Du 13 au 15 octobre, l’union syndicale Solidaires se réunissait en congrès extraordinaire. Le contexte de la crise sanitaire a contraint à repousser en mars 2021 le congrès ordinaire initialement prévu en septembre, notamment pour revoir des textes devenus partiellement caduques.
L’ensemble des structures de Solidaires souhaitaient néanmoins, sans attendre l’année prochaine, un large espace de discussion interne pour appréhender collectivement les difficultés et les enjeux de la situation. Par ailleurs, les enjeux de renouvellement du Secrétariat national ont nécessité également la formalisation de ce congrès extraordinaire. C’est donc un congrès un peu hybride (à la fois en présentiel et en visio) qui s’est déroulé à la bourse du travail de Saint-Denis.
Difficultés objectives
Premier élément notable, les amendements au texte discuté émanaient d’un très faible nombre de structures : moins d’un quart des fédérations et syndicats nationaux, et à peine cinq pour cent des Solidaires locaux. Le fait que le texte soumis à la discussion ait été écrit juste après le confinement et soit très marqué par les discussions d’alors sur « le jour d’après » (et donc avec un certain décalage) explique peut-être en partie ce peu d’investissement. Mais le contexte de crise et de mise sous tension extrême des équipes militantes, dans une situation compliquée à gérer, est sans doute l’élément le plus important.
Compte tenu de ces difficultés, les débats ont été plutôt riches et de bonne tenue. La mobilisation sur les retraites et le mouvement des Gilets jaunes qui l’a précédée n’ont pas été absents des discussions. Ils sont en effet des points d’appui pour penser les luttes futures. Mais ce qui a été au centre du congrès, c’est la gestion de la crise par le gouvernement et la manière dont il en tire cyniquement profit, avec le patronat, en déployant une véritable « stratégie du choc ». L’articulation entre la crise sanitaire et la crise économique, sociale et démocratique qui lui préexistait et qu’elle accélère a également été discutée.
Des petits pas…
Des sujets qui font débat depuis des années dans Solidaires progressent. La question de l’autogestion par exemple est clivante depuis la création de l’union syndicale. Solidaires regroupe des organisations se réclamant historiquement du socialisme autogestionnaire et d’autres qui en sont très éloignées. Des (petits) pas sont néanmoins réalisés, congrès après congrès. Sans parler d’accord absolu, l’audience grandissante, dans les milieux militants, de mots d’ordre autour de la socialisation des secteurs essentiels, permet de poser le problème sur d’autres bases.
Les positions évoluent également en ce qui concerne les discriminations. Des débats ont eu lieu sur les violences policières ou sur le lien entre colonialisme et République, qui ont débouché sur des positions certes inachevées, mais un peu plus avancées qu’auparavant. Il faut néanmoins pointer le fait que sur la question de la lutte contre l’islamophobie existe une réelle contradiction. Solidaires s’est clairement engagée dans la mobilisation du 10 novembre dernier et ses suites, et pourtant la pertinence du terme même d’islamophobie n’est pas totalement partagée en son sein tout comme le terme de « racisé » qui n’a pas encore fait consensus. À terme l’union syndicale, traditionnellement la plus ouverte sur ces questions dans le champ syndical, risque d’être à la traîne par rapport à une organisation comme la CGT par exemple, qui a largement évolué ces dernières années.
Par où la « sortie de crise » ?
L’importance que revêt le « plan de sortie de crise » initié par le collectif « Plus jamais ça » est également potentiellement problématique. Une partie entière du texte de congrès y est consacrée sans aucune critique ni bémol. Les initiatives unitaires larges ne sont certes pas légion, le processus en lui-même n’est donc pas sans intérêt. Les faiblesses revendicatives de ce plan ne sont pas non plus un argument décisif pour le condamner. L’une de ces revendications, l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit, est y compris partagée par le cahier revendicatif de Solidaires. Cela a d’ailleurs fait l’objet d’un débat de congrès, et l’interdiction des licenciements tout court a été à deux doigts d’être adoptée. Ce qui fait principalement défaut dans cette construction, c’est l’absence d’initiatives pour faire un tant soit peu vivre le « plan de sortie de crise » sur le terrain concret de la lutte de classes, ce qui lui confère, de fait, un caractère institutionnel. Un paradoxe, au vu de l’insistance de ses promoteurs à ne pas intégrer les partis politiques… pour ne pas se faire récupérer sur le terrain électoral.
Cela étant, la motion générale d’actualité, adoptée à l’unanimité, donne des perspectives concrètes. Notamment la proposition aux organisations du mouvement social « d’agir contre la politique liberticide, autoritaire et antisociale du gouvernement en proposant, entre autres, une journée de grève et/ou des manifestations de nuit » mais aussi « l’organisation d’une manifestation nationale contre les licenciements et les fermetures d’entreprises ». Deux axes qui, s’ils débouchaient sur des mobilisations concrètes, vaudraient mieux, comme disait l’autre, qu’une douzaine de programmes.