Entretien. À la suite de la journée de mobilisation des médecins généralistes du 14 février, nous avons demandé à Ismaël Nureni Banafunzi, médecin généraliste en maison de santé à Paris, membre du SMG (syndicat de la médecine générale) de nous expliquer pourquoi son syndicat n’a pas soutenu la grève.
Le 14 février, entre souffrance et solutions libérales, les généralistes étaient en grève…
Oui, assez massivement. Nos confrères sont en souffrance, en première ligne, à travailler plus de 50 heures par semaine, sans parler du temps administratif ou passé à la coordination des soins, l’appel des patients, avec de grandes difficultés face aux injonctions administratives de la Sécu et un sentiment d’abandon. Mais le SMG n’a pas soutenu cette grève, car les syndicats libéraux l’ont tournée vers l’augmentation de la consultation à 50 euros, ne parlent que de l’exercice libéral, oublient les autres professions de santé. Avec un revenu mensuel moyen à 7 000 euros — je parle bien de revenus — les médecins ne sont pas en souffrance économique. D’autant que si le tarif de la consultation a peu bougé, il y a eu des revalorisations, à travers les forfaits Sécu, des appâts financiers pas vraiment dans l’intérêt premier des patients d’ailleurs. Demander le doublement des consultations, au moment où la population a des difficultés financières, que les CHU sont victimes de l’austérité, cela ne tient pas la route.
Tout cela sur fond de négociation conventionnelle qui fixe entre médecins et Caisses, tous les cinq ans, les tarifs des consultations. Les syndicats libéraux ont exploité les exigences du groupe Médecins pour demain, né sur Facebook, qui porte la demande de la consultation à 50 euros, la menace d’un déconventionnement massif. Des syndicats libéraux responsables de l’impasse d’aujourd’hui. Hier le numerus clausus responsable des déserts médicaux ; aujourd’hui l’opposition aux pratiques pluri-professionnelles de santé, alors qu’il faut absolument un exercice coordonné qui dépasse la médecine libérale.
Ces syndicats sont-ils vent debout contre la délégation de tâches aux IPA (infirmierEs en pratique avancée) ?
Les IPA, pourquoi pas. Cela peut être le meilleur ou le pire modèle. On nous a vendu cela dans une logique de chiffres : plus vite, plus de patients, plus de revenus. Des techniciens du soin, niant la dimension humaine, l’exigence de temps. Mais dans une logique de coordination, de formation, de santé communautaire, c’est-à-dire avec les populations, de démocratie sanitaire, les IPA ont toute leur place.
Que propose le SMG, entre médecine libérale et projets de la macronie de rentabilisation de la médecine de ville ?
Il faut sortir du paiement à l’acte, un système financier consumériste. Il faut favoriser la prise en charge au forfait sans doute, mais surtout une organisation territoriale de santé autour d’une vraie coordination de tous les professionnels de santé, centrée sur le soin, la prévention, et surtout la démocratie sanitaire ; une organisation territoriale de santé avec les patients et les habitants bien sûr. Loin des réponses gouvernementales qui plébiscitent les solutions de dérégulation autour de la télémédecine ou des SAS, services d’accès aux soins, qui dénaturent le système de « soins non programmés », ou les CPTS, les communautés professionnelles de territoires, aux échelles gigantesques, nous préconisons un système de santé ambulatoire devenant un vrai service public de santé de proximité. Car le centre de santé, avec son modèle salarié, n’est pas en soi une garantie. Des centres de santé municipaux contraignent à faire du chiffre, comme ceux du groupe Ramsay qui rachète des centres de santé avec une logique de rentabilité. Les notions de service public, de service à la population, de prise en charge 100 % sécu, de démocratie sanitaire — une notion très importante — avec les usagerEs qui s’emparent des questions de santé sur leur territoire, sont au centre de nos réflexions.
Propos recueillis par Frank Prouhet