Publié le Samedi 22 décembre 2012 à 17h05.

Les syndicats à l'heure de l'austérité

Comme le précise le rapport Gallois, le succès de la politique gouvernementale en matière économique et sociale repose sur le consensus social qui doit réunir organisations patronales et syndicats représentant les salariéEs. Si le dialogue social a toujours existé, il a longtemps accompagné les progrès sociaux en s’appuyant sur le rapport de forces construit sur les mobilisations. Aujourd’hui il s'agit non seulement d’entériner des reculs graves, mais aussi de prévenir les mobilisations par des accords réellement scélérats.L’enjeu pour le mouvement syndical, pour l’ensemble des travailleurs, est l’existence d’organisations syndicales qui assume le meilleur de l’héritage de la Charte d’Amiens : la défense des revendications immédiates et quotidiennes, et la lutte pour une transformation d'ensemble de la société.Dossier réalisé par la commission Intervention sur les lieux de travail du NPADialogue social : Une vieille histoireC’est dans le contexte compliqué d’un lent développement de l’industrialisation et de la place occupée par un État centralisateur que s’est constitué le syndicalisme français. Après son acte fondateur, la Charte d’Amiens, son incapacité à s’opposer à la guerre mondiale, l’échec des mobilisations qui l’ont suivie, la fracture syndicale consécutive à la rupture politique de 1921 au congrès de Tours, l’ont considérablement affaibli. De 1,6 million d’adhérents à la CGT en 1919-20, il n'en reste plus que 750 000 dans la CGT et la CGT-U de 1934. C’est à Matignon...Traumatisme de la crise économique de 1929, intensification du travail liée à la généralisation du fordisme et du taylorisme, mobilisation unitaire contre la montée du fascisme et la victoire électorale du Front Populaire fournissent les ingrédients de la révolte ouvrière de 1936. Une des caractéristiques de ces grèves est leur déclenchement largement spontané. Dans les ateliers, c’est autant l’insolence ouvrière que l’activisme syndical qui donne le ton. Les accords de Matignon auront la fonction de faire baisser la pression pour permettre la reprise du travail, en lâchant des avantages (15 jours de congés payés, semaine de 40 heures, augmentation des salaires), et d'engager une institutionnalisation des rapports sociaux (création des délégués du personnel et développement des conventions collectives…). L’instauration de délégués du personnel est controversée. Pour des franges du patronat, la mise en place d’un dangereux contre-pouvoir syndical, pour d'autres l’éventualité d’une canalisation des révoltes ouvrières. La persistance d’un fond syndicaliste révolutionnaire dans la CGT suscite des méfiances contre cette institutionnalisation, pendant que l’embryonnaire CFTC apprécie cette collaboration patron-ouvriers.Dans la foulée de la grève générale, les effectifs croissent de façon spectaculaire (juin 1936 : 1,5 million d’adhérentEs à la CGT, décembre : 4,5 millions). La structure professionnelle de la CGT est également bouleversée : croissance de 60 % pour les fonctionnaires, 250 % pour les salariés à statut, 940 % pour le privé dont un passage de 52 000 adhérents à 900 000 pour la Fédération des métaux. Ce développement assure sa consolidation matérielle : permanents, locaux, presse… La mise en place de multiples concertations avec l’État et le patronat engendrent le développement d’un corps de « spécialistes » des dossiers et des négociations. Le rapport de forces issu de la guerre débouche sur la participation du PCF et dans sa foulée de la CGT à la reconstruction de la société française. La mise en place de multiples structures paritaires dans la fonction publique engendrent à grande échelle l’institutionnalisation de l’activité syndicale. En 1947, la CGT obtient 24 243 élus dans les comités d’entreprise (2 383 à la CFTC et 802 à la CGC). La reconnaissance légale de l’exercice du droit de négociation au niveau de l’entreprise est évoquée au lendemain de la Libération et présente dans la loi de février 1950 n’aura un début de mise en œuvre qu’avec l’accord Renault de septembre 1955. La montée en puissance de la CFTC, la création de FO et de la CGC vont aller de pair avec cette institutionnalisation en raison de la priorité donnée par ces organisations à la concertation.Et à Grenelle…La CGT pratiquement toujours absente de ces négociations jusqu’en 1968 ne signa pas les accords de Grenelle de 68. Ces accords vont apporter une modification importante dans l’organisation des rapports sociaux. Les organisations représentatives (CGT, CFDT, CGC-CFE, FO et CFTC) obtiennent des droits d’existence dans l’entreprise et la possibilité de négocier des accords à ce niveau au-delà du « carcan » légal. Ce progrès social est en même temps une première brèche ouverte dans le dispositif de hiérarchie des normes. En 1971, les accords d’entreprise ont statut de Convention collective et en novembre 1982, dans le cadre des lois Auroux, est instaurée une obligation annuelle de négocier sur les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail. Et, plus gravement, les accords conclus à ce niveau peuvent s’écarter des règles d’origine légale et réglementaire en matière d’organisation du temps de travail, dans un sens éventuellement moins favorable aux salariéEs avec un droit de veto des syndicats majoritaires. La voie est cette fois grande ouverte aux accords dérogatoires. Les lois Aubry sur la réduction du temps de travail vont accélérer le double processus : accords d’entreprise moins favorables et dérégulation / annualisation du temps de travail.Crise : Des reculs, ça ne se discute pasJusque dans les années 2000, les négociations patronat-gouvernement-syndicats étaient ­soumises, malgré des dérogations, à la hiérarchie des normes sociales. Il restait acquis que les évolutions allaient dans le sens d’améliorations plus ou moins régulières et lentes selon fluctuations économiques, résultats électoraux et rapport de forces construit par les mobilisations. L’hiver 95 illustre cette situation : face à une attaque violente contre des éléments structurants des rapports sociaux (retraites, Sécurité sociale), la mobilisation bloque en grande partie les projets du gouvernement. La crise économique et les effets dévastateurs de plus de 30 ans de restructurations de l’appareil de production vont permettre aux gouvernements et au patronat d’imposer d’importants reculs sociaux avec la caution de certaines organisations syndicales. Sur les grands dossiers, l’État met en place des dispositifs tendant à associer les syndicats à des décisions rétrogrades. Créons une commission…Le Conseil d'orientation des retraites (COR) créé en 2000 s’inscrit dans la lignée du Livre blanc (préfacé par Rocard en 91), rapports Charpin, Teulade, Taddéi, pour faire passer l’idée que des contre-réformes sont incontournables en matière d’âge de départ et de financement. En janvier 2004, c’est le Haut Conseil pour l'assurance maladie, regroupant tous les « partenaires sociaux », qui parvient à un « diagnostic partagé » sur les « maux » du système. Là encore, ce consensus sur les prétendues causes du déficit de la Sécurité sociale va légitimer les réformes successives tendant à faire baisser les prestations et à modifier le système de financement sans revenir sur les exonérations dont bénéficient les entreprises.C’est ainsi que les mobilisations des années 2000 contre les réformes de la Sécurité sociale, du système de retraites, vont se trouver en partie mises en difficulté par ces consensus, joint à la difficulté de construire le rapport de forces nécessaire pour imposer des alternatives. L’acceptation des contre-réformes dès 1995 par la CFDT (et CGC et CFTC) et surtout le lâchage de 2003 en pleine mobilisation ont évidemment aggravé ces difficultés.Sarkozy va à la fois légitimer les reculs sociaux imposés par la situation économique et tenter d’enfermer toujours plus le dialogue social dans la compromission. Son éloge du syndicalisme responsable va de pair avec la dénonciation des grèves prétendument devenues invisibles et l’accord sur la représentativité des organisations syndicales censé conforter les syndicats de dialogue contre les trublions revendicatifs.Tout à perdreAvec l’approfondissement de la crise, les attaques passent à un degré supérieur. La mise en œuvre du rapport Gallois avec les 20 milliards d’euros de crédit d’impôt et diverses aides aux entreprises ne saurait être complète sans son 6e chapitre intitulé : « Pour un nouveau pacte social ». Celui-ci fait l’objet d’une négociation entre les organisations syndicales et patronales autour d’un texte du Medef. En « échange » de l’extension de la couverture complémentaire universelle maladie, du renforcement de l'information des institutions représentatives du personnel et de la facilitation de l’accès aux dispositifs de formation, le patronat propose la mise en place de CDI à durée limitée, plus de facilité pour les licenciements économiques, et l'impossibilité de recours juridique pour les salariés licenciés. Mais surtout l’accord prévoirait la possibilité de mise en place, et la sécurisation juridique, d’accords emplois-compétitivité.Le prototype de ces accords, Sevelnord (non signé par la CGT), est déjà mis en œuvre et celui de Renault actuellement en discussion. Au programme : gel des salaires, suppression de jours de RTT, flexibilité aggravée des horaires de travail, mobilité forcée.Le deuxième enjeu est celui du financement de la protection sociale, fragilisé par la multiplication des exonérations patronales et la montée du chômage. Le rapport Gallois est limpide : « La concertation sur le financement des prestations sociales devrait, à son terme, permettre à l’État d’arrêter les conditions de transfert d’une partie des charges sociales vers la fiscalité ». Dans le collimateur, le financement de la Sécurité sociale par des impôts plus ou moins nouveaux (TVA « sociale », écologique, etc.) et la modification du système de retraite (système à points et surtout baisse régulière des pensions imposant de plus en plus des compléments assurantiels).Les salariéEs n’ont rien à gagner. Les miettes concédées ici ou là, les prérogatives plus importantes pour les institutions représentatives du personnel ou les syndicats ne sauraient satisfaire que les dirigeantEs des organisations syndicales qui, en fait, acceptent de faire supporter par les salariéEs les conséquences de la crise et des politiques d’austérité. C’est clairement le positionnement de la CFDT, de la CGC et de la CFTC. Obtenir un consensus même partiel est un enjeu essentiel pour le gouvernement qui légitimerait la validation par une loi. Dans le cas contraire, le gouvernement se trouverait devant l’obligation de légiférer mais apparaîtrait alors comme seul soutien du projet du Medef. FO nous a appris depuis bien longtemps à faire la part entre les bruyantes déclarations et les signatures honteuses. La CGT affirme clairement son refus de signer le pacte emploi-solidarité. Même si la non-participation à ces négociations à froid serait plus clair, ceci peut servir de point d’appui aux indispensables luttes contre ces violentes attaques.CGT : le recentrage ?Longtemps la CGT est apparue comme la confédération qui refusait toute participation a des négociations avec le patronat, caractérisé comme ennemi de classe, et les gouvernements à sa solde. Certes, signataire des accords Matignon de 1936, la CGT ne s’engagera vraiment dans les négociations et la signature d’accords nationaux ou d’entreprises qu’à partir du milieu des années 50. Après la rupture gouvernementale de 1947 autour du Plan Marshall, la direction de la CGT tente de concilier l’opposition à la politique gouvernementale et l’intégration aux dispositifs de dialogue et de gestion.C’est avec l’accord Renault de 1955 que les contradictions vont s’exacerber : la CGT est mise en difficulté par l’accord signé entre la direction et tous les autres syndicats qui concède la 3e semaine de congés payés et la mise en place d’un régime de retraite complémentaires. Les syndicats signataires s’installent dans cette posture de consolidation des acquis face à une CGT qui refuse tout accord. À partir de cette date, les syndicats CGT d’entreprise vont petit à petit rejoindre les signataires. Au niveau national, il faudra attendre les années 70 pour que la CGT signe un accord national interprofessionnel. Pas un hasard si cet accord, initié par Jacques Delors, concerne la formation professionnelle, un des enjeux essentiels du financement des syndicats. Mais un pas décisif est franchi en 2003 avec le soutien à la modification du régime des retraites des gaziers électriciens qui a rendu possible l’ouverture du capital, ouvrant la voie à la privatisation d’EDF-GDF. Depuis, la liste s’est régulièrement allongée, à propos de l’égalité homme-femmes, de la formation, et même pour certaines fédérations (bâtiment) de bien controversés accords RTT. Face à la montée de la contestation interne notamment autour du Traité constitutionnel européen, la confédération met en place des procédures de consultation des principales structures (fédérations, unions départementales) qui ne sont que des alibis pseudo-démocratiques. Les chances de succès de l’offensive actuelle de la bourgeoisie dépendent en grande partie de sa capacité à associer l’ensemble des syndicats sa politique. Le futur secrétaire général de la confédération assumera-t-il ce basculement ?CFDT : le social-libéralisme assuméAprès sa sortie de la CFTC, la CFDT saura, autour des années 70, prendre en compte les nouveaux thèmes de radicalisation avec les mobilisations des OS, des travailleurs immigrés, des femmes, des jeunes et du thème de l’autogestion. Mais dès 1977, avec la dénonciation des « coucous » gauchistes censés faire leur nid dans la confédération, Maire engage la CFDT dans le recentrage sur le syndicalisme qui masque mal l’adaptation au système économique et à l’accompagnement des réformes gouvernementales, même celles venues de la droite…C’est en 1995 que cette politique éclate au grand jour avec le soutien à la réforme Juppé de la Sécurité sociale. Après l'échec du courant d’opposition « Tous ensemble », la dérive s’accélère. La rupture du front syndical en 2003, en pleine mobilisation sur les retraites, le soutien au Plan d’aide au retour à l’emploi (PARE), plan d’attaque frontal contre les chômeurs, coûteront le départ de plusieurs dizaines de milliers de militantEs. Comme le dit Chérèque, à cette date : « Toute la CFDT, à tous les niveaux, assume désormais notre caractère réformiste ». Réformisme qui n’est, dès ce moment, qu’adaptation au système et à ses contre-réformes. Dès lors, la CFDT rejoint complètement le camp des centrales dites réformistes (CFTC, CGC et FO). Sa relative mise à l’écart par Sarkozy ne modifiera en rien ses positionnements, malgré ses postures unitaires lors de la mobilisation sur les retraites de 2010. Le soutien au rapport Gallois, au pacte de compétitivité, aux accords emplois-compétitivité et au plan Ayrault-Hollande en sont les derniers avatars.Solidaires : toujours pas à égalité Dès son élection, François Hollande avait annoncé « faire du dialogue social une priorité majeure, avec tous les acteurs de la vie socioprofessionnelle ». C’est dans ce sens que le nouveau Premier ministre, Ayrault avait reçu l’ensemble des organisations syndicales et donc Solidaires au lendemain de sa nomination. Pour l’Union syndicale, c'était une première et constituait une reconnaissance de sa place prise depuis plusieurs années dans le paysage syndical. Mais cela a été de courte durée puisque quelques semaines après, pour la conférence sociale, Solidaires n’a été invitée qu’à une seule table ronde, celle sur la fonction publique. Autrement dit, le gouvernement Ayrault continue dans la lignée de son prédécesseur, oubliant au passage que Solidaires a, depuis quelques années, pris une place plus importante dans de nombreux secteurs que certaines organisations syndicales représentatives de fait. Mais il s'agit peut-être là d'une autre reconnaissance : celle que Solidaires ne joue pas suffisamment le jeu du dialogue social, même si la bataille pour l'unité syndicale rend parfois difficile la persistance dans cette voie.FSU : quand la négociation passe, la grève trépasseEn 10 ans, nous avons connu une destruction en règle de la fonction publique et en particulier de l'éducation nationale : 77 000 postes d'enseignants supprimés en cinq ans, régionalisation des agents de service, explosion du nombre de précaires et réforme des retraites. Hollande avait juré de faire de l'éducation une priorité. La FSU s'est installée à de la table des négociations.Mais Hollande et Peillon ont continué les attaques de la droite, au plan pédagogique (socle commun de connaissance, réforme des rythmes scolaires…), sur les conditions de travail (aucune création de postes, régionalisation des conseillers d'orientation, précarité généralisée, y compris dans la formation des enseignants).Les années passées, la FSU avait mobilisé dans l'éducation nationale : grèves tous les ans contre le budget, les suppressions de postes en 2009, 2010 et 2011 ou contre la mastérisation en 2009. Avec un gouvernement de gauche, la FSU ne veut pas faire de vagues. Contre la nouvelle loi d'orientation sur l'école, la FSU constate que « le projet de loi comporte des absences ou des continuités avec les politiques précédentes ». Mais c'est pour conclure qu'elle « attend maintenant (…) un agenda de discussions et de négociations qui devra préciser les chantiers qui seront menés dans les prochains mois et le calendrier de travail. » Nous avons besoin d'informations précises sur la nouvelle loi d'orientation, d'un combat pied à pied contre la précarité, de retrouver les postes supprimés par la droite et des augmentations de salaires. Pour cela, il faut un mouvement massif de grève contre le gouvernement d'austérité. Voilà la responsabilité de la FSU aujourd'hui et voilà où elle échoue.