« L’élection présidentielle n’est plus écrite d’avance », selon Serge Halimi1. « Ses deux finalistes présumés sortent affaiblis des scrutins régionaux », constate-t-il. Pour l’éditorialiste, ne pas avoir à choisir entre le mal et le pire serait « en dépit de tout, une petite embellie ». Une embellie ? Rien n’est moins sûr.
En s’abstenant massivement, et dans un contexte de crises à la fois sanitaire et écologique, politique et démocratique, sociale et économique, les électeurs ont certes exprimé leur dégoût pour le jeu médiatico-politique. Un jeu qui consiste à entretenir l’apparence d’un équilibre politique précaire autour de l’idée d’un duel de Macron-Le Pen, que les sondeurs et commentateurs voulaient d’ailleurs voir dans les résultats des élections régionales comme le scénario de la prochaine présidentielle ! Rien ne semble plus simple que ce faux choix pour tous les commentateurs effrayés des récents mouvements sociaux peu encadrés, parfois incertains et confus mais exprimant tous la colère et le ras-le-bol.
Instabilité sociale et politique
Pourtant l’abstention en elle-même ne dit rien de plus que le retrait plus ou moins résigné d’une partie de la population, après des mois de pandémie. S’il y a une embellie, elle s’exprime plutôt dans la combativité intacte des derniers mois.
Les mouvements sociaux n’ont pas manqué pendant le quinquennat de Macron : des Gilets jaunes aux mouvements anti-pass/anti-vax, en passant par les grèves contre la réforme des retraites ou la mobilisation des jeunes pour faire face à la crise climatique en 2020 ou contre le racisme et les violences policières, sans parler des manifestations contre la loi Sécurité globale ou des luttes contre les licenciements ou de la très belle et indépendante marche des fiertés parisienne en 2021. Et si la pandémie a mis un coup d’arrêt au mouvement contre la réforme des retraites, elle a aussi révélé et amplifié le caractère mortifère du capitalisme aux yeux d’une large partie de la population.
Dangers de l’extrême droite
Macron, président le plus mal élu, a donc rassemblé contre lui les colères mais a aussi fait la preuve qu’il ne représentait nullement un rempart contre l’extrême droite, en déclinant un libéralisme autoritaire et en réprimant froidement toutes les contestations. La stagnation du RN lors des dernières élections régionales ne peut réjouir que celles et ceux qui ne voient pas combien le paysage politique s’assombrit de propos démagogiques, sécuritaires et racistes. Pire, l’arrivée sur la scène médiatique d’une possible candidature d’Éric Zemmour représente une radicalisation et un renforcement des idées d’extrême droite et banalise le RN.
Rarement l’incohérence du pouvoir, du point de vue de celles et ceux d’en bas, aura été aussi visible à travers sa gestion calamiteuse de la crise sanitaire – sa cohérence, sa ligne directrice étant en faveur des riches et du système qui les soutient. En dépit de l’évidence, les contestations restent sans issue politique immédiate.
Or, moins le mouvement ouvrier organisé parvient à gagner contre le néolibéralisme, le démantèlement de tous les acquis et à imposer un projet de société qui réponde aux besoins du plus grand nombre, plus l’individualisme et la mise en concurrence se renforcent et avec eux l’autoritarisme et le danger de l’extrême droite. C’est à ce danger que nous devons faire face autant qu’au gouvernement des riches dans cette période et pendant cette campagne.
Bousculer le duel Macron-Le Pen
Si certains annoncent déjà une campagne présidentielle éruptive2 tant le personnel politique en présence semble peu susceptible de représenter un électorat volatile et en retrait, à commencer par celui de LRM, c’est sans doute que la situation reste ouverte.
De leur côté, pour les partis de « gauche », du PS au PCF, en passant par le possible candidat EELV, la perspective reste celle de la gestion du système. Quant à LFI, en dépit du fait que nous pouvons nous retrouver dans la rue sur des revendications communes, elle exprime un populisme de gauche qui refuse de s’affronter jusqu’au bout avec ce système. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon, dont ce n’est pas la première sortie ambivalente voire chauvine, insiste-t-il dans une interview sur le droit des réfugiés afghans à s’installer en France, tout en expliquant que « ce n’est pas toujours aux mêmes de prendre en charge tout le monde3 ». Cette ambiguïté politique se retrouve dans bien des aspects du programme de LFI.
C’est pourquoi dans les prochains mois, probablement marqués par une instabilité sociale et politique profonde, notre campagne aura pour ambition de bousculer le jeu institutionnel et électoral, le duel Macron-Le Pen et de donner un écho aux luttes du monde du travail. Notre objectif est d’occuper le terrain pour que ni la droite (bien entendu) ni la gauche traditionnelle, qu’elle soit libérale ou antilibérale, n’apparaissent comme des solutions, même sous forme de pis-aller.
Le monde du travail doit prendre ses affaires en mains
Il est grand temps que le monde du travail retrouve une force de frappe, prenne les mesures que lui seul peut prendre face aux urgences de l’heure et dessine les contours d’un projet émancipateur alternatif au capitalisme.
La « démocratie » sur laquelle repose la domination des capitalistes est elle-même bafouée au nom des intérêts individuels et particuliers, pour les profits et les dividendes, pour marchandiser, libéraliser toujours plus nos vies, le vivant en général. Nous n’avons rien à attendre du jeu institutionnel et tout à gagner à réunir nos forces et nos combats pour nous attaquer au capitalisme et imposer un monde plus juste, en créant dans les quartiers et les entreprises, les moyens de décider démocratiquement par nous-mêmes quoi produire et comment… Si les habitants de Notre-Dame des Landes ont pu gagner le combat contre l’installation d’un aéroport nocif sur des terres agricoles, les travailleurEs de nombreux secteurs, organisés et déterminés peuvent bien décider par eux-mêmes de produire des biens utiles en préservant le vivant, en répartissant le temps de travail entre toutes et tous.
Prendre ses affaires en mains collectivement et pour le bien-être de tous, c’est inventer déjà une autre société plus juste.
La campagne menée par notre candidat Philippe Poutou a pour objectif de fédérer et d’amplifier des luttes en cours pour transformer les colères vers une auto-organisation capable de donner naissance à cette nouvelle société. En ce sens, elle est un outil de réarmement intellectuel et politique, un outil pour l’action de notre camp social pour à la fois répondre à l’urgence et inverser le rapport de force.
Dans cette campagne, les travailleurEs auront l’occasion de signifier par leur vote ce qu’ils ont exprimé dans la rue tout au long du quinquennat : l’urgence du combat face aux problèmes sociaux et écologiques que le pouvoir au service du capitalisme ne peut résoudre.
Des mesures pour répondre aux urgences sociales, démocratiques et écologiques
Pour répondre aux urgences sociales, écologiques et démocratiques, des solutions radicales sont nécessaires, des solutions qui conduisent à la socialisation des moyens de production. Dans ce but, nous centrons nos revendications autour de trois axes :
• une vie et un salaire décents pour toutes et tous, grâce à un SMIC à 1 800 euros, et une augmentation de 400 euros pour tous, la réduction massive du temps de travail, l’interdiction des licenciements, et une allocation d’autonomie pour tous les jeunes de 16 à 25 ans à hauteur du SMIC, l’interdiction des licenciements ;
• le contrôle, la socialisation et l’extension des biens communs, en renforçant et étendant les services publics pour se loger, se déplacer, se soigner, s’instruire, en produisant pour répondre aux besoins du plus grand nombre et non pour vendre et faire des profits, en sortant de la logique de la rentabilité en matière d’énergie et d’agriculture pour préserver la planète, en développant la gratuité pour contrer la marchandisation, à commencer par la levée des brevets sur les vaccins, en expropriant et nationalisant les banques dans un monopole public et en planifiant l’économie.
• la fin du régime autoritaire, raciste et inégalitaire en faisant front au pouvoir qui cherche à contrôler nos colères en renforçant toujours plus les moyens répressifs de l’État, nous revendiquons l’égalité pour l’ensemble de notre camp social, la suppression des corps de police de répression et l’abolition des lois sécuritaires et liberticides (comme la loi dite de sécurité globale et la loi séparatisme), le droit de vote des étrangers à toutes les élections, l’ouverture des frontières et l’accueil des migrants sans condition, la liberté de circulation et d’installation avec ou sans papiers, la fin des discriminations et des violences faites aux femmes et aux personnes LGBTI.
Ce plan d’urgence qui pose la question de qui décide et pour quels intérêts, vise à inverser le rapport capital/travail et ouvre la voie à une extension des biens communs, à une socialisation et à une libération de tous les préjugés racistes et sexistes sur lequel le capitalisme s’est construit et perdure.
Nous n’avons pas l’illusion de penser que nous l’imposerons par les urnes, pas plus que nous ne pensons possible que notre seul parti puisse le mettre en œuvre. C’est par nos luttes, celles du monde du travail qu’il prendra corps, par l’addition des forces des travailleurEs organiséEs démocratiquement, conscients de solutions radicales à mettre en œuvre et déterminéEs.
Changer le rapport de force par la grève
Ces mesures nécessitent une mobilisation et un affrontement collectif d’ampleur. C’est par la grève que nous pourrons les imposer et mettre en place un gouvernement du monde du travail, aussi fidèle aux intérêts de notre camp que Macron et Le Pen le sont à ceux des capitalistes. Les capitalistes ne lâcheront rien si nous n’attaquons pas directement leurs intérêts en bloquant l’économie et donc les profits. Or la grève massive des travailleurEs organisés collectivement dans les entreprises et relayées dans les quartiers est la seule arme que nous ayons. En 1995, il avait été possible de faire reculer le gouvernement Juppé grâce à la grève continue de nombreux secteurs pendant près d’un mois. En 1968, la grève a fait flancher le pouvoir.
La grève, librement organisée et coordonnée en assemblée générale (et non décrétée pour une journée) constitue le début de la conduite de nos affaires et de l’inversion du rapport de force. Aller jusqu’au bout, c’est instaurer un gouvernement du monde du travail qui, comme la Commune de Paris il y a 150 ans, aura ses représentantEs éluEs « aux convictions sincères, résolus et actifs […] de préférence ceux qui ne brigueront pas les suffrages ».
En choisissant un candidat issu du monde du travail, qui nous ressemble, le NPA veut défendre les intérêts des travailleurEs et un projet de société émancipateur alternatif au capitalisme. Cette campagne vise à renforcer la confiance des travailleurEs et la conscience de leurs intérêts communs et de leur capacité à résister et à gagner. Et la combativité est là…
Indépendance du monde du travail et unité d’action
Ce plan d’urgence peut servir d’appui pour construire des mobilisations et interpeller toutes les forces politiques et syndicales qui veulent défendre jusqu’au bout les intérêts des travailleurEs, en finir avec l’exploitation, la souffrance au travail, les discriminations et la répression. Certaines des revendications que nous avançons peuvent être défendues avec d’autres forces du mouvement ouvrier pour irriguer la société largement et construire dans la rue les mobilisations et les contestations nécessaires.
Il ne suffit pas de proclamer que nous avons le bon programme, bien ficelé avec toutes les réponses ou que nous avons la meilleure organisation qui passe à l’action même de façon très minoritaire, pour que nous soyons suivis.
Pour qu’un projet de société à la hauteur des enjeux des crises multiples du capitalisme puisse voir le jour, c’est-à-dire un projet écosocialiste, communiste et autogestionnaire, il nous faudra entraîner, enthousiasmer, construire avec d’autres forces, organisées ou non, rester ouverts tout en maintenant une politique qui défende jusqu’au bout les intérêts des travailleurEs et des oppriméEs.
Un parti pour mener campagne et pour la rupture avec le capitalisme
La campagne sera un jalon de la construction de notre parti. Ce n’est pas son objectif premier, qui est de faire entendre les intérêts des travailleurEs à grande échelle. Néanmoins, ces moments de débats électoraux et les moyens médiatiques qu’ils offrent sont propices à la politisation et à l’arrivée de jeunes et de travailleurEs dans le parti. Il faut que ce soit encore plus vrai demain dans la situation d’urgences et de crises multiples.
La campagne sera l’occasion de trouver un écho et de rassembler autour de nous des milliers de personnes qui veulent changer le monde. Chaque militant, chaque sympathisant peut contribuer à ce que d’autres autour de lui s’émancipent, s’organisent. ChacunE porte en soi la possibilité de l’élargissement du NPA et de son audience.
La construction d’un parti anticapitaliste et révolutionnaire est une nécessité pour peser sur les situations. Il se construit avec ou sans campagne électorale, dans les luttes quotidiennes, par la formation de l’ensemble de ses membres et s’ouvrant vers l’extérieur et en intervenant de façon unie. Faisons en sorte que cette campagne soit un accélérateur de débats et d’échanges pour que notre organisation puisse peser dans une situation hautement instable, marquée par les inégalités sociales, la pandémie et la catastrophe écologique. Il y a urgence ! Nous avons des réponses et nous aurons les parrainages, si nous nous y mettons toutes et tous ! C’est la première étape de cette campagne contre le monstre à deux têtes Macron-Le Pen.
- 1. Serge Halimi, « Une embellie en France ? », Le Monde diplomatique, juillet 2021.
- 2. Olivier Faye, « Les mutations de l’électorat macroniste », Le Monde, 29-30 août 2021.
- 3. https://melenchon.fr/202…