Qu’on se le dise : le Conseil d’État est à la page et ne veut pas rater le tournant de la révolution numérique. Dans un récent rapport intitulé « Accompagner l’ubérisation », dont le titre est déjà tout un programme, le Conseil d’État célèbre les vertus du capitalisme de plateformes.
Comme il s’agit de « se transformer ou mourir », la conclusion va de soi : il faut tout adapter (le droit, les règles sociales, les services publics, etc.) à un processus technologique salutaire et de toute façon inéluctable. Pas question de lois pour encadrer l’activité de ces nouveaux acteurs, le Conseil d’État mise sur des « dispositifs fondés sur l’autorégulation des opérateurs ». Pas question non plus de donner un statut de salariéE à celles et ceux dont le travail est exploité par ces plateformes. Il faut au contraire « favoriser l’entrepreneuriat individuel ». Et pas question de réglementer les professions pour garantir un certain niveau de revenu : les plateformes sont au contraire une opportunité pour mettre les travailleurs en concurrence...
Service public ? Connaît pas !
Mais l’ubérisation est surtout une formidable opportunité pour démanteler (pardon, « ubériser ») les services publics. Le Conseil d’État explique ainsi qu’aucune activité n’est naturellement un « service public ». Pour que cela soit le cas, il faut que cette activité « ne puisse être prise en charge de manière optimale que par la puissance publique ». Et la révolution numérique doit permettre de restreindre le champ du service public puisque nombre d’activités pourront être exercées par des auto-entrepreneurs en lien avec des fonctionnaires via des plateformes : « un nombre croissant d’agents publics seront en relation avec ou chargés du contrôle d’acteurs privés employant eux-mêmes ces technologies innovantes ».
C’est pourquoi le Conseil d’État propose de « dresser la cartographie des activités de service public concurrencées par des plateformes numériques et en tirer toutes les conséquences pour leur réorganisation et la définition du périmètre du secteur public ». Ce rapport est du pain béni pour le gouvernement, au moment où Édouard Philippe a demandé à chaque ministre de lister les missions publiques qui ont vocation à être supprimées ou transférées au privé. Si une mission est « ubérisable », elle pourra ainsi sortir du champ du service public !
Les idéologues cyniques de la bourgeoisie nous racontent que les plateformes réalisent l’utopie de Marx d’une sortie du salariat. Il s’agit en réalité d’en finir avec toutes les conquêtes du salariat au nom de l’impératif technologique, pour livrer les travailleurEs atomisés et isolés à une exploitation redoublée. Nous militons pour l’expropriation des plateformes capitalistes : ces technologies doivent être appropriées collectivement pour sécuriser les revenus des travailleurEs utilisant ces plateformes et pour servir les besoins sociaux.
Gaston Lefranc