Entretien. Trois ans après la catastrophe de Lubrizol, un nouvel incendie s’est déclaré le 16 janvier sur un site industriel à proximité de Rouen. La préfecture annonce qu’il n’y a aucun danger. Gérald Le Corre, responsable santé travail CGT 76, répond à nos questions.
Que sait-on de cet incendie et de ses risques ?
L’incendie de Bolloré Logistics a démarré vers 16 h 30. Il trouve son origine dans une cellule de stockage louée par Bolloré dans laquelle étaient entreposées 12 500 batteries au lithium. Le feu s’est propagé à une autre cellule où étaient stockés 70 000 pneus. Puis, alors que le préfet annonçait que l’incendie était circonscrit, le feu a atteint dans la nuit une troisième cellule comprenant du textile et des palettes.
La communication préfectorale est bien pire qu’en 2019 lors de l’incendie de Lubrizol pour lequel les autorités indiquaient l’absence de toxicité aiguë, c’est-à-dire de risque mortel à court terme, sans se prononcer sur les risques à long terme. Dans son premier communiqué, vers 19 h, la préfecture insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un site classé, laissant entendre un risque moindre. Quelques heures plus tard, la sentence tombe : il n’y a « aucun risque particulier ».
Informé vers 17 h, il ne m’a pourtant fallu que quelques minutes pour lire que selon l’INRS 1 les fumées de batteries au lithium sont toxiques. Pour sa part, l’INERIS 2 rappelle que les pneus sont des matières qui dégagent le plus de HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) dont certains sont des cancérogènes avérés. On note un véritable double discours des autorités : quand la CGT brûle des pneus, ce que je déplore, c’est polluant et cancérogène ; quand Bolloré fait cramer 70 000 pneus, il n’y a aucun risque !
Dix jours après l’incendie, la préfecture et l’ARS ont indiqué que « les résultats sont tous inférieurs aux valeurs sanitaires de références dites aiguës ». La formulation utilisée ne nous rassure pas. Les fumées de l’incendie comportent des dizaines de produits toxiques et cancérogènes. Si les résultats des analyses sont inférieurs aux valeurs de référence pour chaque substance, cela ne prend pas en compte le risque d’effet cumulé, dit aussi « effet cocktail ».
De plus, la préfecture refuse de discuter avec nous sur le sujet. À l’occasion de son discours de départ, le préfet compare tous ceux qui critiquent l’État à des « complotistes » 3.
Quelles ont été les informations données aux populations avoisinantes ?
Le préfet a décidé de ne pas enclencher le dispositif Fr-alert qui permet d’alerter par SMS la population d’une zone déterminée. Il a été sévèrement critiqué par celui qui conseille le ministère de l’Intérieur sur le sujet 4.
Quant à la Métropole de Rouen, dont le président est le « socialiste » Nicolas Mayer-Rossignol, l’alerte n’a été envoyée qu’à 18 h 12, soit 1 h 45 après le démarrage du feu, en indiquant seulement d’éviter le secteur.
Bref, alors que toute fumée d’incendie industriel est dangereuse, personne ne prévient la population sur les risques et les mesures de prévention élémentaires ! D’une certaine manière, les discours des autorités sont conçus pour banaliser les risques d’un incendie industriel.
Comment expliquer un incendie d’une telle ampleur ?
À ce stade, nous ne savons pas si le système d’extinction automatique s’est normalement déclenché ou s’il n’était pas correctement dimensionné. Ce qui semble évident, vu que le feu s’est propagé à deux autres cellules, c’est que des infractions à la réglementation ont été commises. C’est pourquoi la CGT notamment a décidé de porter plainte au pénal afin d’avoir accès au dossier et de peser sur la mise en œuvre d’investigations pertinentes concernant l’entreprise propriétaire du hangar mais aussi Bolloré.
À la différence de l’explosion d’AZF de 2001 qui avait donné lieu à l’adoption rapide d’une réglementation plus contraignante, le gouvernement Macron a décidé, sans même attendre le rapport d’enquête du Sénat sur Lubrizol, de continuer sa politique d’assouplissement souhaité par le patronat. Les annonces de Borne, ministre de l’Environnement lors du crime industriel de Lubrizol, de postes supplémentaires d’inspecteurs des installations classées, n’ont pas été tenues, on assiste à une minimisation des risques industriels. Résultat, les entreprises n’investissent pas assez, les incidents et accidents restent à un très haut niveau. Sans changement radical de politique, nous pouvons malheureusement prédire d’autres AZF, d’autres Lubrizol….
Quelles sont les actions envisagées pour éviter que des accidents industriels se (re)produisent ?
Le collectif unitaire Lubrizol qui regroupe syndicats, associations et partis politiques à la gauche du PS s’est emparé du dossier Bolloré en appelant rapidement à un rassemblement qui a réuni plus d’une centaine de personnes. S’il existe des contacts avec d’autres collectifs locaux, nous peinons à construire une mobilisation unitaire nationale sur le sujet.
L’autre axe de travail est sur le volet judiciaire. Trois ans et demi après l’incendie Lubrizol, l’enquête n’avance pas vite et le procès pénal tant attendu ne se tiendra pas avant des années, ce qui retarde d’autant plus notre projet de procédure pour faute contre l’État, pour des questions de documents soumis à ce qu’on peut appeler le secret de l’instruction.
Propos recueillis par Robert Pelletier
1 – Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
2 – Institut national de l’environnement industriel et des risques.
4 – « Pollution : l’usine brûle, l’État rassure », Mediapart.