Tous égaux devant la mort ? L’Inserm vient de publier une étude qui essaye de calculer la part de l’environnement socio-économique dans l’apparition des nouveaux cas de cancer...
Des chiffres accablants qui montrent que la part des cancers attribuables à la « défavorisation sociale » s’élèverait chez l’homme à 30,1 % pour les cancers du larynx, 26,6 % pour les cancers des lèvres de la bouche et du pharynx, 19,9 % pour le cancer du poumon, et 21,1 % pour les cancers du col de l’utérus chez la femme. La conclusion de cette recherche, c’est que près de 15 000 cas de cancer, soit 10 % des cancers, pourraient être évités en France chaque année par l’amélioration des conditions de vie et la promotion de la santé des populations les plus défavorisées.
On savait déjà qu’en France, à 35 ans, l’espérance de vie d’un ouvrier est de sept ans plus courte que celle d’un cadre. Une inégalité d’espérance de vie qui se creuse : elle n’était que de 6 ans il y a une vingtaine d’années. Cette étude lève un coin du voile qui cache pudiquement l’inégalité sociale face à la mort. Ce n’est pas essentiellement du côté de l’inégalité d’accès aux soins que se cache l’explication de cette surmortalité. Bien sûr, pour les cancers de bon pronostic, ceux qu’on soigne bien, la rapidité du dépistage et la qualité des soins sont des critères importants de surmortalité pour tous ceux qui en sont privés. Ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus mal dépistés et n’ont pas accès aux soins les plus performants. Le système de santé, loin de corriger les inégalités sociales, va les aggraver.
Mais le cancer qui tue le plus en France, c’est le cancer du poumon. Son pronostic est très mauvais. En clair, pauvre ou puissant, il tue le plus souvent. Ce n’est donc pas le soin qui explique l’extrême inégalité devant la mort pour ce cancer. En effet, à âge égal, la mortalité du cancer du poumon est multipliée par 3,5 pour les hommes sans diplôme par rapport aux hommes qui ont un niveau bac et plus. Un chiffre multiplié par 10 pour le cancer du pharynx, et par 2 tous types de cancer confondus.
La faute à personne ?
C’est du côté des facteurs sociaux environnementaux qu’il faut aller chercher cette inégalité d’apparition. On croit souvent la résumer en disant : ils boivent et fument trop... Cette explication individualisante est fausse et insuffisante ! Insuffisante car la bonne question, collective et pas individuelle, devrait être : qu’est-ce qui pousse ceux d’en bas à consommer tabac et alcool beaucoup plus que ceux d’en haut ? Fausse car c’est « oublier » que à consommation d’alcool et de tabac égale, les travailleurs manuels ont encore deux fois plus de risque de faire un cancer des voies aéro-digestives supérieures qu’un cadre.
C’est « oublier » l’amiante, le formaldehyde, les poussières de charbon, les innombrables cancérigènes mutagènes et reprotoxiques auxquels les salariés sont exposés, responsables jusqu’à 42 % des écarts entre manuels et non-manuels pour les cancers des voies aéro-digestives supérieures, et entre 13 et 19 % pour les cancers du poumon. C’est « oublier » que l’obésité, marqueur social, joue aussi un rôle dans la cancérogénèse. « Oublier » que la consommation de fruits et légumes, protectrice contre le cancer, est moins répandue parmi les salariéEs les plus pauvres…
Le risque de mourir d’un cancer avant 65 ans est dix fois plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres. Et la France détient le triste record de mortalité masculine prématurée en Europe, avec une très forte différence selon les classes sociales. À nous d’en faire un sujet politique !
Frank Cantaloup