Publié le Mardi 2 juillet 2013 à 17h06.

En 2000 déjà le réseau "Echelon" de la NSA espionnait le monde.

Tout le monde s'indigne de la découverte d'un immense réseau d'espionnage américain dirigé par la NSA et capable d'espionner politiquement et économiquement le monde entier. Et pourtant cette découverte est ancienne. Le parlement européen avait même du créer en 2001 une "commission temporaire" pour enquêter sur ce réseau baptisé "Echelon". Notre camarade Alain Krivine, alors député européen, faisait partie de la vingtaine de députés envoyés notamment aux USA pour mener "l'enquête" et de la petite minorité qui refusa de voter le rapport. Nous publions ici une interview de ce dernier pour RFI datant de mai 2001.

Le réseau Echelon et le «cynisme» américain

Une délégation des membres de la commission temporaire du Parlement européen chargée de faire la lumière sur le réseau d'écoutes électroniques Echelon s'est rendue du 8 au 11 mai dernier aux Etats-Unis pour y rencontrer différentes autorités. Entretien avec l'un de ses parlementaires-enquêteurs l'eurodéputé Alain Krivine, leader de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).  

RFI: Que s'est-il passé lors de votre mission à Washington ? Alain Krivine: La commission qui a été élue il y a un an, doit rendre un rapport en juin. Une délégation des coordinateurs de cette commission, un représentant par parti politique, soit une douzaine d'eurodéputés s'est rendue à Washington pour y rencontrer les trois plus importantes institutions dans l'enquête sur le réseau Echelon, c'est-à-dire la CIA (l'Agence américaine de renseignements), la NSA (l'Agence Nationale de Sécurité) et l'Advocate Center, un organisme lié au ministère de l'Economie et de l'Industrie dont les réunions ont lieu en présence de la CIA. La délégation a essuyé un refus. On a appris par courrier que ces rencontres ne pourraient avoir lieu. Ce refus est déjà une réponse politique. La délégation a donc décidé par mesure de rétorsion de rentrer un jour plus tôt. Nicole Fontaine, la présidente du Parlement européen a publié un communiqué de protestation sur l'attitude des autorités américaines par rapport à la commission. Il y a eu un «mini incident diplomatique» entre la commission et le Parlement d'un côté et les autorités américaines de l'autre. Lors de ce voyage, nous avons tout de même eu des discussions avec des personnalités officielles et des ONG qui travaillent sur le problème des écoutes parmi lesquelles des représentants de l'American civil liberties union (Aclu) et de l'Electronic privacy information center (Epic). Mais parmi les personnes que nous avons rencontrées, les interlocuteurs les plus intéressants ont été l'ancien directeur de la CIA, Jim Woolsey et la commission du renseignement de la Chambre des représentants qui est chargée de contrôler la totalité des services d'espionnage américains en liaison directe avec le président Bush. RFI: Quelles sont les informations que vous avez pu tirer de ces différents entretiens ? Alain Krivine : Il en ressort un énorme cynisme. Leur réponse: les Etats-Unis ont une constitution qui respecte les droits de l'homme, donc il n'y a pas d'écoutes illégales. Les Etats-Unis ne font pas d'espionnage industriel sauf exception. Les Etats-Unis ne font pas d'espionnage des citoyens américains, car la Constitution l'interdit. Quant aux citoyens non-américains, les Etats-Unis ne font pas d'espionnage si ce n'est pour des raisons exceptionnelles comme le terrorisme. L'ancien chef de la CIA nous a dit également qu'il a pris connaissance du système Echelon par le livre du journaliste Duncan Campbell et par la presse européenne. C'est un peu grossier venant de la CIA. Quant à la commission du renseignement, quand on leur a demandé si Echelon existe. Ils ont répondu: no comment. En gros, cela n'a servi à rien. Cela ne fait que confirmer qu'il y a quelque chose qui existe. L'ancien chef de la CIA a reconnu qu'il y avait un espionnage en Europe dans trois domaines. Premier domaine où ils reconnaissent qu'ils font de l'espionnage industriel en Europe c'est pour vérifier s'il n'y a pas de commerce avec les pays qui sont sous embargo comme l'Irak, Cuba, etc. Deuxième domaine: les pays européens qui signent des traités commerciaux à coup de pots de vins. Dernier domaine où il reconnaît que les Etats-Unis font des écoutes industrielles des sociétés qui peuvent vendre du matériel militaire qui irait contre la stratégie américaine. Cela fait beaucoup. De leur côté, les ONG confirment qu'il y a un système d'espionnage, avec des relais dans le monde entier, notamment en Europe par le biais de la Grande-Bretagne. Par rapport à ce que l'on savait déjà, il n'y a rien de nouveau si ce n'est cette attitude insolente, hautaine et silencieuse des autorités américaines. Mais ce n'est pas étonnant.  RFI: Comment allez-vous poursuivre votre enquête ? Alain Krivine: La Commission s'est réunie mercredi 15 mai à Strasbourg pour faire le point. Le rapporteur de la commission, le social-démocrate allemand Gerhard Schmid nous a donné un pré-rapport de 100 pages qui compte servir de base pour son rapport qu'il publiera fin mai-début juin. Il veut notre avis. On se revoit à Bruxelles dans 15 jours. En juin la commission doit voter un rapport ou un contre-rapport, car il peut y avoir des avis contraires. Tout cela va passer vraisemblablement en septembre devant le Parlement. Le rapport dira qu'Echelon existe. Tout le monde en est convaincu. Après là où il peut y avoir des divergences c'est sur l'étendue, sur la signification politique et surtout sur les moyens de lutter contre.