre clavier, écoute et enregistrement de vos appels téléphoniques. La liste pourrait encore s’étendre. Une fois installé sur votre téléphone portable, Pegasus peut tout capter, tout surveiller. » Autant dire un contrôle total sur la vie privée et les communications des personnes visées.
Nous le signalions déjà la semaine dernière : les révélations du « Projet Pegasus » ne sont pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Au contraire, elles confirment la fuite en avant généralisée dans la surveillance globale, et le fait qu’en l’occurrence les principaux utilisateurs identifiés du logiciel soient des régimes autoritaires ne doit pas faire illusion : les « démocraties » sont tout aussi friandes de ce type de technologies, outils idéaux pour accompagner le cours autoritaire que nombre d’entre elles suivent depuis plusieurs années, a fortiori avec la crise sanitaire.
Timidité des réactions en France
Voilà qui explique probablement la timidité des réactions, entre autres et notamment du côté du gouvernement français, pourtant largement ciblé par les opérations de surveillance (ministres, parlementaires, et Emmanuel Macron lui-même). Lors de son récent passage au 13 h de TF1, Jean Castex a ainsi déclaré, à propos du scandale Pegasus : « Je crois qu’il serait un peu irresponsable de notre part de dire des choses tant que nous ne savons pas exactement ce qu’il en est. » Même son de cloche du côté de la communication officielle de l’Élysée : « Aucune certitude à ce stade n’est apparue, donc la prudence reste de mise dans les commentaires ». On a connu la Macronie plus virulente…
Il s’agit aussi, pour la France comme pour d’autres pays, de ne pas mettre en difficulté l’allié israélien. En effet, NSO Group est certes une firme privée, mais elle agit de concert avec le gouvernement israélien dans le cadre des accords de coopérations sécuritaires que ce dernier a multipliées au cours des dernières années. Les ventes de Pegasus ont ainsi été autorisées par les autorités israéliennes, qui feignent aujourd’hui d’ignorer que le logiciel allait être utilisé à des fins de surveillance politique et de répression par des régimes autoritaires. L’affaire Pegasus est encore loin d’avoir livré tous ses secrets, mais le moins que l’on puisse dire est qu’elle est un puissant révélateur de la généralisation de la surveillance, des marchés juteux qu’elle représente et du peu de cas que les « démocraties » font des libertés publiques.