Les chiffres donnent le tournis : un décès (Zineb Redouane, le 1er décembre à Marseille, atteinte par une grenade lacrymogène tirée par la police alors qu’elle se trouvait à sa fenêtre), plus de 2 500 blesséEs parmi les manifestantEs, dont 284 blessures à la tête, 24 personnes éborgnées, 5 mains arrachées, 12 000 interpellations, près de 11 000 gardes à vue, plus de 2 000 condamnations, dont 40 % de peines de prison ferme, et des centaines de procédures toujours en cours. Pour le dire sans détour : une répression d’une ampleur inédite.
Si nul n’avait imaginé que le mouvement des Gilets jaunes se poursuivrait 6 mois après le 17 novembre, le moins que l’on puisse dire est que personne n’aurait davantage pu prévoir l’ampleur prise par la répression policière et judiciaire. Et si les Gilets jaunes sont en première ligne, c’est en réalité l’ensemble de la contestation sociale qui est visée, comme l’a confirmé, à celles et ceux qui refusaient encore de le voir, le déroulement du 1er Mai à Paris : une ville en état de siège, 18 000 contrôles préventifs, 300 interpellations, des cortèges syndicaux chargés et gazés par la police, une nasse géante pour des milliers de manifestantEs, le mensonge d’État sur la Salpêtrière, etc.
Violence et mépris
En quelques mois, ce sont – entre autres – le Défenseur des droits, le Parlement européen, le Conseil de l’Europe et l’ONU qui se sont inquiétés des violences policières et des restrictions des libertés publiques. Des condamnations unanimes, également venues d’ONG et d’associations des défense des droits humains, de syndicats de magistrats, et même de syndicats de policiers. Des condamnations que le pouvoir a choisi de traiter d’un souverain mépris, niant l’existence des violences policières et faisant porter la responsabilité des blessures et mutilations aux Gilets jaunes eux-mêmes. Mépris pour les critiques, mépris pour les victimes : Macron, Castaner et compagnie jouent les durs, s’élevant contre la « démocratie de l’émeute » (Macron), « une infime minorité violente » (Griveaux), des « assassins » (Castaner), apportant un soutien inconditionnel aux forces de répression et adoptant chaque semaine un ton toujours plus martial.
Des discours qui se sont traduits en actes, avec une politique globale de répression tous azimuts, mais aussi l’adoption de la loi dite « anticasseurs », la multiplication des commandes de nouvelles armes de guerre pour la police et la gendarmerie (entre autres les LBD « multicoups »), les interdictions hebdomadaires de manifester aux quatre coins de la France, etc. Une escalade répressive destinée à pallier l’absence de réponse politique à la mobilisation, mais qui a eu pour principal effet de renforcer et d’élargir la contestation de la légitimité des violences policières.
Stopper la fuite en avant
D’après un rapport parlementaire publié en mars, le ministère de l’Intérieur admettait pas moins de 13 000 tirs de LBD entre novembre et février, soit autant de tirs en trois mois que durant les deux années 2016 et 2017. Depuis, le gouvernement n’a pas communiqué de nouveaux chiffres, mais chaque samedi, ce sont des nouveaux cas de tirs sur des manifestantEs, des journalistes, des passantEs, etc., qui sont rapportés, et de nouvelles blessures. Au sein des forces de répression elles-mêmes des témoignages glaçants ont été recueillis, comme celui de cette policière interviewée par le Monde (13 mai) : « J’ai mis la cartouche, j’ai vu un manifestant, j’ai visé la tête et j’ai tiré, sans raison. Je ne sais pas du tout pourquoi j’ai fait ça. »
Fort heureusement, la résistance s’organise, avec divers cadres et initiatives se fixant pour objectif de stopper cette machine infernale : appels d’associations et d’ONG contre la loi dite « anticasseurs », cadre unitaire contre la répression et les libertés publiques à l’initiative des députéEs de La France insoumise, « actes » des Gilets jaunes contre les violences, soutien aux lycéenEs de Mantes-la-Jolie victimes de violences et d’humiliations, et récemment création du collectif « MutiléEs pour l’exemple », qui entend organiser une manifestation nationale, fin mai ou début juin, pour l’interdiction des armes de guerre (LBD et grenades). Des initiatives salutaires, indispensables, mais qui ne sont malheureusement pas encore, aujourd’hui, et ce aussi utile que soit chacune d’entre elles, à la hauteur des enjeux. En effet, l’escalade de ces 6 derniers mois constitue autant de caps franchis par un pouvoir aux abois, sur lesquels il n’entend pas revenir. Une mobilisation unitaire, et d’ampleur, est nécessaire : il en va des libertés publiques, entre autres et notamment de celles de manifester.
Julien Salingue