Aucun ministre de la Justice en exercice ne s’était encore assis sur le banc des accusés de la Cour de justice de la République (CJR), institution judiciaire d’exception créée en 1993 pour juger des délits commis par des membres du gouvernement dans le cadre de leurs fonctions. Le procès d’Éric Dupont-Moretti (EDM) est donc une première judiciaire et politique.
À la suite de la plainte du Syndicat de la magistrature, de l’Union syndicale des magistrats et d’Anticor, il comparaissait pour prise illégale d’intérêts. Il risquait cinq ans de prison, 500 000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité. Lors du procès du 6 au 17 novembre, l’ancien avocat star, meilleur ami des riches mis en examen, n’a pas pu s’empêcher d’éructer, d’invectiver les témoins et d’accuser ses collaborateurs d’incapacité.
« Ce procès c’est une infamie ! », hurle Dupont-Moretti
Les faits datent d’avant sa nomination en tant que garde des Sceaux. Très en colère contre trois juges du parquet national financier (PNF), qui avaient osé faire éplucher ses factures téléphoniques détaillées (les fadettes) à propos d’un dossier lié à Sarkozy et à son avocat Herzog, l’affaire Paul Bismuth, il avait porté plainte contre eux. Après une enquête pré-disciplinaire humiliante et une comparution devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), les trois juges avaient été blanchis. Démarche similaire contre le juge d’instruction anti-corruption détaché à Monaco qui avait poursuivi le chef de la police locale, lequel couvrait les agissements de fraudes fiscales avérées d’un oligarque russe. Le chef de la police défendu par EDM avait perdu le procès. Mais le juge avait été limogé par le pouvoir princier de Monaco ! Excédé, il s’était alors exprimé publiquement. EDM avait porté plainte contre lui pour non-respect du secret de l’instruction. Le juge avait également été blanchi.
Nommé au poste de garde des Sceaux en juillet 2020, EDM a alors utilisé les moyens disciplinaires liés à sa charge pour continuer de régler ses comptes personnels et professionnels contre ces quatre magistrats. Ce qui s’appelle la prise illégale d’intérêts.
Ce procès révèle l’état de leur démocratie
Composée de trois magistrats et de douze parlementaires, la CJR s’est réunie neuf fois depuis sa création pour juger des ministres qui n’étaient plus en fonction. Parmi les délinquants célèbres, il y a Pasqua, ancien ministre de l’Intérieur, accusé de corruption passive et de complicité de recel de biens sociaux. Il écopera d’un an avec sursis. On trouve aussi Fabius et Dufoix pour l’affaire du sang contaminé, relaxés. Ou encore Christine Lagarde accusée d’une négligence (à hauteur de 403 millions d’euros quand même !) dans le dossier Tapie, reconnue coupable mais dispensée de peine.
Cette CJR enterre de manière institutionnelle le principe même de la séparation des pouvoirs. Comment un ministre, membre de l’exécutif, pourrait-il être jugé, ce qui relève de la justice, par des parlementaires, qui sont le pouvoir législatif ? La séparation des différents pouvoirs, censée être un pilier de la démocratie, est absente dans la CJR, sorte d’entre-soi politique. La CJR, très contestée par les juristes, semble en réalité une instance dédiée à blanchir les ministres.
De plus, les juges injustement poursuivis appartiennent pour trois d’entre eux au PNF (parquet national financier). Créé en 2013 après l’affaire Cahuzac, le PNF a pour mission la lutte contre la grande délinquance économique et financière. Chaque année, il récupère 10 milliards d’euros sur la fraude et l’évasion fiscale. On comprend qu’il soit détesté des plus riches !
Justice de classe
Après un réquisitoire fort à l’encontre de Dupont-Moretti, qu’il a accusé d’avoir jeté l’opprobre sur le ministère de la Justice et au-delà sur toute la République par ses actes, le procureur l’a déclaré coupable et a requis une peine d’un an avec sursis ! Verdict le 29 novembre.
Encore une fois, nous sommes témoin de l’arrogance de cette justice de classe capable d’une part de juger des jeunes révoltéEs en comparution immédiate et de les condamner à plusieurs mois de prison ferme et d’autre part de demander du sursis, après des mois d’enquête, pour un ministre de la Justice hors la loi, loi qu’il est censé mettre en œuvre !