Jean-Luc Touly est l’auteur, avec Roger Lenglet, de L’eau des multinationales, les vérités inavouables (Fayard). Licencié il y a cinq ans par Veolia, il vient d’être réintégré. Retour sur une belle victoire. Pourquoi Veolia a-t-elle voulu ta peau ? J’ai été viré pour avoir dénoncé les drôles de relations que tisse cette multinationale. Cadre et syndicaliste CGT, j’ai d’abord cherché à défendre l’indépendance de mon syndicat tout en militant contre l’augmentation des prix et des bénéfices sur l’eau et le retour en régie des contrats venant à échéance. Mais, peu à peu, je me suis retrouvé affaibli à l’intérieur de la CGT. Comment Veolia a-t-elle fait pour te débarquer ?En 2003, mon premier livre, L’eau de Vivendi, m’a valu deux procédures en diffamation de la part de Veolia ainsi que deux autres, de la part de la CGT Veolia et de la fédération CGT des services publics. En même temps, deux procédures de licenciement pour fautes graves ont abouti à mon licenciement en mars 2006 avec l’autorisation du ministre du Travail, Gérard Larcher, qui n’a d’ailleurs même pas pris la peine de le motiver. Tu viens d’être réintégré. Comment cette victoire a-t-elle été obtenue ? J’ai retrouvé mon ancienne agence début septembre. Cela fait suite à deux recours, au tribunal administratif puis à la cour d’appel de Paris. Ma réintégration est un solide point d’appui pour obtenir celle de Stéphane Connan et Christophe Mongermont, les deux derniers de mes cinq camarades syndicalistes licenciés, tous à FO. Ils ont comme moi eu le tort de prendre leur mandat au sérieux. Christophe, licencié depuis six ans, est toujours le secrétaire général de FO chez Veolia eau. Face à l’intimidation généralisée, les réintégrations sont un encouragement formidable. Même si la direction joue sa dernière carte, avec son recours devant le Conseil d’État qui statuera dans deux ou trois ans. En attendant, elle a été obligée de me réintégrer et on ne va pas bouder notre plaisir.Comment cela se passe-t-il pour toi dans l’entreprise ?Pour l’instant, ça va. On m’a confié des tâches qui ne sont pas trop importantes, comme la gestion des fontaines publiques, mais on ne peut pas dire que je sois au placard. Le fait que tu aies été élu conseiller régional d’Europe écologie a-t-il joué ? Je suppose plus largement que le fait que je commence à être connu finit par produire certains effets, mais c’est difficile à estimer. Pour la petite histoire, j’avais auparavant été élu maire-adjoint chargé de l’environnement à Wissous (Essonne), puis mon maire PS m’a retiré mes délégations ! Certaines vérités dérangent, à bien des niveaux et dans les milieux les plus divers. Où en est la bataille contre la privatisation de l’eau ? En France, 80 % du service de l’eau est délégué au privé. Mais les trois géants qui se partagent le gâteau (Veolia, Ondeo et Saur) sont confrontés à un mouvement de fond. Des centaines de collectifs agissent pour la gestion publique et, de ce fait, le nombre des collectivités qui ne renouvellent pas ou rompent les contrats grossit à vue d’œil. Ainsi, après Paris ou Brest, Rouen revient en régie, avec, comme partout, une baisse de tarif d’environ 20 %, un meilleur entretien du réseau et un moindre gaspillage. L’Association pour le contrat mondial de l’eau (Acme), que tu animes avec Danielle Mitterrand, fait partie des initiateurs de la Coordination pour un forum social de l’eau. De quoi s’agit-il ? Il s’agit de construire un forum alternatif pour riposter au battage médiatique et étatique qui entourera le Forum mondial de Marseille de mars 2012. Celui-ci est un forum « business » organisé par le Conseil mondial de l’eau, organisme sans légitimité aux mains des dirigeants d’entreprises privées du secteur. Avec le réchauffement climatique et la pollution, la crise écologique ne nous laisse guère de temps. Au rythme actuel, d’ici 25 ans, la moitié des réserves mondiales aura disparu. Cette dégradation mondialisée se fait sous l’égide de l’OMC. Dans 51 pays, il y a des risques de guerre pour l’eau. 1,5 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 2,6 milliards n’ont pas accès à un service d’assainissement. Le manque d’eau potable est la première cause de mortalité dans le monde. Il est indispensable d’obtenir la reconnaissance de l’accès à l’eau comme un droit humain. L’eau est en effet un bien commun qui ne doit pas être considéré comme une marchandise, et doit donc faire l’objet d’une gestion publique, démocratique et transparente.