La cause est entendue, la France vit dans la terreur. Des réseaux intégristes ourdiraient du fond des mosquées et des « quartiers » d’horribles attentats, tandis que les mamans « françaises de souche » tremblent, à l’heure du goûter, pour leur progéniture soumise aux racketteurs de pains au chocolat ! C’est, à peine caricaturé, ce que l’on pourrait croire ces jours-ci à l’écoute de certains médias. À décharge de ces derniers, il faut bien admettre que les déclarations démagogiques de certaines personnalités politiques leur fournissent largement de quoi faire. Des pains au chocolat de Copé, au énième coup de filet antijihadiste, la course à l’électorat de Marine Le Pen n’en finit pas de pourrir un « débat politique » qui ne se nourrit plus que des petites phrases racistes, islamophobes et sécuritaires. Le Front national en embuscade n’a guère qu’à gérer son fonds de commerce électoral qui progresse tranquillement dans le marigot des prétendues « batailles d’idées ». C’est dans ce contexte nauséabond que le gouvernement et sa majorité présidentielle ont fait le choix, ont pris la responsabilité, de laisser au très médiatique ministre de l’Intérieur le soin de proposer la nouvelle mouture d’une énième loi « antiterroriste ». Le projet discuté et adopté lors du dernier Conseil des ministres du mercredi 3 octobre devrait être rapidement proposé au Parlement afin d’être « adopté avant la fin de l’année », comme le souhaite François Hollande. Adoptant la célèbre doctrine de Jean-Pierre Chevènement « un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », aucune voix au sein du gouvernement n’a jugé bon de protester devant ce projet liberticide, ni de faire « entendre sa différence ». Frappée d’amnésie, la gauche gouvernementale en oublie qu’il n’y a pas six mois, après les tueries de Toulouse et Montauban, elle dénonçait avec virulence le « populisme pénal » de Sarkozy à qui elle reprochait sa réactivité événementielle et l’exploitation émotionnelle des faits divers pour ses propres intérêts. « Un attentat…une loi ». La droite ne s’y trompe pas. On a les laudateurs que l’on peut, le très réactionnaire député UMP Éric Ciotti, après avoir félicité le ministre de l’Intérieur pour sa « lucidité sur les Roms » (sic) évoque le nouveau projet de loi comme « un hommage à Sarkozy ». Car contrairement à Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, Manuel Valls, lui, nous fait du Sarko… en le sachant. Ce « nouveau » projet, il est vrai, pue le rance. Il n’est qu’un ressassé, sinon un pur copié-collé de celui élaboré par Guéant au lendemain de l’affaire Mérah. La seule innovation ne concerne qu’un alinéa qui précise que cette loi s’applique aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis par un Français hors du territoire de la République. En 26 ans, depuis l’adoption de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite loi Marsaud) l’arsenal « antiterroriste » de l’État s’est considérablement durci, donnant à la section antiterroriste du parquet une autonomie dans la répression, et une couverture légale dépassant de très loin le cadre judiciaire ordinaire. Flics et juges ont usé et abusé de commissions rogatoires lancées pour « association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste ». Combien de gardes à vue de pure intimidation cette loi a-t-elle couvertes ? Combien d’années de prison préventives se terminant par des non-lieux pour vice de procédure ? Combien de vies brisées ou malmenées, passées par pertes et profits ? Il faudrait sans doute y consacrer tout un ouvrage. Alors que l’on serait en droit d’attendre d’un vrai gouvernement de gauche la mise en question de toutes les mesures, décrets et lois liberticides votées par la droite, l’équipe au pouvoir envoie comme principal message sa volonté de continuer, voire d’accentuer les politiques précédentes. Nous ne les laisserons pas faire ! Tout comme nous posons l’urgence d’un front de riposte large aux politiques d’austérité, qu’elles soient de droite ou de gauche, nous combattrons les politiques sécuritaires et mettrons en place une riposte unitaire contre les lois sécuritaires et liberticides.
Alain Pojolat