Entretien. La ministre de la Justice Christiane Taubira a demandé à Bercy d’indemniser les anciens mineurs du Nord licenciés en 1948 pour faits de grève, à hauteur de 30 000 euros chacun. Ceux-ci se battent depuis soixante ans pour obtenir réparation. Outre le soutien de leurs avocats, le documentaire de Jean-Luc Raynaud, l’Honneur des gueules noires (1) et le livre de Dominique Simonnot Plus noir dans la nuit ne sont pas étrangers à cette victoire. Les deux auteurs préparent une suite en commun. Réalisateur de fictions et de documentaires, Jean-Luc Raynaud a accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous nous rappeler l’importance de cette grève ?Cette grève est l’une des plus importantes du mouvement ouvrier du 20e siècle, et l’une des plus méconnues. 60 000 hommes de troupe lancés contre 200 000 grévistes. Six morts. 3 000 arrestations. C’est lors de la grève de 1948 qu’a été inventé le slogan « CRS SS ! »Pourquoi une telle violence ? Parce qu’ils avaient osé faire grève durant 56 jours pour protester contre la suppression de leur statut, parce qu’ils étaient syndicalistes, sympathisants communistes. Pourtant, le droit de grève était inscrit dans la Constitution depuis la Libération et, en plus d’avoir été pour la plupart héros de la Résistance, les mineurs étaient ceux qui redressaient la France en travaillant jour et nuit. Ils avaient gagné la « bataille du charbon », et soudain on les faisait passer pour des ennemis de la patrie…Réprimés par les CRS, emprisonnés plusieurs mois sans procès, ils ont été licenciés sans solde et sans préavis, expulsés de chez eux en plein hiver avec femme et enfants, interdits de travail dans toute la région, dégradés systématiquement de l’armée, alors qu’ils avaient combattu l’ennemi et fait une grève historique et héroïque en 1941 pour empêcher l’occupant de s’approprier le charbon…
Pourquoi un tel acharnement de l’État ?Une redoutable mécanique de rétorsion s’est emballée. D’abord, l’acharnement de Jules Moch, le ministre de l’Intérieur de l’époque, qui était convaincu que derrière les revendications des mineurs et de la CGT se cachait un complot de Moscou pour mettre la République en péril. En prévision de cette grève, il avait créé les Igames, des super-préfets aux pouvoirs civils et militaires.Cet acharnement répressif, qui a tué six grévistes, a été aggravé par l’acharnement des Charbonnages de France, cet « État dans l’État » qui a décidé de bannir pour l’exemple les condamnés à vie que sont Norbert, Georges, Daniel et les autres, en les empêchant de retrouver du travail dans la région. Quand on perd son emploi à la mine, on perd tout : le charbon pour se chauffer, le logement, la médecine gratuite, le salaire...Troisième étape : la tradition de l’État, qu’il soit gouverné par la droite ou la gauche, est de ne jamais reconnaître ses torts vis-à-vis de grévistes. Comme dit l’une des avocates dans le film : « L’État ne veut pas reconnaître que des grévistes puissent avoir raison contre lui. Jusqu’à la fin de leurs jours, ils paieront pour avoir fait grève, et leurs enfants paieront et en souffriront ». L’actuelle ministre de la Justice en a décidé autrement. C’est la première fois que l’État reconnaît ses torts vis-à-vis d’ouvriers qui ont fait grève.
Pourquoi vous être passionné pour une telle histoire ?Cette histoire aurait dû se perdre, être effacée pour toujours, étouffée comme un secret honteux sous la poussière mortelle de la mine. Ce secret avait besoin d’être exhumé, révélé au grand jour. Cette histoire a commencé il y a 66 ans, mais elle nous parle du monde d’aujourd’hui, de l’inégalité vertigineuse, abyssale, de notre époque. En cela, c’est un film très actuel. Si en plus, mon film, comme le livre de Dominique Simonnot, ont contribué à faire changer les choses, à faire basculer la réalité, leur réalité, il n’y a pas de plus beau destin : réparer les préjudices, redresser les humiliés, rendre leur honneur à ceux qui l’ont perdu. C’est en tous cas ma vocation de cinéaste.
Propos recueillis par Catherine Segala1 – DVD disponible sur le site de la production Arturo Mio pour 15 euros. Le dénouement « miraculeux » de cette histoire a incité France 3, coproducteur, à le rediffuser prochainement, assorti d’une émission spéciale en direct.