Entretien. Les personnels de l’AP-HP (Assistance publique - hôpitaux de Paris) sont en lutte depuis plusieurs semaines contre le projet de la direction de supprimer un grand nombre de jours de congés, via un changement dans l’organisation des horaires. Le 28 mai dernier, les grévistes de l’hôpital Avicenne (situé entre La Courneuve et Bobigny dans le 93) prenaient la tête de la manifestation vers le ministère de la Santé après moult tergiversations de l’intersyndicale. Nous avons rencontré plusieurs salariéEs de cet hôpital.Quelles sont les conséquences du plan Hirsch sur vos conditions de travail ?(Sursaut spontané et unanime) C’est d’abord au détriment des malades !Claudette (aide-soignante en neurologie, syndiquée Sud) : Comment prendre en charge convenablement le patient, avec une telle fatigue ? C’est le bien être du patient qui est d’abord en cause.Audrey (infirmière au MIT, le service des maladies infectieuses et non syndiquée) : Je ne suis pas syndiquée. Si je me suis investie dans cette grève, c’est parce que notre charge de travail est déjà très importante, on nous demande d’en faire toujours plus. Alors si on enlève en plus des jours de repos, c’est le patient qui aura des problèmes. Les gens ont surtout tendance à comprendre qu’on se bat essentiellement pour nos jours de repos, mais c’est tout autant pour les patients. Les militants qui lisent votre journal doivent expliquer cela autour d’eux.Vos conditions de travail se sont -elles déjà énormément dégradées ces dernières années ?Akim (infirmier en rhumato-dermato, délégué Sud) : Avec ces nouveaux horaires, des factions journalières plus courtes (en « échange » de moins de jours de repos), on fera en réalité le même travail, dans des temps encore plus compressés. Au-delà de la fatigue, la pression psychologique est de plus en plus lourde. Nous avons plusieurs casquettes : soigner, administrer, transmettre, et nous travaillons de plus en plus à la chaîne... On est dans la « production de soins », il faut que ça tourne ! Regardez le temps de « transmission » : actuellement il va de 15 secondes à 1 minute 30 par patient. Et on nous délègue de plus en plus les responsabilités ! Ce plan va encore en rajouter.Zeina (infirmière au MIT, non syndiquée) : Il y a déjà depuis des années une intensification de la charge de travail. On doit multiplier les « actes » qui apportent un financement : plus il y a d’entrants et d’actes, plus on obtient des moyens... Les patients sont poussés à sortir au plus vite… et parfois reviennent car ils ont été mal soignés. Notre grève va au-delà du problème des RTT : je ne veux pas me retrouver dans une organisation où on jette des médicaments aux patients en passant vite fait de porte en porte, comme dans un zoo.Chloé (infirmière au MIT, déléguée Sud) : On n’a pas signé pour ça ! On nous dit d’être à l’écoute du patient, comment est-ce possible si on travaille à la chaîne ? Audrey : J’ai choisi de travailler dans le public. Je ne voulais pas être dans le privé car je ne voulais pas soigner pour « faire de l’argent ». Maintenant on se privatise de plus en plus.Zeina : Toutes les aide-soignantes de mon service ont déjà eu des accidents de travail, un dos cassé, un problème à l’épaule, à cause des charges lourdes, du déplacement d’un malade. Ou même se sont faites mordre. Et en plus on nous culpabilise tout le temps quand on doit annoncer une absence pour maladie ou problème grave : « vous mettez l’hôpital en danger, vos collègues en difficulté »...Quelles actions avez-vous menées à Avicenne ?Claudette : Nous avons descendu des matelas inoccupés devant notre bâtiment. Nous passons dans les services pour parler à tous nos collègues, les emmener avec nous dans la lutte. Nous avons fait des banderoles, mais elles nous ont été « volées » !La direction veut cacher la grève ?Carole (élue Sud santé) : Oui, et elle multiplie les pressions. Sur les matelas, la DRH est venue nous menacer d’entretiens disciplinaires et a transmis des noms à un huissier. La direction fait pression pour que les personnels enlèvent leurs signes « en lutte ». Et la direction de l’AP-HP en portant plainte contre les grévistes de Beaujon, a obtenu du tribunal administratif l’interdiction de se rassembler dans le hall de l’hôpital. Cette répression est une nouveauté.Chloé : Le « service minimum », c’est déjà notre quotidien. La grève n’y change rien. Elle devrait être le moyen de s’exprimer, sauf qu’on est toutes assignées au service minimum. On doit donc faire les actions sur nos temps de repos. Le projet de Hirsch s’inscrit dans la suite de la loi Bachelot et la loi Touraine que nous combattons aussi.Claudette : Oui, on est en service minimum tous les jours. Mais alors, si le plan passe, si les titulaires travaillent plus de jours, la direction fera sauter beaucoup de CDD qui sont très nombreux dans les services. Elle prétend embaucher des CDD, mais c’est le contraire qui va se passer.Carole : C’est l’arnaque à tous les niveaux. Hirsch veut soi-disant « sauver 4 000 emplois », mais la suppression de ces RTT va en faire sauter. Il prétend « résorber l’emploi précaire », mais son plan va permettre de virer des CDD. Il dit maintenir l’effectif « au pied du malade », mais s’il supprime des postes chez les non soignants, les soignants devront alors prendre en charge le boulot nécessaire, l’administratif, les déplacements, les réparations…Comment voyez-vous la suite du mouvement ? Êtes-vous optimistes ?Zeina : Je ne sais pas. Parfois on a l’impression que ça s’essouffle. Mais je ne veux rien lâcher, je veux aller jusqu’au bout.Marie-Laure (aide-soignante au « centre de tri », syndiquée Sud) : Nous voulons avancer et non reculer. Pas question de perdre un seul jour de RTT. Derrière le plan, il y a d’autres réformes, si on met en place ce fonctionnement, sur les jours de carence en cas de maladie, les jours de congé… Les personnels seront encore plus épuisés, ça veut dire que la santé est en danger.Chloé : Je suis allée à l’AG de l’hôpital Bretonneau, où ça ne bougeait pas beaucoup. Mais j’ai vu des agents motivés, qui poussent les syndicats pour avoir des actions sur l’hôpital. Il y en a qui veulent des actions communes entre hôpitaux, des manifs par exemple. S’il y a essoufflement, c’est aussi qu’on joue à saute-mouton. Si des syndicats sont pétochards, du coup les gens le sont aussi. Mais les agissements de la direction donnent la gnaque, il y a une colère qui monte. C’est au-delà des RTT, on touche à quelque chose de plus profond que nos jours de repos, et donc les gens s’impliquent en profondeur. Il faut qu’ils fassent par eux-mêmes, décident de quelles actions ils veulent. Il est important que les gens aillent voir aussi ce qui se passe ailleurs, s’organisent entre eux d’un hôpital à l’autre.Zeina : D’ailleurs on a fait une page Facebook : « Collectif AP-HP » avec nos réseaux personnels. Pour qu’il y ait de plus en plus de coordination entre les hôpitaux, pour nous motiver, faire circuler les infos, reprendre des idées…Le 11 juin, nouvelle grève, nouvelle manif… Il y a des délégations qui vont venir d’hôpitaux de province, des équipes syndicales ont mis des préavis de grève et organisé la montée sur Paris. Le mouvement peut-il devenir national ?Carole : Oui, il faut faire plus large, tous les hôpitaux sont concernés. L’AP-HP est un laboratoire, si les suppressions de RTT passent chez nous, ça passera ailleurs. On pourrait aussi construire un mouvement interpro, avec les territoriaux, les fonctionnaires d’État, qui ne sont pas encore passés par la moulinette de la remise en cause des 35 heures. Le 11 juin, nous marcherons vers l’Élysée contre l’austérité qui frappe tous les salariéEs de ce pays.Chloé : Je verrais bien aussi une manif un samedi ou un dimanche, à laquelle on appellerait toute la population à descendre dans la rue pour défendre le service public. Tout le monde y tient... sauf le gouvernement qui, veut le vendre !
Propos recueillis par des correspondantEs de la commission santé-sécu-social du NPA