« Le gouvernement a choisi de s’attaquer aux principaux risques pour la santé : le tabac, l’alcool, l’obésité et le diabète ». C’est ainsi que le site du ministère de la Santé résume les intentions préventives de la loi de santé 2015.
Depuis plus de dix ans, l’OMS rappelle avec insistance que ces facteurs de risque sont, avec l’hypertension artérielle, ceux qui altèrent le plus la santé, avec un effet massif sur la mortalité prématurée. Mais la loi est loin de « s’attaquer » aux risques alcool et tabac... Pas d’augmentation significative du prix du tabac, pas d’aide massive au sevrage pour les plus démunis, mais du battage autour du paquet neutre, dont le caractère dissuasif est pourtant faible, et une interdiction de fumer en voiture avec des mineurs (on peut enfumer les plus de 18 ans...). Ajoutons à cela un meilleur remboursement des médicaments de sevrage – mais une mise à l’index de la cigarette électronique, qu’on continue de traiter comme s’il n’était pas montré ce qu’elle apporte comme réduction des risques.
Concernant l’alcool, on est encore plus hypocrite : mesurettes « pour protéger les jeunes » (interdiction des bizutages !), mais acceptation d’un amendement parlementaire distinguant « l’information sur le vin » et la publicité… Comme si le vin était considéré comme autre chose que de l’alcool, alors qu’il représente la moitié de la consommation d’alcool. « La bourse (des alcooliers), ou la vie, les députés ont choisi », commentent l’ensemble des professionnels de l’addictologie...
« Courage, fuyons ! »
Quant à l’abord des drogues illicites, on est dans le « courage, fuyons ! ». Alors que la presse scientifique, et même l’ONU, appellent à mettre fin à la « guerre à la drogue » dont les effets pervers ont favorisé l’enrichissement des trafiquants et la misère des consommateurs ; alors qu’aux États-Unis, en Espagne, au Portugal ou au Pays-Bas, on dépénalise de droit ou de fait et on régule la consommation de cannabis ; alors que des expériences de salles d’injection à moindre risque sont évaluées à Genève comme des avancées importantes dans la réduction des risques... on continue de considérer que la loi de 1970 pénalisant la toxicomanie est le socle sur lequel on peut faire des aménagements, des « expériences ».
Donc si les trois « salles de shoot » autorisées sont une avancée, elles serviront à quelques dizaines de personnes, et les autres devront attendre que les discours réactionnaires des « associations de quartier » instrumentalisées par la droite et sa variante fascisante se soient calmés… On est loin des belles intentions préventives, et de ce que réclament les associations d’usagers de drogues et les soignants : soigner, et non punir !
Pour une politique de santé efficace, les données scientifiques existent. Côté prévention, arrêt de toute publicité, contrôle d’État sur les ventes d’alcool, augmentation du prix par des taxes dont le produit est affecté à la prévention et aux soins des personnes dépendantes, en commençant par les plus démunis et les plus exposés, car on sait que l’alcool et le tabac jouent un rôle majeur dans les inégalités sociales devant la maladie et la mort prématurée. Côté soin : chaque euro dépensé dans les soins aux personnes dépendantes en rapporte cinq à dix à la collectivité. Et la levée de la pénalisation viderait les prisons.
Voilà sur quoi la loi de santé aurait pu s’appuyer… si elle n’avait pas voulu dans ce domaine juste donner le change, et raison aux lobbies et à la droite !
Dr Philippe Rossignol