Publié le Mardi 10 mars 2020 à 12h14.

Logement, transports publics, commerce : ce que propose Philippe Poutou pour Bordeaux

Publié par La Tribune, propos recueillis par Pierre Cheminade. “La base c’est d’en revenir au service public et à la régie publique. La collectivité doit garder la main sur l’espace pour avoir les moyens de répondre aux besoins des gens. Il faut donc un outil foncier public puissant”, affirme Philippe Poutou, le candidat de la liste Bordeaux en luttes (NPA, FI et Gilets jaunes) à l’élection municipale des 15 et 22 mars. Dans un entretien à La Tribune, il détaille ses propositions en matière économique centrées sur un service public fort en matière de logement, d’emploi et de transport avec en particulier la gratuité des transports public. Il veut donner la priorité aux petits acteurs économiques et aux quartiers populaires de Bordeaux.

LA TRIBUNE - Quel bilan faites-vous de l’économie bordelaise ?

Philippe POUTOU - Contrairement à d’autres, on dresse forcément un bilan négatif parce qu’on regarde d’abord les retombées sociales car ce sont elles qui ont un intérêt quand on parle d’économie. Sur le terrain, on mesure, de là où on est, un désastre social dans la vie des gens. On rencontre des gens en détresse, en souffrance, dans une précarité plus ou moins importante et dans une insatisfaction de la vie telle qu’elle est. On voit bien qu’il y a des richesses, que Bordeaux est une belle ville, qu’il y a de l’argent mais qu’à côté de ça il y a des gens qui vivent mal à Bordeaux ! C’est cela qu’on voit et qu’on souhaite rendre visible parce ce qu’on a constaté, qu’avant notre arrivée dans cette campagne électorale, toutes ces choses étaient invisibilisées au profit du pont de pierre, de la place de la Bourse, du tramway et de l’Unesco. C’est une réalité mais qui ne doit pas effacer cette autre réalité des quartiers populaires de Bordeaux.

Moins d’un an après la mobilisation très dense des Gilets jaunes à Bordeaux, ce mouvement n’a en effet quasiment pas été abordé par les autres candidats...

Oui, c’est ce que nous avons constaté. Nous, nous avons des Gilets jaunes dans notre liste et nous voulons nous revendiquer de ce mouvement là, même s’il recouvre des réalités différentes avec des gens qui se sont mobilisés dès le début et d’autres qui ont rejoint le mouvement en cours de route. Cette mobilisation a révélé cette cassure au sein de Bordeaux mais aussi entre Bordeaux et le reste du département avec cette concentration de richesses et de services publics à Bordeaux et la désertification ailleurs.

Comment expliquez-vous cette cassure ?

C’est notamment lié aux dernières lois de décentralisation dont la loi Notre [Nouvelle organisation territoriale de la République du 7 août 2015] qui visent à concentrer le pouvoir politique et économique, et donc les richesses, au sein de bouts de territoires créant ainsi des inégalités sociales et territoriales très marquées. A cela s’ajoutent des liens entre des élus et quelques gros industriels, promoteurs et financiers qui aboutit à un détournement, à une dilapidation des richesses collectives qui fait qu’ensuite on n’a plus les moyens de mener des politiques sociales. On constate ces dégâts mais on veut aussi expliquer ces mécanismes qui font qu’on en arrive là. Il faut changer la vision économique et les priorités. La question du logement illustre particulièrement ces dérives. C’est un point central parce que, pour pouvoir vivre bien dans une ville, il faut d’abord pouvoir s’y loger !

Il y a un phénomène, qui n’est pas propre à Bordeaux mais qui y est peut-être plus accentué qu’ailleurs, c’est celui de la gentrification des quartiers populaires. Cette gentrification n’est pas nouvelle mais vide ces quartiers de leurs habitants populaires qui sont remplacés par des gens un peu moins pauvres, un peu moins modestes. Ces familles populaires sont progressivement écartées du centre, de la ville et même de l’agglomération ! Cela s’explique par le rachat, la rénovation du bâti avec une envolée des loyers et un phénomène de spéculation. On est dans le clientélisme parce que la mairie et l’agglomération ne jouent pas leur rôle et bradent des terrains et des immeubles à des promoteurs, des constructeurs et des financiers qui vont ensuite construire n’importe comment comme aux Bassins à flot, à Ginko, à Bastide Niel ou Euratlantique. Même Bacalan est concerné. Il y a autre chose à faire.

Qu’est-ce que vous proposez en la matière ?

La base c’est d’en revenir au service public et à la régie publique. La collectivité doit garder la main sur l’espace pour avoir les moyens de répondre aux besoins des gens. Il faut donc un outil foncier public puissant qui puisse conserver la propriété des terrains plutôt que de les céder aux promoteurs privés et de perdre tout contrôle. A côté, il faut un service public du logement pour atteindre notamment les objectifs légaux en matière de logements sociaux alors qu’aujourd’hui on a une mairie délinquante qui ne respecte pas la loi. Ce service public du logement doit aussi mettre en œuvre la réquisition des logements vacants, l’encadrement des loyers et la rénovation des logements insalubres. Et ce retour à la gestion publique vaut aussi pour les transports.

Vous soutenez en effet un passage en régie ainsi que la gratuité des transports publics. Pourquoi ?

Tout le monde a des arguments pour dire que la gratuité n’est ni faisable ni morale. Nous on pense que ça l’est et que ça doit s’accompagner d’un retour en régie publique des transports collectifs. La gratuité ne peut être pensée dans le cadre d’une délégation à une entreprise privée. On veut donc reprendre l’outil en main en 2023 [à l’issue de l’actuelle délégation de service public à Keolis] et déployer la gratuité pour tout le monde parce que c’est un service public, comme l’école ou la Sécurité sociale. Cela suppose de rediscuter d’une fiscalité un peu différente pour s’assurer que les besoins fondamentaux soient accessibles à toute la population, en particulier celle qui est modeste et précarisée. Il y a aussi un enjeu écologique pour arriver convaincre les gens de laisser leur voiture chez eux.

Est-il possible de passer à la gratuité alors que le tramway est déjà largement saturé et que la gratuité reviendrait à se priver de moyens financiers pour développer le réseau ?

Oui, parce qu’il faut l’inscrire dans une politique globale ! Il est évident que la gratuité des transports collectifs suppose des financements supérieurs à ce qu’on a aujourd’hui, notamment pour développer le réseau de bus en consultant les habitants et les associations de quartier. C’est donc un enjeu politique ! A-t-on vraiment les moyens de ces services publics du logement et des transports ? Discutons de la spéculation immobilière, du prix de vente des terrains publics, du coût d’entretien des routes, du pantouflage des élus locaux entre le privé et le public, etc.

Il faut réorienter la fiscalité locale et la fiscalité nationale puisque c’est au niveau national que ces questions se jouent. Mais, au niveau local, il faut rediscuter des choix budgétaires dans leur globalité : les partenariats public-privé, le stade Matmut, la Cité du vin, le pont Simone Veil, la subvention de 2 M€ accordée par la Métropole à Ford Blanquefort en renonçant à les récupérer etc. Ce sont des choix politiques et il est possible d’en faire d’autres ! La vision économique est d’abord déterminée par une vision politique. Si la priorité politique est de répondre à des urgences sociales et écologiques, on ne fait pas les mêmes choix en termes de dépenses et de recettes. Et ça déplairait probablement à pas mal de milieux économiques bordelais.

Le taux de chômage dans le bassin d’emploi de Bordeaux est passé de 10,3 % mi-2015 à 8,1 % en décembre 2019, selon Pôle emploi. Qu’en pensez-vous ?

Je ne conteste pas ces chiffres. On peut s’en satisfaire mais en réalité ce n’est pas du tout satisfaisant parce qu’on sait très bien qu’on peut très facilement être rayé des chiffres et que, plus largement, à Bordeaux comme ailleurs, les CDI se font toujours plus rares et sont remplacés par des CDD et des temps partiel. La frontière entre chômeur et non chômeur est de plus en plus fine avec de plus en plus de contrats précaires, de CDD et d’intérim. Pour ces personnes, ces contrats ne donnent aucune certitude par rapport à la semaine ou au mois suivant.

Quelles sont vos propositions sur ce sujet ?

Là encore, le service public a un rôle à jouer. On est convaincu que la collectivité, elle-même, peut créer des emplois. Pas les créer pour les créer mais parce qu’une part de l’activité économique est liée aux services publics. Sur la santé, le logement, la rénovation, la puissance publique a un rôle à jouer en recrutant des fonctionnaires territoriaux et pas avec un statut précaire. Le développement du service public c’est aussi le développement d’un tissu social, d’un tissu associatif qui crée des emplois localement. On est pour subventionner davantage ces associations qui embauchent localement et créent des solidarités. On est pour soutenir davantage les petits commerces, les petites entreprises, les petits artisans, les petits paysans aux portes de Bordeaux. Il faut tourner les choix politiques et économiques de Bordeaux vers les petits !

Tout cela ce n’est pas l’économie d’hier, c’est l’économie de demain. Et j’en reviens au foncier : à partir du moment où la collectivité a la main, elle peut choisir de soutenir avec des terrains et des locaux ces petits acteurs plutôt que de les céder aux grosses entreprises de promotion immobilière et de BTP.

Etes-vous favorable, comme Pierre Hurmic et Thomas Cazenave, à l’arrêt des nouvelles surfaces commerciales en périphérie ?

Oui, comme d’autres candidats, on veut stopper ces grandes surfaces commerciales en périphérie. Il vaut une vision globale au niveau départemental. Avant les élus défendaient la métropole millionnaire, aujourd’hui les dégâts de cette politique sont tellement visibles que plus personne n’ose en parler ! On ne peut pas concentrer sur Bordeaux toute la richesse et toute la population. Il faut donc une agglomération avec une conscience solidaire avec les autres villes de Gironde en aidant à réimplanter des commerces dans le centre de ces villes plutôt qu’en périphérie. Mais quand les gares et les services publics de base disparaissent dans ces petites villes, les commerces suivent puis la population. Il faut donc réimplanter des services et des commerces dans ces territoires girondins.

Portez-vous un projet particulier pour la rive droite de Bordeaux et de l’agglomération ?

J’entends beaucoup de beaux projets sur l’innovation mais nous on dit que la mairie ne doit pas arriver avec un discours tout fait sur l’innovation ou sur telle ou telle question, elle doit d’abord demander aux habitants ce qu’ils ont envie de faire ! Il faut donc s’appuyer sur les réseaux associatifs, les jardins partagés, les initiatives locales qui font preuve à Bordeaux d’un dynamisme incroyable et qui disposent d’une expertise sur tous ces sujets locaux.

Il y a besoin d’un rééquilibrage en faveur de la rive droite de Bordeaux mais il doit aussi concerner les quartiers de Bacalan et des Aubiers voire même de Belcier et du Grand Parc. Ce sont des quartiers de Bordeaux mais je peux vous garantir que ce n’est pas le même sentiment d’appartenance à Bordeaux qu’en centre-ville ! Le projet de "Rue bordelaise" du côté de la gare, par exemple, on est contre aussi. Est-ce qu’on a encore besoin de nouvelles zones commerciales à Bordeaux ? Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt soutenir les petits cafés, les boulangeries et les commerces utiles de proximité qui manquent dans de nombreux quartiers de Bordeaux ! Là encore, ce sont des choix. C’est de l’activité économique et plein de jeunes et moins jeunes n’attendent que ça, qu’un peu de soutien pour lancer leur boutique et leur commerce.

Quelle est votre position vis-à-vis de l’écosystème Darwin ?

On soutient évidemment le projet et le concept de Darwin même si c’est réputé pour un être endroit plus bobo que populaire mais ça reste un espace tel qu’on aimerait qu’il y en ait plus. Il y a une réelle démarche bio, écolo et solidaire avec les migrants, il y a de l’entraide et, avec près d’un millier d’emplois, c’est l’équivalent de l’usine Ford ! Donc c’est un modèle à défendre au lieu de menacer de le liquider et de l’étouffer au sein de la ZAC Bastide Niel qui incarne complètement cette boulimie de construction qui a frappé Bordeaux ces dernières années. 

Le trafic croissant de l’aéroport, notamment fondé sur l’essor du low-cost, fait l’objet de débat dans cette campagne. Quelle est votre position ?

Nous on est plutôt contre l’avion pour des raisons écologiques et environnementales. Pour les grandes distances pourquoi pas mais pour les petites distances ça se discute de plus en plus. Par exemple, faire Bordeaux-Paris en avion c’est aberrant aujourd’hui puisqu’on y est en 2h en train ! Et après il y a la question sociale des conditions de travail dans ces compagnies low cost. C’est vrai que tout cela offre des prix imbattables pour partir en vacances mais est-ce qu’on doit se contenter de regarder seulement le prix du billet à 29 € ou se poser d’autres questions sur le modèle low cost et sa conception sociale ? La réponse ne dépend pas seulement du maire de Bordeaux mais il peut porter un message sur les conséquences sociales et environnementales de ces choix.

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